« Le Troisième Temple » ou comment déclencher une guerre sainte via un site de financement participatif

 Une association basée à Jérusalem a fait une campagne sur le site de crowdfunding Indiegogo afin reconstruire un ancien temple juif. Seul léger couac : des mosquées se trouvent actuellement à l’endroit du futur établissement religieux.

The Temple Institute, un groupe religieux basé à Jérusalem fondé en 1984, a pour objectif de reconstruire un temple juif sur le mont du Temple. Le projet, intitulé « Build the Third Temple  » (Construire le Troisième Temple), a récemment récolté près de 105 000 dollars (83 000 euros) sur le site à financement participatif Indiegogo : le projet est aujourd’hui financé dans sa totalité. Même si cette somme n’est pas suffisante pour construire une forteresse religieuse, l’Institut du Temple semble pouvoir compter sur l’aide de ses nombreux partenaires et sur le soutien du gouvernement israélien pour les aider financièrement s’ils approuvent le projet – tout comme les milliers de donateurs privés qui ont contribué à lever les dizaines de milliers d’euros en ligne.

Sur leur site internet, les organisateurs expliquent le projet – et ils voient les choses en grand – : en plus du superbe bâtiment religieux, l’Institut souhaite créer des espaces dédiés aux sacrifices d’animaux pour des cérémonies religieuses. Mais, de lourdes questions se posent sur le futur emplacement du complexe religieux juif, le Mont du Temple à Jérusalem, désormais surtout connu sous le nom d’Esplanade des mosquées ou Al-Haram al-Sharif, troisième lieu saint musulman après La Mecque et Médine. Plus gros problème, l’endroit où sont prévues les futures fondations du temple est actuellement occupé par deux des plus importantes mosquées du monde musulman.

Avant ça, il y a des milliers d’années, le lieu saint accueillait les Premier et Second Temples juifs – avant que les Babyloniens et les Romains ne les détruisent successivement. Ce mont est l’un des endroits les plus explosifs du Moyen-Orient, rassemblant les sionistes messianiques et les musulmans. Lieu de prédilection de nombreux religieux, ce site est considéré comme une vraie poudrière. De nombreux conflits, des croisades à la deuxième Intifada palestinienne, s’y sont produits. Le mont du Temple est aujourd’hui surmonté par le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa, deux lieux de culte et de pèlerinage primordiaux pour les musulmans.

C’est là tout le problème. Cette zone historiquement spirituelle – même après qu’Israël a pris son contrôle en s’octroyant les terres aux dépens de la Cisjordanie en 1967 — n’est pas restée aux mains des Juifs. Israël a décidé de quitter le site sous contrôle jordanien par peur de créer de lourdes animosités religieuses. Ainsi aujourd’hui, le lieu est en grande partie réservé aux musulmans alors que les autres religions ont seulement le droit de s’y rendre quelques heures par semaine – sans permission de prier pour éviter les émeutes religieuses. Les Juifs orthodoxes ont parfois même recours à une escorte de la police israélienne pour se protéger de l’ire de musulmans radicaux.

Ce site a toujours été une zone très convoitée par les deux camps. De nombreux mouvements violents s’y sont déroulés ces dernières années. En 2005, un groupe de juifs radicaux a carrément tenté faire exploser le Dôme du Rocher avec une roquette antichar afin de récupérer le mont du Temple par la force – mouvement vite désamorcé par les autorités. Aujourd’hui l’heure est au tact. Avec leur campagne de crowdfunding, l’Institut du Temple essaye de se (re)approprier le site de manière « souple ».

Ce n’est pas la première fois que l’organisation opère dans le but explicite de changer le statu quo. L’objectif est toujours le même, mais les tactiques évoluent. Cette fois-ci, les organisateurs affirment que la reconstruction du troisième Temple juif augure une ère de paix et d’harmonie sur la terre pour tout le monde, pas seulement pour les Juifs. « Nous sommes constamment à la recherche de façons d’inclure autant de personnes que possible dans notre mission pour reconstruire le Temple », écrit le rabbin Chaim Richman – directeur international de l’Institut du Temple. En gros, et comme toute stratégie bien rodée, les objectifs personnels sont mis à l’écart alors que les mots sur le « vivre ensemble » sont prêchés comme une récitation de poésie, en invoquant par exemple « une réunification spirituelle de l’humanité ». De sages paroles aussi reprises par les investisseurs du groupe qui fournissent plus d’un million de dollars de budget annuel. Alors, pourquoi ne pas les croire ? Si certains ont été convaincus, les musulmans eux ne l’entendent pas de la même oreille.

Maintenant que la campagne de crowdfunding de l’Institut du Temple est terminée, il reste à voir comment le groupe peut mettre en place la (re)construction du Temple de façon pacifique en abattant les deux mosquées qui tiennent pour l’instant l’emplacement de leurs futures fondations. C’est avec une sorte de curiosité inquiète que les experts attendent la réaction des musulmans par rapport aux débuts des travaux (s’ils débutent un jour). D’autant plus avec la tension qui règne dans la région depuis quelques mois. Il y a encore peu de temps, des membres de l’État islamique déclaraient qu’ils marcheraient jusqu’à la mosquée al-Aqsa une fois leur combat terminé. Preuve de la force d’un symbole qu’ils ne sont surement pas près de lâcher.