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Billet de blog 8 novembre 2015

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De quoi l'autorité est-elle le nom ?

Vous avez dit autorité ? L'autorité selon le dictionnaire est le pouvoir de commander et d'être obéi. Mais si elle ne s’appuie pas sur une légitimité, elle n’est que de l’autoritarisme mal placé. Or, depuis quelques semaines, le débat politique ne cesse de tourner autour de cette notion-valise, qui renvoie à un sentiment d’insécurité en partie réel et en partie créée par le bruit médiatique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vous avez dit autorité ? L'autorité selon le dictionnaire est le pouvoir de commander et d'être obéi. Mais si elle ne s’appuie pas sur une légitimité, elle n’est que de l’autoritarisme mal placé. Or, depuis quelques semaines, le débat politique ne cesse de tourner autour de cette notion-valise, qui renvoie à un sentiment d’insécurité en partie réel et en partie créée par le bruit médiatique. Tandis que Manuel Valls et Nicolas Sarkozy se livrent à un concours de coups de menton pour mettre en scène la réponse d’autorité à cette demande d’ordre d’une grande partie de l’électorat, François Hollande adopte la posture martiale de chef de guerre sur les questions internationales. Ce qu’on ne peut pas faire en interne, on le fait en externe. Tout cela n’est qu’un jeu d’ombres qui masque mal le véritable objectif de ladite autorité de l’Etat : protéger l’ordre social existant. Mais quelle est la nature de cet ordre ? Est-il juste ou injuste, égalitaire ou inégalitaire ? Favorise-t-il les puissants ou les plus défavorisés, les possédants ou ceux qui n’ont rien ? Car  l’ordre social n‘est ni naturel, ni évident ; Il résulte d’un rapport de force social et politique et non d’un Etat de droit abstrait.

Que ce soit à Notre-Dame-des-landes ou à Air France, qui a mis a mal l’autorité de l’Etat ? La réponse est claire : l’Etat lui-même, du moins ses représentants, qui ont laissé pourrir des situations qu’il était possible de résoudre depuis longtemps. Pour l’aéroport, projet contesté depuis sa conception en 1967, François Hollande aurait pu, aurait dû proclamer son abandon dès mai 2012. Il n’aurait fait qu’appliquer une jurisprudence de la gauche au pouvoir : en 1981, François Mitterrand n’avait pas tergiversé pour arrêter les travaux de la centrale nucléaire de Plogoff et renoncer à l’extension du camp militaire du Larzac ; en 1997, Lionel Jospin avait consolidé la gauche plurielle en abandonnant la construction du Canal Rhin-Rhône et du surgénérateur Super Phenix.  En bon technocrate de la promotion Voltaire, François Hollande n’a pas la sensibilité politique de ses prédécesseurs vis-à-vis des symboles politiques. Il ne considère pas nécessaire de s’engager au-delà des discours convenus sur la Cop 21 et de la loi sur la Transition énergétique. Comme s’il avait déjà assez « donné » aux écolos. Pour lui, l’écologie n’est pas une solution mais un problème, qui entrave le développement économique.

On pouvait penser qu’Air France, compagnie aérienne dont l’Etat est l’actionnaire principal, ferait l’objet du fameux «dialogue social» tant vanté par l’ancien deloriste, responsable des clubs Témoins. Là encore, rien… Sinon la matraque et l‘arrestation de syndicalistes tels des terroristes. Même De Gaulle et Pompidou n’avaient pas osé faire cela contre les grévistes de Sud Aviation, à Nantes, qui avaient séquestré leur  patron et lancé la grève générale de mai juin 68.

Tout se passe comme si François Hollande et son équipe gouvernaient à partir d’orientations idéologiques et non pragmatiques, comme ils le prétendent à chaque instant. A part le fait de nous dire sur tous les tons «  Vive l’entreprise », ils se moquent comme de l’an quarante des réactions de la société et particulièrement de ce que l’on appelait avant - mais ça, c’était avant -  le « peuple de gauche ». Ce dernier, au-delà d’une apparente résignation, est atteint dans toutes ses composantes. Prolos, bobos, écolos, étudiants, paysans de la « Conf », artistes solidaires des réfugiés, retraités, jeunes des quartiers, salariés de la fonction publique… Chaque semaine amène son lot de provocations gratuites, de renoncements, de mépris social. Ici, un Macron s’attaque aux 35 heures et au statut de la fonction publique, là Bercy, donc Sapin, s’attaque aux retraités et aux handicapés, par le biais de l’impôt, pour reculer ensuite dans le désordre. Quant à Manuel Valls, fidèle à sa ligne et à son agenda caché, il dit tout haut ce que tout le monde sait depuis près de 35 ans : Les socialistes renoncent définitivement au droit de vote des étrangers extra-communautaires. Un renoncement de plus, après le récépissé face aux contrôles aux faciès, les expulsions des Roms, Arcelor Mittal, la lutte contre « mon ennemi, la finance » … Il est vrai que l’autorité de l’Etat, avait déjà été mise à mal au plus haut sommet, avec les affaires Cahuzac et Thévenoud, ces deux ministres qui regardaient le Président et la France, les yeux dans les yeux, tout en assumant leurs turpitudes.

C’est cet inventaire à la Prévert qui atteint au plus profond l’autorité de l’Etat, pas les zadistes de Sivens ou de Notre-Dame-des-landes, pas les syndicalistes d’Air France, de PSA ou de Goodyear, pas les Roms ou les sans-papiers, pas les réfugiés de la jungle de Calais… Il est plus facile de taper sur les faibles, transformés en boucs émissaires et de céder devant les puissants, c’est une loi générale du pouvoir. Mais quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent aussi de respecter la parole dévaluée et les lois de ceux qui prétendent gouverner en leur nom. Alors, ils prennent le chemin de la désobéissance civile ou pratiquent la grève du vote. Le succès actuel de la droite et de l’extrême droite actuellement, n’est pas dû au soi-disant laxisme du pouvoir, mais au trop-plein d’autoritarisme mesquin, au décalage entre les promesses et les actes,  à cette logique de contre-réforme et au discours libéral d’une gauche de droite qui a délibérément enterré les lignes de démarcation entre Les Républicains et le PS.

Il y a presque 60 ans, en 1956, la SFIO avait agi de même, en faisant voter par toute la gauche parlementaire, y compris le PCF, les pouvoirs spéciaux en Algérie, puis en organisant l’intervention franco-britannique contre l’Egypte de Nasser… La gauche a du attendre 25 ans pour  revenir au pouvoir. Nous sommes, peut-être, entrés dans une telle période avec, en plus, la menace du FN, instrumentalisé par le Parti Socialiste.

Les différents mouvements, coopératives, associations politiques, qui se créent en ce moment, ressemblent à ce qui a germé après le triomphe du gaullisme, avec le foisonnement des Clubs ou Conventions divers. C’est dans les marges que se reconstituera une gauche de combat et d’innovation, dont le moteur sera l’écologie politique (à condition qu’elle sache se débarrasser de sa maladie sénile, la lutte des places) et dont le carburant sera le réveil d’une jeunesse sacrifiée sur l’autel du chômage par l’autorité d’un Etat défaillant quand il s’agit d’insécurité sociale.

D’ici là, l’autorité restera dans le domaine de la surenchère permanente entre des clans qui s’affrontent pour partager le pouvoir. Ils appelleront de plus en plus à la répression ; quand il n’y a plus de légitimité sociale, l’autorité se résume à l’ordre brutal d’une police et d’une justice aux ordres.

Notre tâche à nous, alors,  sera ingrate mais nécessaire. Face à l’autoritarisme à la petite semaine et aux empiètements de l’Etat au service des lobbies prédateurs, il faudra encore et toujours, comme le disait à son époque Michel Foucault, « défendre la  société » face à l’Etat. Défendre la société, c’est protéger son autonomie, son émancipation, sa capacité de résistance et d’innovation.

C’est en retrouvant la société que la gauche et les écologistes restaureront leur légitimité sociale et politique perdue, seul véritable fondement de toute véritable autorité. 

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