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La banlieue reste un sujet à risque pour les politiques

Dix ans après les émeutes, les inégalités dont souffrent les quartiers périurbains continuent de se creuser.

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Publié le 03 novembre 2015 à 22h18, modifié le 30 novembre 2015 à 10h59

Temps de Lecture 4 min.

Démolition de la barre des 1000 sur le plateau de la Duchère, à Lyon, le 2 juillet.

Rien de tel qu’un sordide fait divers ou – « mieux  », si l’on peut dire – une révolte pour inscrire les banlieues à l’agenda politique (et médiatique). Rien d’autre, surtout. Que le feu s’éteigne, que l’émotion retombe, et le sujet disparaît des écrans radars… pour resurgir à l’embrasement suivant. Il y a dix ans, les réactions ont simplement été à la mesure de l’ampleur des émeutes. En témoigne la proclamation très exceptionnelle de l’état d’urgence, par un décret publié le 8 novembre 2005.

Les chercheurs savent que ces mobilisations sont trop éphémères pour être suivies d’effets. « La politique de la ville est une politique réactive, symbolique, mais structurellement faible  », constate le sociologue Renaud Epstein, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nantes. « Après 2005, il n’y a pas eu de vraie transformation des politiques conduites dans les quartiers populaires  », souligne Marie-Hélène Bacqué, professeure d’études urbaines à l’université Paris-Ouest-Nanterre. Le plan de rénovation urbaine lancé par Jean-Louis Borloo, dans une loi d’août 2003, fut seulement « accéléré  », précise Mme Bacqué.

Martingale

La rénovation urbaine  : une martingale pour les politiques. « Auparavant, la politique de la ville ne représentait que de l’échec  » pour ceux qui en avaient la charge, explique M. Epstein. Quant au travail mené sur le terrain par les centres sociaux, ou les associations proposant du soutien scolaire, il était « invisible  ». Tout à coup, « les tours qui tombent fournissent une actualité positive, spectaculaire et quasi continue  », relève le sociologue, qui évoque « une sorte d’ivresse, d’exaltation  » des politiques à ce sujet « de 2003 à 2012 ». Cette priorité a relégué le reste au second plan. « Dix ans après, on s’est rendu compte que la dissolution des problèmes sociaux dans la démolition et le béton avait fait long feu  », renchérit M. Epstein.

Selon ces chercheurs, la liste est longue de ce qui n’a pas été fait. « On parle de discrimination positive, alors qu’on n’en est même pas à l’égalité  », rappelle Mme Bacqué, qui indique, à titre d’exemple, qu’« au terme de sa scolarité, un enfant de Seine-Saint-Denis aura suivi un an de cours en moins qu’un élève parisien  ». Inégalités vis-à-vis des services publics, déserts médicaux, progression du chômage supérieure à la moyenne… De nombreux indicateurs témoignent depuis longtemps des difficultés spécifiques des banlieues.

Les responsables politiques se sont pourtant faits de plus en plus discrets sur ce sujet. « Depuis 2005, le discours de la solidarité envers ces quartiers et leurs habitants tend à s’estomper, y compris à gauche, observe le sociologue Thomas Kirszbaum, chercheur associé à l’Institut des sciences sociales du politique (ENS de Cachan/CNRS). Aucun responsable politique ne préconise de dépenses supplémentaires. Tous veillent à ne pas donner l’impression d’en faire plus pour ces quartiers, alors qu’ils sont pourtant nettement moins bien traités que le reste du territoire. »

« Ressentiment »

Dans un contexte d’enracinement progressif du Front national, les travaux du géographe Christophe Guilluy mettant l’accent sur les difficultés des zones périurbaines ont contribué à déplacer l’attention. « Les politiques sont massivement acquis à la thèse du ressentiment des “petits blancs” du périurbain  », note M. Kirszbaum, qui y voit la raison du « consensus “républicain” sur la politique de la ville en général, et la rénovation urbaine en particulier  ». « Pour les politiques, souligne-t-il, la meilleure façon de désamorcer le vote FN serait de rendre ces quartiers invisibles. »

Partagé entre le besoin d’adresser des signaux à ces quartiers, potentiels réservoirs de voix, et la crainte de sembler les privilégier, le candidat François Hollande avait évoqué « l’égalité territoriale  » pendant sa campagne présidentielle. « Une expression qui parlait dans les quartiers, mais aussi ailleurs  », souligne M. Epstein. Le slogan était assorti de deux promesses : la délivrance d’un récépissé lors des contrôles de police, et l’instauration du droit de vote des étrangers aux élections locales. Deux promesses enterrées par la gauche au pouvoir.

Professeur de science politique à l’université Lille-II et chercheur au CNRS, Rémi Lefebvre déplore, dans un entretien publié sur Lemonde.fr, « l’extrême frilosité du PS sur toutes les questions qui concernent la banlieue ; y compris le sujet de l’islam, qu’il appréhende de manière anxiogène  ». Selon lui, cela signerait la « défaite culturelle  » d’un parti qui « n’a ni militant ni leader d’opinion dans les quartiers populaires  » et qui « s’est coupé du tissu associatif  ».

« Appartenance nationale  »

Pendant que le PS s’est éloigné de ces quartiers – et de leurs préoccupations –, la droite a radicalisé son discours. Ministre de l’intérieur en 2005, Nicolas Sarkozy « criminalisait des “émeutiers voyous” et développait une vision complotiste en évoquant des bandes organisées qui chercheraient à “détruire la République” », souligne M. Kirszbaum. Mais ce dernier rappelle qu’à l’époque le chef de l’Etat, Jacques Chirac, et son premier ministre, Dominique de Villepin, tenaient un autre discours, comportant « un versant compassionnel [qui] mettait plutôt l’accent sur l’inégalité des chances et les discriminations  ».

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Des thèmes qui – sous une pression encore accrue du FN – ne sont plus guère portés aujourd’hui. « L’assimilationnisme, qui avait marqué la campagne présidentielle de 2012 de Nicolas Sarkozy, revient en force avec Manuel Valls depuis les attentats de janvier, note l’universitaire. Le sentiment d’appartenance nationale de ces populations est à nouveau questionné. »

Conclusion de M. Kirszbaum  : « Si leurs mots diffèrent, il y a une filiation Sarkozy/Valls  : la nation, c’est ce “nous” qui s’incarne dans “nos valeurs” ; “eux” viennent défier ce que l’on est. » Un discours convergeant, qui « construit ces quartiers comme un monde à part, comme le lieu central d’une menace pour la société ».

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