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TribuneÉconomie

Une « nouvelle économie » pour un monde nouveau

Ni fossile ni fissile, verte, fondée sur le partage, engagée dans le numérique, plaçant l’humain et le bien-être en son cœur, l’économie du « nouveau monde » existe déjà, et ne demande qu’à croître. Deux « fils rouges » peuvent être tirés, selon Corinne Lepage, pour que le modèle dominant fasse enfin place.

Ancienne ministre de l’Environnement, avocate et présidente de Cap 21, Corinne Lepage a été chargée par Ségolène Royal de proposer 100 mesures concrètes pour « dessiner l’économie du nouveau monde ». Elle a remis son rapport en juin dernier.

Corinne Lepage, en 2014.

La « nouvelle économie » – l’économie du « nouveau monde » – ne se définit pas par rapport à un secteur déterminé, notamment celui de l’économie verte. Elle se définit comme une économie ni fossile ni fissile, territorialisée, connectée et qui fait du bien-être et de l’humain le cœur de son objectif. Très clairement, cela signifie qu’elle embrasse non seulement l’économie circulaire, l’économie du partage, l’économie de fonctionnalité mais également les nouveaux domaines technologiques dans lesquels le numérique prend la main et, de manière peut-être plus paradoxale, les secteurs les plus traditionnels de l’activité économique qui sont en pleine mutation, à commencer par l’agriculture, le textile, la construction…

La bonne nouvelle pour les Français est que notre pays regorge de succès, qu’ils soient ceux d’entreprises, de collectivités locales ou d’initiatives citoyennes, qui démontrent à l’évidence, l’efficacité et la rentabilité de cette nouvelle économie. Le rapport « Pour une économie du nouveau monde » remis au mois de juin à Ségolène Royal cite près de 200 exemples qui vont du Master plan du Nord-Pas-de-Calais, permettant une autonomie énergétique complète en 2050, aux toits de Figeac (société coopérative d’agriculteurs au départ, dont le champ de compétence s’est étendu à l’énergie puis à la mobilité) en passant par Énergie partagée et Ercisol (sociétés coopératives d’habitants pour financer le renouvelable) ou BlaBlaCar.

Essayer de modifier la donne

La mauvaise nouvelle est qu’à quelques exceptions près, dont le dernier exemple cité, ces réussites restent au niveau microéconomique et il paraît impossible de massifier ces réalisations pour en faire le modèle dominant.

C’est précisément pour essayer de modifier la donne que le rapport propose cinq mesures structurelles, cinq révolutions et 100 mesures concrètes, qui sont formulées par catégories d’acteurs (entreprises, collectivités locales, citoyens, médias et État). En effet, bien qu’il s’agisse d’un rapport public remis à la ministre, les membres du groupe de travail ont estimé que nombre des propositions pouvaient reposer sur la société civile.

L’action de l’État s’avère toujours très aléatoire en raison de la spécificité du système entrepreneurial français, qui donne l’avantage à quelques grands groupes dont les relations avec l’État restent extrêmement étroites (pour des raisons historiques comme pour des raisons de proximité des dirigeants avec les hauts fonctionnaires et responsables politiques).

Il n’est pas possible de résumer toutes ces propositions mais deux fils rouges peuvent être tirés. Le premier concerne la prise en compte des externalités, qu’elles soient positives ou négatives. En effet, la nouvelle économie a pour particularité de promouvoir les externalités positives. Mettre au cœur des réformes l’internalisation des coûts externes, est donc positif pour le bien commun comme pour les entreprises concernées.

Celle-ci commence avec la comptabilité publique comme avec la comptabilité privée, continue avec la fiscalité et la politique de subventions publiques. Cela signifie concrètement prendre en compte dans la comptabilité privée les données extra-financières, l’impact carbone (et bientôt l’impact eau), et le comportement social notamment. Cela implique pour la comptabilité publique de donner une réalité au rapport Stiglitz et de sortir du sacro-saint PIB comme seul outil de mesure de l’efficacité du système économique.

La COP 21 a eu pour effet de mettre ces sujets sur la table et, en particulier, de démontrer l’absolue nécessité d’un prix du carbone, le double discours autour du financement des projets fossiles (voire fissiles). De plus, l’agenda des solutions porte la preuve de l’efficacité des entreprises qui ont choisi le « nouveau monde ». Il faut aller beaucoup plus loin dans les modes de financement (proposition des crédits d’externalités) la fiscalité (TVA circulaire et a minima une TVA au taux réduit pour les produits issus de l’économie circulaire et les produits bio) et, bien sûr, les choix d’investissement.

Changement de rapport de forces

Le second fil rouge concerne le changement de rapport de forces. Il ne peut y avoir changement de modèle que dans la mesure où les règles du jeu changent. Pour y parvenir, il est indispensable que tous les acteurs du « nouveau monde », à commencer par les entreprises, mutualisent leurs efforts et décident de peser ensemble. C’est l’objectif de la création du Mene (le Mouvement des entreprises de la nouvelle économie), qui rassemble aujourd’hui directement et indirectement environ 5.000 entreprises qui partagent la même vision de l’avenir. Les premières décisions consisteront à mettre en œuvre les propositions du rapport qui dépendent des entreprises.

Ainsi, le Mene pourra-t-il devenir l’outil de diffusion des méthodes et des réussites de la nouvelle économie afin de contribuer à en faire un modèle de plus en plus puissant, mariant l’environnemental et le numérique et faisant ainsi la preuve de notre créativité et de la capacité de notre pays à trouver une voie qui rend compatible l’efficacité économique, la recherche du bien commun et la création d’activités.

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