Perturbateurs endocriniens : "Un lobbying intense a été mené par l'industrie chimique"

Stéphane Horel, auteur d'"Intoxication", dénonce l'influence de l'industrie chimique sur la Commission européenne au détriment de la santé.

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Complexe chimique en Allemagne (photo d'illustration).
Complexe chimique en Allemagne (photo d'illustration). © DPA/AFP

Temps de lecture : 3 min

Le Point.fr : Que sont les perturbateurs endocriniens, où se trouvent-ils, de quoi sont-ils accusés ?

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Stéphane Horel : Ce sont des substances chimiques qui ont la capacité d'interagir avec les systèmes hormonaux des êtres vivants, animaux et humains. Il y en a dans tous les objets de consommation courante, les détergents, les peintures, les tongs, les plastiques, le mascara et les canapés… En s'en échappant, elles se dispersent dans l'air, les aliments, la poussière, les océans, la pluie. Ces milliers de produits peuvent interférer avec les hormones physiologiques déterminant l'évolution fœtale. Ils peuvent aussi avoir des actions retardées et favoriser le développement de cancers hormono-dépendant, du sein, de la prostate ou des testicules. Infertilité, malformation génitale, puberté précoce, diabète, obésité, troubles neuro-comportementaux, ils sont soupçonnés d'être à l'origine de nombreuses maladies. Cependant, il est difficile de déterminer précisément leur part de responsabilité. La seule solution pour protéger la santé des gens est d'avoir une réglementation globale de ces substances, et d'abord de les définir précisément comme cela a été fait pour les produits cancérigènes. Un seul perturbateur endocrinien fait l'objet d'une législation dans certains pays, dont la France, le très connu bisphénol A, qui entrait dans la fabrication des biberons et en est dorénavant interdit pour raisons sanitaires. En 2009, les parlementaires européens avaient fixé la date limite pour atteindre cet objectif de réglementation globale à décembre 2013.

Que s'est-il passé ?

Un lobbying intense a été mené par l'industrie chimique, qui défend des intérêts économiques énormes. Elle a utilisé des méthodes mises au point dans les années 50 par l'industrie du tabac. Pour commencer, elle crée une apparence de controverse là où il n'y en a pas, en finançant des études menées par des « experts » bardés de conflits d'intérêts avec les industriels qui contredisent la science académique et indépendante. C'est ce qu'on appelle la manufacture du doute, comme ce qui a été entrepris hier avec l'amiante ou ce qui se passe actuellement avec le réchauffement climatique. Ensuite, tout à fait légalement, les lobbyistes pilonnent de messages, de rendez-vous, de demandes la Commission européenne au niveau de ses directions générales (ses « ministères ») et de son secrétariat général (le « grand arbitre »). Enfin, l'industrie organise la propagande auprès des décideurs et de l'opinion publique par des conférences relayées par des médias.

Comment l'avez-vous découvert ?

En me servant d'une loi conçue pour tout citoyen européen et lui permettant d'accéder aux documents circulant au sein de la Commission. J'ai fait une vingtaine de demandes en deux ans et j'ai accédé à des milliers de pages confidentielles (des mails internes à la Commission ou d'échanges entre la Commission et les lobbys, des mémos, des demandes de rendez-vous, des comptes rendus de réunions…). À leur lecture, j'ai vu comment, jour après jour, en détail, le lobbying de l'industrie chimique s'est exercé au sein de la Commission et comment les divisions internes au sein de celle-ci ont permis au processus de dérailler.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Depuis fin 2013, rien n'est décidé. Pire, au lieu de se concentrer sur la protection de la santé des gens, la Commission s'inquiète de l'impact économique d'une éventuelle réglementation des perturbateurs endocriniens. L'industrie pense perdre 65 milliards d'euros. En face, l'Endocrine Society, la société mondiale d'endocrinologie, et la communauté scientifique largement consensuelle estiment que les perturbateurs endocriniens coûteraient au moins 157 milliards en dépenses de soins et en perte de revenus potentiels chaque année dans l'Union européenne. Dans le meilleur des cas, il n'y aura aucune décision avant 2017.

(1) Intoxication, éditions La Découverte, 303 pages, 19 euros.

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