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Littérature

Ces insoumis qui ont concilié morale et politique

Il y a ceux qui acceptent tout. Même le pire. Et puis il y a ceux qui disent non. Chacun à leur manière. Ces insoumis sont au cœur du dernier livre de l'historien philosophe Tzvetan Todorov (Robert Laffont/Versilio).

Le philosophe Tzvetan Todorov.
Le philosophe Tzvetan Todorov. Photo: E.Fougere
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Encore faut-il s’accorder sur le terme insoumis. Pour Tzvetan Todorov, il s’agit de ceux qui se révoltent « contre l’oppression qu’ils subissent », « ils se réclament d’une valeur transcendante et eux-mêmes possèdent une vertu morale, leurs moyens sont non violents, ils consistent pour l’essentiel à affirmer avec persévérance ce qu’ils tiennent pour vrai et juste ».

Avant tout, il faut souligner le sens de ce livre en rappelant que l'auteur est né et a vécu dans la Bulgarie communiste jusqu'à sa naturalisation en France, en 1973. Cette Bulgarie-là était une alliée fidèle de l'URSS. A l’époque Sofia imposait un ordre tout aussi totalitaire que Moscou.

Tzvetan Todorov a donc non seulement connu la pénurie permanente mais aussi la restriction des libertés et, un peu plus tard, écrit-il, « j'ai pris conscience d'un autre lourd défaut de ce régime, à savoir la confusion entre morale et politique ». Derrière le village Potemkine des idéaux communistes, se dressait une dictature. « Au lieu d'une politique inspirée par les valeurs universelles, on avait affaire à une instrumentalisation de ces idéaux élevés au service des buts pratiques les plus bas ».

Depuis cette époque, l'auteur est habité par la question de la morale dans la vie publique. Elle l'a poursuivi, quand, deux ans après la fin de ses études, il a quitté son pays natal pour la France. En effet, il n'a pas fallu longtemps à l'intellectuel curieux, pour constater qu'une démocratie aussi pouvait avoir un problème avec la morale. Ici, « Il ne s'agissait plus d'une confusion entre morale et politique, écrit Tzvetan Todorov, de leur constante instrumentalisation, mais plutôt d'une progressive disparition de la morale du discours public. »

Et c'est ainsi que nous en venons à la résistance, à cette volonté d'agir face à la contrainte au nom d'une morale ou de la morale. « Je me sens concerné par les résistants pacifiques qu'ont été, en pays communistes, les dissidents, et par les formes de morale qui, dans une démocratie libérale, peuvent jouer un rôle actif dans la vie publique », écrit l'auteur qui note qu'une insoumission est à la fois « une résistance et une affirmation ». « C'est un double mouvement permanent, où l'amour de la vie se mêle inextricablement avec la détestation de ce qui l'infecte ».

Portraits

Dans Insoumis, Tzvetan Todorov nous propose le portrait de quelques figures qui ont fait de leur vertu morale un instrument politique ; des personnalités entrées dans l'histoire comme Nelson Mandela, dans le panthéon des intellectuels résistants comme Alexandre Soljenitsine ou Germaine Tillon, des lanceurs d'alerte comme Edward Snowden.

Dans les pages ciselées de ce livre, il y aussi des personnalités plus discrètes comme Etty Hillesum, cette Hollandaise morte à Auschwitz en 1943 dont l'auteur raconte le combat intérieur face à l'oppresseur nazi : « Sa position est extrême en ce qu'elle renonce délibérément à toute réponse politique, à toute action même qui se situerait dans le monde extérieur, pour n'aspirer qu'à une réaction de nature morale, consistant en une transformation intérieure d'elle-même ou, dans un deuxième temps, en une aide individuelle aux persécutés. »

L'essayiste revient donc aussi sur l'esprit de résistance de Germaine Tillon, cette ethnologue qui de retour de recherches en Algérie, s'est trouvée plongée dans le Paris de la défaite en 1940 et s'est engagée immédiatement dans la résistance, mettant en avant l'humour, la distance avec soi-même et la discipline de l'esprit pour tenir après sa déportation au camp de Ravensbruck.

Dans une comparaison saisissante, Tzvetan Todorov montre comment les deux prix Nobel russes Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsine ont, chacun à leur façon, dénoncé le pouvoir soviétique. L'un, l'auteur du roman Le Docteur Jivago, privilégiant la vie, l'autre, auteur de L'Archipel du goulag donnant la priorité à la vérité, quitte à tout sacrifier pour elle.

Dans son essai d'une grande profondeur, le philosophe pose un regard sur l'insoumission de Nelson Mandela, l'homme de combat qui, en prison de 1962 à 1990, a privilégié l'introspection, la méditation pour envisager une nouvelle forme de combat afin de « libérer un peuple de la haine ».

Tzvetan Todorov nous parle en outre de David Shulman, professeur à l'université de Jérusalem et défenseur des Palestiniens aux prises avec la colonisation, ou bien encore d'Edward Snowden qui, au départ « n'a guère le profil d'un révolté » mais qui, au fil du temps, comprend que la NSA (National Security Agency) et le gouvernement transgressent la législation. « Il y voit une sorte de coup d'Etat de l'exécutif contre la Constitution américaine ». Et décide donc de mener un combat solitaire.

Tzvetan Todorov a été heureux d'écrire ce livre consacré à ces destins d'insoumis. « Leur attitude envers le monde suscite mon admiration », note-t-il, ne serait-ce que pour « leur refus de diviser la population de la planète en deux groupes étanches, amis et ennemis, bons et méchants ».

Pour en savoir plus :

Tzvetan Todorov est l'invité de l'émission Idées, dimanche 8 novembre 2015 (à 16h10 TU vers toutes cibles).

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