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Immigration : le FN reconnaît son imposture

Après avoir prétendu vouloir faire passer les entrées légales sur le territoire de 200 000 à 10 000, Florian Philippot et Marine Le Pen racontent désormais une tout autre histoire.
Pour Florian Philippot, le chiffre de 10 000 n’a jamais concerné l’objectif d’entrées légales par an, mais uniquement le solde entre les arrivées et les départs. (Photo Albert Facelly)
publié le 6 novembre 2015 à 19h16

C'était probablement la plus belle arnaque du programme du FN. Depuis quatre ans maintenant, le parti affichait l'objectif d'une division par vingt de l'immigration légale. Un engagement qui a tout du slogan impossible à tenir, et avec lequel le FN commence aujourd'hui à prendre ses distances discrètement. Lors d'un débat sur i-Télé, mercredi, Florian Philippot a ainsi revendiqué cet objectif de 10 000 immigrés par an… mais en assurant qu'il s'agissait d'un solde entre les entrées d'immigrés et les sorties, et non plus du nombre d'entrées légales comme le parti le disait jusqu'à présent. Interrogé par l'AFP, le lieutenant de Marine Le Pen a concédé que le FN avait «affiné sa proposition», promettant que «tout sera remis en perspective pour 2017». Un changement de pied confirmé par la présidente du FN, même si celle-ci a tenté de se défendre de tout changement de programme : «Je me suis déjà exprimée dix fois pendant la présidentielle sur le sujet en disant que ces 10 000, c'est un solde.» Ce qui est un gros mensonge. Jusqu'à mercredi, il était impossible de trouver la moindre trace de cette notion de solde, que ce soit dans le programme du FN, ou dans les déclarations de ses responsables. Et lors de la campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen avait à de nombreuses reprises tenté d'expliquer comment elle comptait arriver à cette réduction drastique de l'immigration, les 10 000 entrées annuelles correspondant selon à elle à un «seuil incompressible».

L’embarras frontiste n’est guère étonnant : il suffit de se pencher brièvement sur l’objectif pour mesurer qu’il est tout bonnement intenable. Prenons trois postes principaux : l’immigration familiale, les étudiants et l’asile.

L’immigration familiale : l’équation impossible de Marine Le Pen

A lui seul, l’examen de ce pan de l’immigration révèle le gag de l’objectif frontiste. L’immigration familiale représentait en 2013, 93 000 entrées légales, soit près de la moitié du total. Il convient donc, comprend-on, de passer de 93 000 à 0. Pour arriver à son objectif, Marine Le Pen s’est jusque-là bornée à répéter qu’elle interdirait le regroupement familial. Soit la procédure qui permet au ressortissant étranger régulièrement installé en France d’être rejoint, sous réserve de remplir certaines conditions (de logement et de ressources notamment) par les membres de sa famille. L’interdiction du regroupement familial contreviendrait au droit à mener une vie privée et familiale, reconnu par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Mais passons sur les droits, qui ne sont pas, on l'a compris, la priorité du FN. Le problème est que la présidente du FN ne semble pas tout à fait avisée des statistiques. Car le regroupement familial ne se confond pas avec l'immigration familiale, loin s'en faut. Il n'en est qu'une petite partie (un quart environ, qui apparaît dans les statistiques dans la rubrique «membre de famille»). En 2013, le nombre d'entrées légales des membres de famille était de 23 132. Il reste sur les bras du FN 70 000 entrées, dont une catégorie qu'il n'a visiblement pas prise en compte : l'immigration des parents et conjoints de Français qui figurent dans les stats dans la rubrique «famille de Français». Il s'agit d'un gros millier d'enfants qui rejoignent chaque année leurs parents français, d'une dizaine de milliers de parents étrangers de Français, et surtout des conjoints étrangers de Français. Ces derniers sont près de 40 000 chaque année à rejoindre leurs époux(ses) français(es), soit un cinquième des 200 000 immigrés arrivant chaque année en France. En janvier 2012, Rue 89 avait interrogé Marine Le Pen sur le sort qu'elle souhaitait réserver aux conjoints de Français. Elle s'était défendue de toute animosité à leur égard : «Vous avez le droit de vous marier avec un Marocain et de vivre en France avec lui. Monsieur Gollnisch s'est marié avec une Japonaise ! Pendant quinze ans, Carl Lang, secrétaire général du FN, était marié avec une Suédoise. C'est un choix personnel que nous ne contestons pas.»

Problème : si les conjoints de Français échappent au programme frontiste, le seuil incompressible passe à l'as illico. En 2012, Désintox avait interrogé sur cette incohérence manifeste Stéphane Ravier, aujourd'hui sénateur FN et à l'époque conseiller à l'immigration du FN. Il avait livré une réponse des plus farfelues : «Pour la majorité, les hommes qui se marient avec des étrangères traversent la Méditerranée pour chercher une épouse dans leur pays d'origine, argumente-t-il. Ils sont français grâce au droit du sol et, avec notre réforme du code de la nationalité, le phénomène va se tasser. La diminution va se faire tout au long du quinquennat.» Résumons : puisque le FN ne veut pas empêcher les Français d'origine étrangère de faire venir leurs conjoints, c'est le nombre de ces Français souhaitant faire venir leurs conjoints qu'il faut réduire. Une bonne blague… Sans compter que les Français d'origine immigrée ne sont pas les seuls à se marier avec des étrangers. Les études sur le sujet montrent ainsi qu'un tiers des Français se mariant avec des étrangers n'ont aucun lien avec la migration vers la France.

La fin du droit d’asile

Le nombre de personnes obtenant l'asile en France chaque année représente à lui seul plus que le plafond migratoire d'une France FN. Au total, 11 371 personnes se sont vu accorder une protection internationale en 2013, dont 9 089 au titre du statut de réfugié et 2 282 au titre de la protection subsidiaire. Sur ce sujet, le FN ne prend pas de pincettes et entend réduire drastiquement la délivrance de ce statut. Ce qui reviendrait tout simplement à violer la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qui définit le réfugié comme «toute personne qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays».

Bye bye, les 60 000 étudiants étrangers ?

Parmi les 200 000 entrées légales annuelles, figurent quelque 60 000 étudiants. Fixer un plafond d’immigration légale à 10 000 reviendrait au moins à diviser par six le flux d’étudiants étrangers. Si le FN a coutume de parler des étudiants africains, il devra aussi se passer des étudiants asiatiques (plus de 10 000 étudiants chinois en 2013), américains (3 200), brésiliens (3 000), coréens (2 200), japonais (1 600) ou mexicains (1 500). L’incongruité de ce coup de rabot sur le flux d’étudiants était notamment apparue à Oxford, où Marine Le Pen avait tenu en février un discours où elle a rappelé son objectif de 10 000 entrées légales.

Drôle d'endroit pour une telle annonce. Il y a dans la seule université anglaise presque autant d'étudiants étrangers (environ 9 000) qu'il y aurait d'entrées annuelles d'immigrés (étudiants compris) dans la France de Marine Le Pen ! On peut aussi s'amuser de l'affirmation maintes fois répétée selon laquelle les quelques étudiants qui seraient acceptés par le FN le seraient à la condition expresse d'un «retour obligatoire à l'issue de leur formation ou en cas d'échec». Une orientation qui va totalement à l'encontre des tendances observées dans les pays développés. La volonté d'attirer des étudiants ne s'explique plus seulement par la volonté de faire rayonner le pays une fois ces étudiants repartis. Il s'agit désormais de les maintenir, notamment les plus qualifiés. Aujourd'hui, le ministère de l'Intérieur estime qu'après huit ans, un tiers des étudiants étaient encore sur le territoire national, soit parce qu'ils se sont mariés, «soit parce qu'ils ont trouvé un emploi, soit parce qu'ils détiennent encore, pour 10 % d'entre eux, un titre de séjour "étudiant". Il s'agit notamment des étudiants en doctorat et en médecine». Un chiffre pas très éloigné de la moyenne de l'OCDE. Le «taux de rétention» des étudiants est ainsi supérieur à 20 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. En France, il faut comprendre qu'il tomberait à… 0 % avec le FN au pouvoir. Faisant donc de la France le seul pays développé à exiger des étudiants… qu'ils décampent au bout de leurs études, quand les autres essayent au contraire de retenir les meilleurs.

Un nouvel objectif tout aussi intenable

Au vu de ces incohérences ou énormités, on comprend que le parti frontiste ait souhaité torpiller sa promesse originelle. Las, ce rafraîchissement programmatique ne met pas le parti à l’abri du procès en enfumage. Car le nouvel objectif (le solde) apparaît tout aussi inaccessible que l’ancien. Même en violant la convention de Genève (pour éradiquer l’asile), même en piétinant la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (pour flinguer tout regroupement familial), même en obligeant tous les étudiants à quitter la France après leurs études, Florian Philippot et Marine Le Pen ont encore sur les bras les 40 000 Français qui font venir leurs conjoint(e)s étranger(e)s chaque année pour vivre en couple marié sur le territoire national. On attend que les responsables frontistes expliquent quelle magie leur permettra de résoudre cette équation impossible.

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