Pierre Soulages : “Le sacré n'est pas le religieux : tout le monde le porte en soi”

Ses aplats noirs l'ont rendu célèbre. Une exposition revient sur l'expérience unique du célèbre peintre aveyronnais en matière de création de vitraux, dans l'abbatiale de Conques.

Par Eric Delhaye

Publié le 21 mai 2015 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h39

Votre nom est associé à une exposition sur le vitrail contemporain. Quel regard portez-vous sur cette discipline, que vous avez pratiquée à l'abbatiale de Conques ?

Je me suis focalisé sur mes vitraux, sans regarder ce qui s'était fait ailleurs. Mais je connais les vitraux de Chagall et de Rouault. Ils sont très beaux, dans la droite ligne de leur peinture, avec des éléments représentatifs. Alors que mon travail ne renvoie qu'à lui-même. Je ne représente pas, je présente. Je ne dépeins pas, je peins. Et quand je peins, j'ai l'impression que je suis encore en vie.

Qu'y verra-t-on de votre travail ?

Mon musée, à Rodez, a prêté des cartons [des plaques grandeur nature en mélaminé blanc, NDLR] préparatoires à la réalisation des vitraux. L'architecture de Conques est dominée par la compacité, la force et la verticalité. Je devais différencier le monde de la lumière. J'ai imaginé des lignes obliques et souples pour les vitraux. Mais avant, une recherche m'avait occupé durant des années : celle du verre le mieux adapté.

La réalisation des cent quatre vitraux de Conques vous a mobilisé de 1986 à 1994. Etait-ce une parenthèse dans votre oeuvre ou sa continuité ?

Sa continuité, car j'ai toujours travaillé la lumière. La lumière se reflète sur la surface fibreuse, lisse ou tourmentée de mes peintures noires, de même qu'elle traverse mes vitraux à Conques. Son rôle est primordial dans l'architecture de l'abbatiale. Pour respecter rigoureusement cet espace, j'ai inventé un verre incolore, qui coupe le regard de l'extérieur — il peut ainsi se concentrer sur la beauté de l'endroit. Mais ce n'est pas un verre uniforme : ses grains sont variés et ces variations créent un chromatisme. Ainsi, des changements se produisent du matin au soir : dans un tel lieu, il convient de marquer l'écoulement du temps.

S'agissant d'un édifice religieux, le caractère sacré de cette lumière a-t-il influé ?

Le sacré n'a pas précédé mon travail, il y est arrivé naturellement. Autrefois, quand des gens entraient dans l'abbatiale, ils bavardaient. Aujourd'hui, ils chuchotent. La lumière provoque le recueillement.

« Je suis agnostique. La seule chose que je sais, c'est que je ne sais pas »

Etes-vous croyant ?

Je suis agnostique. La seule chose que je sais, c'est que je ne sais pas. Mais le sacré n'est pas le religieux : tout le monde le porte en soi.

D'autres projets de vitraux vous ont été présentés. Pourquoi les avoir refusés ?

On m'a surtout proposé la nouvelle synagogue d'Aix-la-Chapelle. Mais il aurait fallu que je repense tout et j'y aurais encore passé des années. Or, mon métier, c'est la peinture. Conques ne se refusait pas. Je devais avoir 14 ans quand, en regardant la nef de Conques depuis le transept, j'ai éprouvé un emballement face au rapport entre l'espace, l'architecture et la lumière. J'aimais déjà peindre mais, soudain, c'est devenu la seule chose qui compte.

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