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Entre la Chine et Taïwan, une poignée de main historique

C’est la première fois depuis la rencontre entre Tchang Kaï-chek et Mao Zedong en août 1945 que les dirigeants de Chine nationaliste et communiste se retrouvent.

Par  (Pékin, correspondant)

Publié le 06 novembre 2015 à 08h37, modifié le 07 novembre 2015 à 09h52

Temps de Lecture 5 min.

Des opposants à la rencontre entre Ma Ying-jeou et Xi Jinping, mercredi 4 novembre à Taipei.

C’est en tant respectivement que « dirigeant de Taïwan » et « de Chine continentale » que Ma Ying-jeou et Xi Jinping se rencontrent samedi 7 novembre, à Singapour, pour un entretien à huis clos dont l’annonce mardi soir, en pleine campagne présidentielle à Taïwan, a provoqué un électrochoc  : c’est la première fois depuis la rencontre entre Tchang Kaï-chek et Mao Zedong en août 1945 que les dirigeants de Chine nationaliste et communiste se retrouvent en tête-à-tête. A une époque où Taïwan n’était pas encore devenu la base de repli des troupes défaites du « Generalissimo » et où le futur Grand Timonier n’était encore qu’un chef de guérilla.

Après la poignée de main, avec M. Ma, le président de la République de Chine (Taïwan), M. Xi, président de la République populaire de Chine, s’est exprimé en premier : « Rien ne nous séparera. Nous sommes une seule famille », a-t-il dit, rappelant la position de Pékin, qui considère Taïwan comme une province chinoise. Les deux hommes s’exprimeront ensuite lors de conférences de presse séparées. Aucun accord ni déclaration commune ne sont attendus.

Normalisation à petits pas

Les deux Chines n’ont jamais signé de traité de paix, car elles continuent d’adhérer à un système de « statu quo » selon lequel elles appartiennent au seul et même pays. Mais les aspirations indépendantistes à Taïwan ont poussé le Kouomintang (KMT) et le Parti communiste chinois (PCC) à orchestrer un rapprochement – symbolisé par la rencontre en 2005 entre Hu Jintao, alors président chinois, et Lien Chan, alors président honoraire du KMT. Après son élection en 2008, M. Ma (KMT) a mené une politique de normalisation à petits pas avec Pékin, ouvrant des liaisons aériennes directes avec la Chine continentale et relançant les pourparlers entre les « associations » qui représentaient les deux Chines, puis en 2014, entre les chefs des « ministères » respectifs des affaires chinoises et taïwanaises.

Un marathon de rencontres, à un niveau de plus en plus élevé – jusqu’à celle, en mai, entre Xi Jinping et Eric Chu, l’actuel président du KMT et candidat de ce parti à la présidentielle de janvier 2016. L’entretien de samedi en est présenté comme l’aboutissement naturel.

« Le sujet est toujours resté d’actualité », a expliqué jeudi Ma Ying-jeou lors d’une longue allocution télévisée à Taipei, où le président sortant, dont le second et dernier mandat prend fin dans six mois, en mai 2016, a pris soin de répondre à une cinquantaine de questions de journalistes.

M. Ma, dont le KMT est en très mauvaise posture face à l’opposition « indépendantiste » pour la présidentielle et les législatives de janvier, s’est efforcé de désamorcer les soupçons de considérations électoralistes derrière l’annonce du sommet avec Xi Jinping. « Ce sommet n’est pas pour les prochaines élections, il est pour le bien-être de la prochaine génération, a-t-il déclaré. Je considère qu’il était de mon devoir de construire un pont pour les deux côtés, de façon à ce que le prochain président, quel qu’il soit, puisse l’emprunter pour franchir la rivière. » Le ministère des affaires étrangères de Taïwan s’est empressé de rappeler le maintien pour Taïwan des trois « ni » du sacro-saint « statu quo » qui régit les relations avec la Chine, c’est-à-dire « ni réunification, ni indépendance, ni recours à la force ».

Mauvaise image de la Chine

La poignée de main de samedi « représente bien, symboliquement, le couronnement de tout ce que Ma Ying-jeou a mis en œuvre ces dernières années », note le chercheur J. Michael Cole, basé à Taipei pour l’Institut de politique chinoise de l’Université de Nottingham. Elle sera historique, poursuit-il, dans la mesure où elle crée un précédent. « Mais il est aussi évident qu’au-delà de la symbolique, il n’y aura que très peu de substance  : Xi rencontre un dirigeant qui dans six mois n’est plus rien, et dont le taux de popularité est inférieur à 20 %  ! »

Le timing de la rencontre, en pleine campagne électorale, « pervertit » sa portée historique, analyse Stéphane Corcuff, de l’antenne de Taipei du Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC). « La Chine a donné un coup de pouce énorme à Ma Ying-jeou, sciemment – car depuis des mois, le KMT est tellement mal parti que tout le monde se dit que l’opposition va gagner. Comment changer cette situation, si ce n’est par un énorme coup historique ?Pour la Chine, une défaite du KMT à la présidentielle et aux législatives ouvrirait une nouvelle ère peu favorable. Elle a voulu sanctuariser ses acquis. »

« Mais le paradoxe, poursuit M. Corcuff, c’est qu’en voulant envoyer comme message aux électeurs taïwanais que le KMT est le seul interlocuteur possible pour elle, la Chine “pérennise” l’existence de cette République de Chine qu’elle ne veut pas reconnaître ! Pékin se retrouve ainsi à donner une aura internationale à Ma Ying-jeou, en contradiction avec sa stratégie d’isolement de Taïwan». Cela s’explique, pour le chercheur, par le fait « que la Chine a une image de plus en plus mauvaise à Taïwan, elle a donc joué un joker, qu’elle ne pouvait sortir qu’en cas de crise ».

Chantre d’une Chine plus sûre d’elle-même, Xi Jinping est en train de bousculer le jeu en Asie – multipliant les offensives « dures », comme dans les mers de Chine du Sud et à Hongkong, mais aussi plus « douces », à l’image des Nouvelles routes de la soie. Sur Taïwan, le numéro un chinois avait dès 2013 confié à un émissaire taïwanais que la question de la réunification chinoise « ne pouvait courir de génération en génération ».

Terrain miné

A Taïwan, où la jeunesse est descendue dans la rue en mars 2014 lors du « mouvement des tournesols », pour faire dérailler le dernier volet du rapprochement économique avec la Chine voulu par Ma Ying-jeou, les nouvelles générations sont toutefois de plus en plus réticentes à embrasser un rapprochement avec la Chine. « Le contexte politique à Taïwan a évolué de manière spectaculaire ces sept dernières années. Un nombre croissant de Taïwanais sont conscients de leur identité et du contraste béant avec la Chine. L’ironie, c’est que ceci est une retombée directe du renforcement des liens sous Ma Ying-jeou. Les Taïwanais ont désormais une conscience aiguë du coût du rapprochement avec la Chine », relève le chercheur J. Michael Cole.

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A Singapour, Ma Ying-jeou et Xi Jinping se salueront en terrain miné. L’opposition et une partie de la société taïwanaise, vont ausculter la rencontre en détail, en quête de la moindre atteinte contre la « dignité » et la « souveraineté » de Taïwan.

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