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Décryptage

Changement climatique : Exxon a-t-il menti durant quarante ans ?

Une procédure est lancée aux Etats-Unis contre le géant pétrolier, accusé d'avoir sciemment désinformé le public à propos de l'impact de ses activités sur le changement climatique.
par Laurence Defranoux
publié le 6 novembre 2015 à 20h27

Exxon se retrouve plongé dans un nouveau scandale. Cette fois, pas de phoques englués, comme lors du naufrage de l'Exxon Valdez, sur les côtes de l'Alaska, en 1989, mais des années de mensonges présumés sur l'impact réel de ses activités sur le réchauffement climatique. Cette stratégie cynique rappelle celle des producteurs de tabac qui continuaient à vanter les bénéfices de leurs produits sur la santé des clients alors qu'ils en connaissaient les dangers.

Qu'est-ce qui lui est reproché ? 

Le pétrolier texan est soupçonné d'avoir sciemment diffusé de fausses informations sur les conséquences de ses activités sur le réchauffement climatique et d'avoir sous-estimé l'impact du changement climatique sur ses décisions stratégiques. La procédure, lancée mercredi par le procureur de New York, succède, entre autres, aux révélations de InsideClimateNews et du Los Angeles Times.

Les journalistes révélaient que depuis près de quarante ans, les scientifiques et la direction d'Exxon connaissaient les mécanismes et enjeux du changement climatique. «Dès 1977, ils avaient compris très clairement ce que cela signifiait comme risque pour la civilisation. Ils disaient que la hausse des températures pouvait détruire l'agriculture dans de nombreux endroits et changer la configuration des pluies», expliquaient le 17 septembre les journalistes d'InsideClimateNews, en citant les différentes recherches menées par la compagnie pétrolière pour évaluer l'impact des émissions de CO2. 

Pourtant, en 1989, Exxon fondait avec d'autres exploitants d'énergies fossiles l'organisation Global Climate Coalition (GCC). Derrière son nom très vert, GCC s'est avéré un lobby destiné à retarder les décisions prises par l'ONU pour contrer le changement climatique. Et en 1996, le PDG du géant pétrolier déclarait : «La science n'a pas prouvé que les activités humaines affectent le climat mondial.» Selon le Los Angeles Times, Exxon a acheté pendant quinze ans des espaces publicitaires dans les grands journaux américains pour critiquer la réglementation visant à limiter le réchauffement de la planète.

Quelle procédure judiciaire ? 

Le 20 octobre, le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, candidat démocrate à l'investiture présidentielle, réclamait une enquête judiciaire, puisqu'il apparaissait que «Exxon savait que ses produits étaient nocifs pour le public et a dépensé des millions de dollars pour masquer ces faits».

L'assignation a été lancée le 4 novembre par le procureur de New York, sur la base du Martin Act, une loi qui donne à cet Etat la compétence pour poursuivre les fraudes financières et toutes «tromperies, dissimulations, suppressions, faux-semblants».

L'entreprise devra produire tous les documents prouvant qu'elle n'a pas communiqué à ses clients, investisseurs et salariés des informations tronquées ou fabriquées depuis quarante ans. Des allégations réfutées par le PDG actuel, Rex Tillerson, assurant que «la politique d'Exxon sur ces sujets n'a pas beaucoup changé au cours des années». 

Selon le site d'information financière Bloomberg, cette procédure d'enquête est «l'action publique la plus aggressive jamais menée sur les conséquences financières de la combustion des énergies fossiles». L'initiative d'Eric Schneidermann, le procureur de New York, soutenue par les défenseurs de l'environnement, pourrait être la première d'une longue série. Et inquiéter les multinationales du pétrole, aux Etats-Unis mais aussi à l'étranger, qui ont encore en tête les lourdes condamnations – des dizaines de milliards de dollars – infligées à l'industrie du tabac.

Pour l'instant, cependant, nulle trace de panique au niveau des géants pétroliers. L'action d'Exxon sur le marché de New York n'accuse qu'une légère baisse de 4 % depuis mercredi, celle de Total, autre roi du pétrole, restant stable après avoir stoppé sa courbe ascendante. Et le site d'Exxon affiche encore sur sa page d'accueil : «Nous travaillons continuellement à réduire l'impact environnemental tout en poursuivant la production d'une énergie fiable et abordable essentielle au progrès de l'humanité […], grâce à des normes rigoureuses et de bonnes pratiques.» 

Exxon, c’est quoi ? 

ExxonMobil est une vieille entreprise américaine, descendante de la Standard Oil Company, née en 1870, et résultat de la fusion de Mobil Oil et Exxon en 1972. Plus grande société pétrolière et gazière cotée en Bourse, elle possède 45 raffineries pétrolières et 42 000 stations-service dans une centaine de pays. En France, ExxonMobil est plus connu sous le nom de sa filiale Esso, qui commercialise également les huiles Mobil. Le géant texan se félicitait il y a une semaine de son bénéfice de 4,2 milliards de dollars pour le premier trimestre 2015, moins catastrophique que prévu malgré un plongeon de 47 % dû à la chute des cours du pétrole. Un répit de courte durée ?

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