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Dans le même numéro

Poutine et Assad : la « sainte » alliance

par

Esprit

novembre 2015

#Divers

Le spectaculaire retour de la force militaire russe sur la scène moyen-orientale consacre un effort continu de Moscou pour s’imposer à nouveau comme une grande puissance internationale. Sur un nombre croissant de dossiers, Poutine profite des hésitations américaines et de l’impuissance européenne pour affirmer ses positions. Pourtant, la Russie a-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions et maîtrisera-t-elle les difficultés stratégiques du terrain sur lequel elle s’engage ?

Avec un armement renouvelé (des missiles de croisière navals tirés sur la Syrie depuis la mer Caspienne), l’affirmation extérieure russe s’affiche sans complexe. Au moment de la crise des armes chimiques (2013), Moscou avait usé de la diplomatie pour sortir Bachar al-Assad de l’impasse. Désormais, les Russes montrent qu’ils ont la capacité de peser militairement sur le terrain, avec une armée modernisée. Surtout, alors que les Américains et les Européens sont en recherche d’un acteur présentable sur place, renvoyant dos à dos le régime et Daech, Poutine n’est pas embarrassé par cette recherche d’alliance. Son programme est direct et assumé : il s’agit de défendre son allié Assad. Une « guerre sainte », selon le patriarcat de Moscou.

Tout en partageant sur le papier certains objectifs militaires avec les Occidentaux, en particulier l’affaiblissement de Daech, Poutine a montré dès ses premières frappes qu’il entendait agir de manière autonome. Il frappera où il veut et quand il veut. Curieusement, contrairement à ce que pouvaient craindre les Ukrainiens, il n’a pas profité de la situation pour arracher aux Européens des contreparties dans le Donbass. Autonomie d’action à l’est de l’Ukraine ; autonomie d’action auprès d’Assad. Cet unilatéralisme épargne au moins à l’Europe un chantage diplomatique dont l’Ukraine aurait pu faire les frais.

Ce faisant, pourtant, la Russie met le pied sur un terrain dont la complexité est redoutable pour tout le monde et qui ne l’épargnera probablement pas. Pour la première fois depuis son retrait d’Afghanistan (1989), la Russie se trouve impliquée dans une opération extérieure, c’est-à-dire au-delà des pays limitrophes où elle est intervenue dans la dernière décennie (Géorgie, Ukraine…). Elle montre qu’elle est capable d’une projection de forces impensable il y a dix ans. L’« opinion » russe, une fois de plus, fait bloc avec Poutine : opposée à une intervention armée pour soutenir Assad en septembre 2015 (69 % d’opinions négatives), elle a, paraît-il, pris le virage avec ses dirigeants : 72 % des Russes soutiennent les frappes début octobre ! Cela en dit long sur ce qu’on appelle l’« opinion » en Russie, et sur ce qu’on lui fait dire…

Si la Russie profite de ses atouts, elle s’intègre aussi à un jeu dont elle ne maîtrise pas les nombreux paramètres. Il n’y aura pas d’enlisement à l’afghane, parce que l’armée russe n’a pas besoin d’envoyer ses réservistes. Les forces spéciales et des bataillons mercenaires suffiront sans doute à relayer sur le terrain l’implication aérienne. Mais la Russie a-t-elle les moyens de contenir les forces de l’« arc chiite », de Beyrouth à Téhéran, dans lequel elle se trouve de facto intégrée en aidant Damas ? Pour les djihadistes sunnites de Daech, la cible est de choix : un allié des chiites dont la défaite en Afghanistan a marqué le vrai début, bien avant le 11 Septembre américain, du djihad mondial ! Symboliquement, la victoire contre l’Union soviétique avait marqué la naissance de ces nouveaux guerriers de l’islam. Et l’adversaire de jadis revient sur le terrain !

Dans une situation économique difficile, extrêmement dépendante du cours du pétrole, la Russie a-t-elle les moyens de financer deux opérations extérieures simultanées (dans le Donbass et en Syrie) tout en absorbant le coût de l’annexion illégale de la Crimée, qui se révèle extrêmement coûteuse pour les finances russes ? L’exaltation du sentiment patriotique y a certes gagné. La propagande guerrière et patriotique présente bien des avantages pour un pouvoir fort. Mais elle n’a pas le pouvoir de redresser une économie déclinante et parasitée par les oligarques.