C'EST DEMAIN - La nouvelle est passée inaperçue en France. Pourtant, c'est bien une équipe du laboratoire ICARE (CNRS d'Orléans) qui a publié dans la très sérieuse Applied Physics Letters un article qui pourrait changer radicalement l'approche de l'exploration spatiale. En proposant une optimisation des moteurs plasma (appelés propulseurs à effet Hall), l'équipe française a imaginé un moteur électrique qui consommerait 100 millions de fois moins d'énergie que les moteurs chimiques habituels. Mais surtout, ils espèrent augmenter significativement leur durée de vie.
"Les propulseurs électriques ne sont pas nouveaux, ils ont été théorisés dès les années 1950, rappelle Julien Vaudolon. Et de nombreux satellites en sont équipés depuis les années 1970. Notre optimisation tient au fait que nous avons pensé un moteur sans paroi. Nous retirons le canal en céramique -ce qui n'est pas une mince affaire- pour espérer une durée de vie d'environ 50 000 heures pour le moteur [pour environ 10 000 aujourd'hui]".
Si ce schéma vous paraît incompréhensible, retenez simplement que c'est le flux d'ions qui provoque le mouvement, contrairement aux moteurs "classiques", qui fonctionnent par combustion interne. L'innovation proposée par l'équipe de Julien Vaudolon vient du fait que l'on supprime/modifie la paroi en céramique qui freine et use le moteur.
Une "petite" optimisation d'une importance capitale car elle permettrait d'améliorer considérablement les performances de ces moteurs, inutilisables pour l'instant dans l'espace lointain. "Pour l'instant, nous sommes encore en phase de recherche, rappelle Julien Vaudolon. Au niveau 3 sur l'échelle TRL (de 1 à 9), ce qui signifie que nous avons encore de nombreux tests à effectuer". Mais une fois passées ces phases de test, le chercheur est convaincu que les propulseurs électriques "joueront un grand rôle dans l'exploration spatiale".
D'ici 2020 : 50% du marché sera équipé de moteurs électriques
L'intérêt principal, à l'heure actuelle, des moteurs électriques est sa faible consommation d'énergie. Un atout de poids, qui pourrait faire pencher la balance. "D'ici 4 à 5 ans, environ 50% du marché sera passé au propulseur électrique" assure Julien Vaudolon.
Cette tendance devrait encore s'accroître puisqu'on parle d'une consommation 100 millions de fois inférieure aux moteurs classiques. "C'est effectivement l'ordre d'idée. Mais il faut relativiser. Cela n'est possible que dans le vide". Il faut donc un lanceur classique pour s'extraire de l'attraction terrestre. "À l'heure actuelle, on ne peut pas faire décoller de fusée uniquement grâce aux propulseurs électriques. En tout cas pas d'une planète avec une atmosphère, comme la Terre, ou même Mars". Mais on peut en équiper les satellites orbitaux.
Puisque de plus en plus de satellites sont mis en orbite autour de la Terre, augmenter la durée de vie des moteurs pourrait être un moyen de lutter contre l'accumulation de débris spatiaux, qui risque d'être extrêmement problématique d'ici 2030.
Mais l'augmentation de la durée de vie des moteurs ne résoudra pas seule ce problème. "10 000 heures de vol, ça correspond à environ 10 ans de vie d'un satellite, puisque les moteurs ne sont pas allumés constamment. Malheureusement, 10 ans c'est également la durée de vie de nombreux composants d'un satellite.Pour l'instant, quand le satellite est annoncé en fin de vie, il est dirigé vers une orbite de garage, ce qui ne résout pas le problème". La prochaine étape devra donc être de créer des composant plus résistants.
2025 : utilisation de ces moteurs pour des grands projets de la NASA
Si cette découverte permet d'allonger la durée de vie des satellites, c'est donc surtout pour les grandes missions qu'elle est une avancée majeure. "Selon moi, la principale utilisation sera l'espace profond. Pour l'espace proche, l'intérêt est limité par la faible accélération des moteurs électriques. Pour donner une idée, c'est comme si une voiture passait de 0 à 90 km/h en 4 jours. Les moteurs chimiques ont une bien meilleure accélération, mais sur un laps de temps beaucoup plus court. Du coup la propulsion électrique prend tout son sens sur des longs trajets. Surtout si ces moteurs tiennent plus longtemps".
Quand verrons-nous des vaisseaux spatiaux équipés de cette technologie ? "Il y a toujours un temps relativement long entre une découverte et son utilisation. Surtout lorsque l'on parle de l'espace. Mais avec des moyens, je suis convaincu que ces nouveaux propulseurs électriques pourront se développer en une dizaine d'années". Des moyens que la NASA dépense pour l'heure dans son projet "concurrent" baptisé EM Drive, qui permettrait d'aller sur la Lune en 4 heures ou sur Mars en moins de 70 jours. Seul problème : son fonctionnement est "impossible" car il viole les lois de la physique. "Je suis très dubitatif sur ce projet. Je ne le connais pas très bien mais je me méfie des effets d'annonce. Dire que l'on a découvert quelque chose de fantastique mais qu'on ne comprend pas, ça ressemble un peu à cacher la misère", estime le chercheur.
Parmi les projets un peu dingues, "la NASA envisage toujours de capture un astéroïde et le rapporter en orbite lunaire. Cela ne pourra pas se faire sans moteur électrique".
2035 : un propulseur électrique vers Mars ?
Les Américains n'hésitent pas à voir dans cette découverte un élément fondamental pour l'exploration spatiale, et principalement pour le voyage vers Mars. Il faut dire qu'un moteur consommant 100 millions de fois moins d'énergie et réduisant la durée du trajet vers la planète rouge à potentiellement 90 jours aurait de quoi séduire. "Pour la durée du trajet vers Mars, il y a eu beaucoup d'exagération. Pour l'instant, il faut entre trois et six mois. Donc disons qu'avec ce type de moteurs, on s'approche plus des trois mois que des six".
Les besoins au décollage pour lancer un satellite à moteur électrique sont tout de même 10 fois moins importants, car moins lourds. Comme le moteur consomme beaucoup moins de carburant que les fusées chimiques classiques, cela libère de la place pour envoyer de plus grandes quantités de marchandises ou de personne. Cela signifie la possibilité de missions spatiale de longue durée, comme celles à destination de Mars. SpaceX s'est donc forcément positionnée sur le sujet. "Elon Musk a déjà annoncé vouloir se mettre aux moteurs à effet Hall. Si les recherches sont concluantes et qu'il va jusqu'au bout de son idée, alors oui, je pense que nous verrons des hommes sur Mars avant sa mort, et que ce type de propulsion va accélérer les choses".
Ces propulseurs pourront donc révolutionner le voyage interplanétaire. Mais reste le problème de leur alimentation. "Si on veut quitter notre système solaire, il faudra forcément une source d'énergie. Car fatalement, les panneaux solaires installés sur les vaisseaux spatiaux n'ont une utilité que lorsque l'on est proche du Soleil. Au-delà, il faudra une alimentation nucléaire : en quelque sorte, il nous faudra mettre une centrale nucléaire en orbite. Et alors les moteurs ioniques pourront fonctionner sur la totalité de leur durée de vie".
Envoyer une centrale nucléaire dans l'espace. Dit comme ça, c'est sûr que ça en refroidirait plus d'un. "Mais comme pour le vol habité à destination de Mars, il s'agit de décision politique et budgétaire, ainsi qu'une prise de risque. Aujourd'hui, ces décisions sont occultées par la principale crainte -compréhensible- : perdre des astronautes. Mais à titre personnel, je pense qu'il va falloir prendre le risque, un jour ou l'autre, d'aller voir ailleurs. Nous ne pourrons pas tous rester ici".
Pour aller plus loin :
- Pour éviter de dire trop de bêtises, nous laissons Julien Vaudolon vous expliquer lui-même le fonctionnement d'un propulseur à effet Hall dans cette petite vidéo. C'est là qu'on va repérer ceux qui glandaient en cours de physique :