
Ce sont les vigies ou des mouchards de la démocratie, les sauveteurs ou les dénonciateurs de nos sociétés numérisées. Edward Snowden, Julien Assange ou Irène Frachon : ces noms figurent désormais au panthéon de la citoyenneté numérique, au firmament de la désobéissance civique.
Exilé à Moscou, le premier est un ancien employé de la CIA qui a rendu publique une partie du programme de surveillance de masse de la NSA, l’Agence nationale de la sécurité américaine dont il était l’un des consultants. Réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres, le deuxième est le fondateur de WikiLeaks, site de divulgation d’informations secrètes, célèbre pour avoir rendu publics des câbles confidentiels de la diplomatie américaine. Pneumologue au CHU de Brest, la troisième a contribué à mettre au jour le scandale du Mediator, ce médicament commercialisé par les laboratoires Servier, parfois utilisé comme un coupe-faim, et qui aurait provoqué la mort d’au moins 500 malades.
Tyrannie de transparence
Pour leurs partisans, ces lanceurs d’alerte auraient même métamorphosé les luttes pour l’émancipation du côté de l’individualité et de l’anonymat (L’Art de la révolte, Geoffroy de Lagasnerie, Fayard, 220 pages, 17 euros).
Pour les autres, ils seraient propagandistes « soft » de la tyrannie de transparence généralisée. Mais comment distinguer le bon grain de l’ivraie, le sauveur du délateur ? Et puis, le combat des lanceurs d’alerte a-t-il été efficace ?
Car un an après Luxleaks, la révélation d’accords secrets passés par plus de trois cents multinationales basées au Luxembourg afin d’échapper à l’impôt et ses faibles retombées, la question mérite d’être posée. D’où l’envie de renouveler un dialogue commencé il y a un an lors des 17es Rendez-vous de l’Histoire de Blois entre l’avocat William Bourdon et l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, que Le Monde a organisé.
Crise de la représentation politique
Et les oppositions ne manquent pas. Pour William Bourdon, les lanceurs sont les Antigone de notre temps car « ils choisissent de faire prévaloir leur conscience sur le devoir d’obéissance », alors qu’Hubert Védrine refuse de comparer ces figures contemporaines aux héros du XXe siècle, tels De Gaulle ou Mandela.
Pour l’avocat, le secret des sources fait du journaliste « un lanceur d’alerte institutionnel » alors que l’ancien diplomate avait considéré les médias qui avaient collaboré avec WikiLeaks en 2010 comme « complices de recel ». Ainsi c’est à « l’injonction d’une transparence immédiateté, totale et absolue » que le président de l’Institut François-Mitterrand entend résister lorsqu’il défend le maintien de « certains secrets », alors que le président de l’association Sherpa, s’il reconnaît « une part incompressible de secrets d’Etat », exige une autorité indépendante qui accueillerait les lanceurs d’alerte les plus menacés. Des rapprochements s’opèrent également.
Ainsi les lanceurs d’alerte apparaissent-ils à tous deux comme le symptôme d’une crise de la représentation politique. Ainsi faut-il rompre avec le romantisme d’une figure qui peut apparaître aussi bien au camp de l’émancipation qu’à celui de la réaction. Un dialogue destiné donc à mesurer la portée de nos modernes vigies.
A lire sur le sujet:
- A quoi servent les lanceurs d’alerte, entretien avec William Bourdon et Hubert Védrine (propos recueilllis par Nicolas Truong).
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