Publicité

Derrière le rachat de Visa Europe par Visa Inc, la bataille mondiale pour le contrôle des données

FIGAROVOX/TRIBUNE - Les banques européennes ont décidé de vendre l'éditeur de cartes bancaires Visa Europe à la société américaine Visa Inc. Bertrand Chokrane juge ce choix contestable.


Diplômé de l'Ecole normale supérieure et titulaire d'un post-doctorat au MIT, Bertrand Chokrane a été responsable du planning stratégique chez Renault-Nissan puis chez Dassault-Systèmes. Il est actuellement PDG d'une société d'analyse financière spécialisée dans le domaine de l'audit, du conseil et de la prévision de marché. Plus d'informations sur ce site.


Les banques européennes ont pris la décision de vendre l'éditeur de cartes bancaires Visa Europe à la société américaine Visa Inc. Face aux défis sans précédent qui menacent le secteur bancaire, la logique qui prévaut chez les banques européennes est compréhensible, mais est-elle la meilleure?

Depuis la crise financière de 2008, les banques n'ont pas recouvré leur situation d'avant-crise. Si l'économie réelle avait retrouvé une embellie, les pertes subies et les actifs toxiques (créances qui ont peu de chances d'être remboursées) auraient pu être en phase de résorption. Bien au contraire, la dette privée et publique poursuit sa croissance, ce mécanisme s'accentuant du fait de la tendance déflationniste des salaires. En Europe et particulièrement en Allemagne, plus touchée par le ralentissement de l'économie mondiale, les dettes hypothécaires ne sont pas sans poser problème.

Une nouvelle menace sur le secteur bancaire

Les géants du Web s'intéressent sérieusement aux moyens de paiement via les téléphones portables.

A cette première menace, s'en ajoute une seconde: les géants du Web s'intéressent sérieusement aux moyens de paiement via les téléphones portables. Facebook a lancé il y a quelques mois un système de paiement en ligne entre internautes, Apple propose Apple Pay, une fonction de paiement dans son modèle iPhone 6, Amazon crée son propre service de paiement en ligne, menaçant ainsi Paypal. Cette année, Google relance son portefeuille virtuel Google Wallet. Le paiement via les mobiles représente l'avenir des transactions monétaires dans le monde entier. Il s'agit d'une tendance de fond irréversible dans le changement des comportements.

Une réponse en ordre dispersé

Les banques ont bien compris cet enjeu et ont aussi créé des services de paiement via le mobile. Par exemple, en France, Kwixo, Paylib, Fivory, Mobo ou encore Dilizi. Par ailleurs, des banques en ligne, 100% digitales, ont vu le jour, Hello Bank, Soon, etc.

Face à la puissance de frappe de Facebook ou du système d'exploitation Android de Google dépassant le milliard d'utilisateurs dans le monde entier, ou encore, face à Apple et son iPhone, que peuvent faire les banques européennes? Quand les innovations banquières visent plusieurs millions d'utilisateurs, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) visent la centaine de millions au minimum. Le secteur bancaire est confronté à de nouvelles dynamiques beaucoup plus puissantes. Les géants du Net peuvent imposer leur technologie pour le paiement via les mobiles, beaucoup plus facilement qu'une banque.

Les banques européennes ont logiquement préféré se délester des obligations contractuelles qui les liaient à Visa Europe et ne rechigneront pas devant les 21 milliards qu'elles vont recevoir à l'issue de cette vente pour renforcer leurs fonds propres, d'autant que la nouvelle règlementation européenne impose une diminution des commissions sur les transactions par carte, ce qui rend ce marché moins attractif.

La logique américaine

Le point de vue de Visa Inc, l'Américain est différent. Il vise une suprématie géographique sur l'espace Amérique du Nord / Europe, dans le but d'atteindre une dimension suffisante pour affronter les géants du Web à une échelle globalisée. Faire en sorte que les cartes Visa soient acceptées dans le plus grand nombre de commerces en Europe, c'est prendre part à une véritable course contre la montre face aux Smartphones des commerçants et il n'est pas écrit que le succès soit assuré.

La bataille de titans pour les données

Les banques européennes ont donc renoncé à un défi trop difficile et coûteux à relever. N'ayant pas la taille critique, elles sont contraintes d'alléger leur structure de coûts en licenciant leurs collaborateurs par milliers et en fermant des agences. C'est donc une rude bataille qui les attend aussi, au cœur de leur métier. Disons le tout net, elles se battent pour leur survie.

Le véritable enjeu constitue l'accès aux données sur les transactions économiques, données bien plus précieuses que celles obtenues via l'activité non marchande des internautes sur le Web.

Pour ceux qui restent dans la course, il ne s'agit pas d'une bataille entre les cartes bancaires et les mobiles. Le véritable enjeu constitue l'accès aux données sur les transactions économiques, données bien plus précieuses que celles obtenues via l'activité non marchande des internautes sur le Web (traces des sites visités, renseignements laissés sur les réseaux sociaux...)

Mais l'Américain Visa Inc. a-t-il des chances de tirer son épingle du jeu? La question n'est pas là. La question est pour lui de vendre sa peau le plus cher possible, les données cruciales sur les paiements bancaires, faisant d'ores et déjà l'objet d'une intense convoitise.

Alors que la Cour de Justice Européenne vient d'invalider l'autorisation de transférer aux États-Unis les données détenues sur les citoyens européens, d'aucuns se réjouissent de ce qu'ils appellent une victoire juridique et le signe de la résistance européenne face à des sociétés américaines abusives.

Pendant ce temps, et de manière assez discrète, Visa Europe vient de passer aux mains d'une société américaine qui ne manquera pas de collecter, transférer sur le sol américain toutes les données tant convoitées. Une fois encore, les autorités européennes passent à côté des vrais sujets. La bataille des titans pour les données se fera sans eux. Sans aborder le problème du commissionnement sur chaque transaction tant du côté du client que du vendeur. Il est ainsi probable qu'en utilisant sa carte Visa, chaque client et vendeur en Europe aient à l'avenir à payer une commission à Visa Inc. dans son propre pays. Nul doute que Visa Inc. en ait à faire de la nouvelle règlementation européenne imposée au banque de notre vieux continent à savoir une diminution des commissions sur les transactions par carte.

Derrière le rachat de Visa Europe par Visa Inc, la bataille mondiale pour le contrôle des données

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
6 commentaires
  • boubou001

    le

    Donc sans que l'on me demande mon avis toutes mes infos confidentielles qui m'appartiennent vont se retrouver aux USA !!!!

  • JMCO

    le

    Les cartes visa Américaines n'ont pas de puces. Que va devenir l'exception Française avec ses cartes bancaires beaucoup plus sécurisées ?

  • monoeil

    le

    choukrane,merci beaucoup

À lire aussi

Nicolas Baverez: «L’État vautour»

Nicolas Baverez: «L’État vautour»

CHRONIQUE - L’État, en se rapprochant de la faillite, se transforme en kleptocratie: pour continuer à dépenser, la puissance publique est désormais prête à tout.