Casterman et Gallimard offrent « la Pléiade » à Tintin

Quand on dispose d'une pépite comme Tintin, on en prend soin. Pas question de laisser tomber dans l'oubli le personnage fétiche de Hergé, dont les aventures se sont vendues à plus de 215 millions d'exemplaires en 70 langues et qui chaque année vend encore de 5 à 600.000 albums en France, autant en langue anglaise et près de 2 millions d'unités en Chine. « C'est l'équivalent d'un grand auteur ayant rejoint le panthéon de la littérature comme un Camus », souligne Benoît Mouchart, directeur éditorial de Casterman.

Seul problème pour l'éditeur historique du génie belge, Hergé est mort il y a plus de quarante ans et, depuis, pas une seule nouveauté n'a permis de renouveler l'intérêt pour l'intrépide reporter. Astérix, Blake et Mortimer ou Corto Maltese ont survécu à leurs créateurs... pas Tintin ou le capitaine Haddock. Du coup, à part les rares films - comme celui de Steven Spielberg en 2011 - qui peuvent ponctuellement booster sa notoriété, Casterman doit faire preuve d'imagination pour que le meilleur ami de Milou confirme son statut de héros de bande dessinée indémodable. « Tintin est un classique, mais il faut entretenir la flamme », explique Benoît Mouchart.

En cet automne 2015, l'éditeur a donc décidé de frapper un grand coup en lançant une nouvelle collection. Baptisée « Le Feuilleton intégral », une série de douze beaux livres en grand format sera publiée sur les six prochaines années. Hergé ayant commencé sa carrière dans la presse quotidienne (« Le Petit Vingtième » dès la fin des années 1920) ou des hebdomadaires « à destination des jeunes de 7 à 77 ans » (« Le Journal de Tintin », à partir de 1946, ou » Coeur Vaillant » en France de 1930 à 1948), ce sont les dessins dans leur version « feuilleton » qui sont proposés, offrant ainsi aux lecteurs des versions différentes en de nombreux points des albums traditionnels. « Dans leur version presse, "Les Aventures de Tintin" pouvaient faire plus d'une centaine de pages, alors que les albums cartonnés font 62 pages », explique Benoît Mouchart, qui précise que jusqu'aux « Bijoux de la Castafiore », en 1963, Hergé ne dessinait pas en ayant d'emblée en tête le format album. Pour coller aux contraintes de l'édition, de nombreuses cases ou dessins ont dû être retravaillés, le découpage a dû être repensé.

Aux sources d'une création

Surtout, au-delà de la simple plongée dans ce Tintin « originel », les livres de cette collection proposeront toutes les couvertures de journaux qu'Hergé dessina, ainsi que les aventures des autres personnages tirés de l'imagination d'Hergé, de Quick et Flupke à Jo, Zette et Jocko, en passant par des personnages tombés dans l'oubli, car jamais publiés en format album (comme Monsieur Bellum), ou des inédits comme « Dupont et Dupond détectives », publié dans « Le Soir ». « A l'époque du "Petit Vingtième", Hergé travaillait seul et réalisait six pages par semaine. Deux pour Tintin, deux pour Quick et Flupke et deux pour Jo et Zette ainsi qu'une couverture », analyse Benoît Mouchart.

Casterman ayant été racheté il y a trois ans par Madrigall, maison mère de Gallimard, c'est dans un esprit très « Pléiade » que s'inscrit cette collection de couleur crème à la NRF, agrémentée d'une reliure rouge comme les éditions originales de Casterman, le tout dans une typo très Art déco. Les livres, vendus 80 euros, proposeront aussi des textes de tintinophiles permettant de replonger dans l'époque de la publication ou de mieux comprendre la vie de l'auteur. « L'idée remonte à une vingtaine d'années mais a été réactivée dès que Charlotte Gallimard et moi-même sommes arrivés chez Casterman », explique Benoît Mouchart, qui, avec la fille d'Antoine Gallimard, nommée à la tête de Casterman, a su renforcer les liens avec la société Moulinsart, qui gère l'héritage Hergé et l'ensemble des projets de diversification (merchandising, audiovisuel, nouveaux projets...), quand l'éditeur franco-belge est détenteur des droits d'édition papier des albums historiques.