
La modeste salle des fêtes de Kutjevo est pleine à craquer. Trois cents habitants réunis pour accueillir leur héros. Quand il fait son entrée, précédé comme à son habitude de ses « gardes » en chemises noires, ils sont tous debout. Dans cette petite commune agricole perdue au milieu de la Slavonie, région croate frontalière de la Serbie, Branimir Glavas, ancien criminel de guerre en campagne pour les législatives croates du dimanche 8 novembre, se sait en terrain favorable. « Je suis sorti de prison encore plus fort », tonne celui qui promet de tout faire pour rétablir « cette zone qui a été détruite par la guerre [d’indépendance de la Croatie] ».
A 59 ans, celui qui pourrait passer pour un paisible retraité avec son chapeau slavon savoure son retour tonitruant sur la scène politique croate. Branimir Glavas était encore emprisonné début janvier en Bosnie où il purgeait une peine de huit ans prononcée en 2010 pour avoir fait tuer et torturer plusieurs civils serbes lorsqu’il était commandant militaire de la ville d’Osijek, en 1991. Sur son jugement, il est précisé que les corps de ses victimes étaient la plupart du temps jetés dans la Drave, la rivière qui longe la ville. Et que l’une d’entre elles a été contrainte de boire de l’acide de batterie.
« Glavas a été un combattant comme moi, il a défendu la Croatie », vante Vinko Baric, un invalide de guerre de 48 ans venu le soutenir. Ses crimes ? « Cela ne me regarde pas », glisse le solide gaillard qui élève des porcs pour compléter sa pension de vétéran de 2 000 kunas (265 euros) par mois. L’assistance est composée quasi exclusivement d’hommes, agriculteurs ou vétérans de guerre, voire les deux à la fois.
« Faucons slavons »
« Je me considère comme innocent, j’ai été victime d’une répression politique », proteste l’ancien général, sourire avenant mais regard perçant, au siège de son parti situé dans un des nombreux immeubles d’Osijek encore criblés d’impacts de balles. Il s’appuie sur l’annulation surprise pour vice de forme de sa condamnation en appel prononcée en janvier par la Cour constitutionnelle croate. Dans l’attente d’un nouveau procès, il a pu sortir en liberté provisoire et reprendre les rênes de l’Alliance démocratique croate de Slavonie et Baranya (HDSSB), le parti « régionaliste et nationaliste » qu’il a fondé en 2005 pour garder la main sur une région dont ce juriste de formation a longtemps été le maître incontesté.
De retour dans son fief, il compte bien retrouver son poste de député – et l’immunité qui va avec. Sa campagne, ciselée pour plaire aux habitants de cette région durement touchée par la pauvreté et la guerre, multiplie les provocations. Sa « garde des faucons slavons », officiellement simple « section sportive », est par exemple composée de jeunes en uniformes noirs qui marchent au pas, ressemblant furieusement à ceux de la milice qu’il dirigeait en 1991. Censés s’occuper de la sécurité du parti et d’action humanitaire, ils ont défilé sans prévenir devant le Parlement croate à Zagreb, le 19 octobre, suscitant un choc dans le pays.
« Cela était autorisé, car ils étaient allés déposer leurs listes. Ils ne sont pas armés, il n’y a rien d’illégal », explique bien embêté Ranko Ostojic, le ministre de l’intérieur (social-démocrate), qui préfère les prendre de haut. « Ses chemises noires sont un corps sportif récréatif, non ? » « Je ne soutiens pas son type de communication, mais chacun a sa façon de contacter les électeurs », explique de son côté Pero Cosic, candidat en Slavonie du HDZ, le parti conservateur croate d’opposition. Un parti que Branimir Glavas a quitté en 2005 après en avoir été un des fondateurs aux côtés du nationaliste Franjo Tudjman, le « père » de l’indépendance du pays.
Pouvoir de nuisance
« Le résultat de l’élection de dimanche s’annonce très serré et les autres partis auront peut-être besoin de lui pour gouverner. Alors ils le tolèrent et personne n’est vraiment très clair », déplore Drago Hedl, journaliste et auteur d’un livre sur Branimir Glavas (« Chronique d’une destruction », non traduit). Même s’il baisse dans les sondages, le parti devrait sauver son groupe au Parlement.
Fort de son pouvoir de nuisance, il n’exclut de soutenir aucun des deux partis. « Après dix ans d’existence, nous voulons passer de l’opposition au pouvoir », martèle l’ancien maître d’Osijek lors de tous ses meetings. Quel sera le prix d’un éventuel soutien ? Au-delà du discours ultra-basique sur le soutien à l’agriculture slavone et sur son propre sort, Branimir Glavas pourrait imposer un durcissement de l’accueil des migrants dans le pays, situé au milieu de la route des Balkans. Plus de 300 000 réfugiés ont traversé le pays depuis mi-septembre, avec la bénédiction du gouvernement, mais sous les critiques de la droite.
« On aurait dû faire comme la Hongrie qui a su protéger ses intérêts nationaux », assure M. Glavas, fervent défenseur des racines catholiques de la Croatie et admiratif de la clôture installée par Viktor Orban à la frontière hongroise. Mais les manifestations antiréfugiés soutenues par son parti ont jusqu’ici peiné à attirer du monde. Marqués eux aussi par la guerre, les Croates restent en effet dans leur majorité favorables à l’accueil des migrants. Est-ce un signe de la fin de Branimir Glavas ? « Je ne pense pas que les électeurs sont encore prêts à le suivre », veut croire Nenad Zakosek, professeur de science politique à l’université de Zagreb.
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