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Huit jours en Corée du Nord

Mon voyage a été truffé de petites merveilles tout à fait inattendues. Une chose est sûre: la Corée du Nord est absolument unique sur cette planète.
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Bienvenue dans la civilisation la plus isolée du monde

En septembre 2015, je suis allé en Corée du Nord pour tout d'abord me rendre compte de ce que c'était de vivre dans le royaume des ermites. La plupart du pays ressemble à ce que j'imaginais: c'est étrange, artificiel, parfois très déconcertant, et la propagande est partout.

Néanmoins, mon voyage a été truffé de petites merveilles tout à fait inattendues. Une chose est sûre: la Corée du Nord est absolument unique sur cette planète.

Depuis mon retour, beaucoup de gens, des amis comme des inconnus, me posent des questions sur mon séjour. Les gens sont beaucoup plus intéressés par la Corée du Nord que ce que je pensais. Ils sont si curieux que j'ai écrit le récit de mon voyage pour les partager avec vous.

Les photos et les articles ne rendent pas assez compte de la réalité nord-coréenne. En tant que touriste, on est observé 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, on n'a aucune liberté et on est en tension constamment. J'espère toutefois que cet article vous donnera au moins un aperçu de ce qu'est la vie dans l'une des destinations les plus restreintes et mystérieuses du monde.

Les règles

À mon arrivée, avant même que la navette n'ait quitté le stationnement de l'aéroport, les chaperons officiels ont commencé à nous indiquer les règles à suivre. Les voici:

•Toujours se déplacer en groupe. Nous nous déplacions toujours en bus, même pour aller d'un pâté de maison à un autre. Il est formellement interdit de quitter l'hôtel en pleine nuit ou d'explorer la ville en solo.

•Pas de photos de sites militaires ni de soldats. C'est difficile d'éviter ce genre de photos, puisqu'environ 40% de la population nord-coréenne travaille pour l'armée.

•Pas de photos de chantiers de construction ou d'ouvriers du bâtiment. Le gouvernement veut que le monde ait une représentation parfaitement immaculée de son pays. Les photos de bâtiments à moitié construits et d'ouvriers en sueur ne font apparemment pas l'affaire.

•Si vous prenez des photos de leurs chers dirigeants, cadrez les de plain-pied. Ne vous avisez pas de rogner une partie de leur corps.

•Si vous avez des magazines ou des journaux qui contiennent des images des chers dirigeants, ne froissez pas ces pages. Il est également interdit de jeter ces journaux à la poubelle ou de les utiliser comme papier d'emballage.

•Quand vous allez voir la statue d'un dirigeant, votre groupe doit se ranger en file indienne devant et s'incliner. Vos mains ne doivent pas être dans vos poches, ni derrière le dos, mais le long du corps.

Propagande

La première chose qui m'a frappée en sortant de l'aéroport, c'est la propagande. Elle est vraiment partout. Chaque carrefour, chaque bâtiment, chaque station de métro et même chaque rame de métro est affublé de portraits des chers dirigeants de la nation. Des drapeaux et des fresques géantes vantent les mérites de la Corée du Nord et de l'idéologie de Kim Il-sung sur l'autonomie.

Des vans de propagande sillonnent les rues, des immenses mégaphones installés sur leur toit.

Tous les matins, à 6 heurs 30, on se réveille au son délicieux de la musique de propagande qui retentit dans la rue.

Même les habitants font partie de la machine de propagande. Tous les Nord-Coréens portent un badge rouge affublé des visages de Kim Il-sung et Kim Jong-il. J'ai essayé, en vain, de mettre la main sur l'un de ces badges, mais les touristes n'ont pas le droit d'en avoir. Il faut les mériter en offrant ses loyaux services au pays.

Au travail, on n'échappe pas non plus à la propagande. Les entreprises, comme l'usine de textile que nous avons visitée, ont des posters de propagande affichés partout à l'intérieur et sur les murs extérieurs.

Le plus effrayant reste la propagande présente au sein des écoles. Pendant notre séjour, nous avons visité deux écoles: une école primaire à Pyonsong, une petite ville au nord de Pyongyang; et le Children's Palace, une école de la capitale pour les très bons élèves.

Ce que nous avons vu sur les murs de ces institutions nous a troublés: des monstrueuses images de guerre, d'assassinats, de morts à côté de portraits façon Disney des chers dirigeants bienveillants et adulés par les enfants.

Sur l'un des murs consacrés aux images de guerre, l'administration de l'école avait même recouvert certaines photos avant notre arrivée. Je me demande bien ce qu'ils ont pu cacher, étant donné que les parties visibles étaient déjà choquantes.

L'élite de Pyongyang

Vivre à Pyongyang, c'est comme vivre au Capitole du film Hunger Games. Seule l'élite y est admise. C'est ici que la propagande est la plus présente, que l'amour pour les dirigeants est le plus passionné et que la vie y est la plus douce.

Si vous vivez à Pyongyang, vous êtes le 1%. Grâce à ce statut, vous avez des privilèges que personne ne possède dans le reste du pays:

• Vous êtes logés gracieusement dans des appartements de haut standing en échange de bons et loyaux services rendus au pays.

• Vous avez accès aux supermarchés où se trouvent les marques Nutella, Oreo, Absolut Vodka et... des sandales en plastiques. Certaines photos sont un peu floues, parce qu'il est interdit de prendre des photos dans ces magasins. J'ai dû être créatif. Les produits étaient parfaitement alignés, les rayons étaient remplis. Tout était fait pour souligner l'abondance et la prospérité.

Vous pouvez voir sur la photo du haut toutes les caméras de surveillance qui pendent du plafond. Il y en avait plus dans ce petit supermarché que dans ma banque aux États-Unis.

• Vous prenez le métro soviétique:

• Vous utilisez un téléphone intelligent:

• Vous pouvez aller dans les parcs d'attraction le week-end:

Ce que nous avons vu à Pyongyang n'est certainement pas représentatif de la vie de la majorité des Nord-Coréens. Mais il y a tout de même un meilleur niveau de vie que ce à quoi je m'attendais.

Une jungle de béton soviétique

Au final, Pyongyang est beaucoup plus développé que ce que je pensais.

Bien sûr, la plupart de la ville est faite de bâtiments grisâtres à l'architecture soviétique - tels des immenses blocs Lego en béton. Mais je ne pensais pas qu'il y en avait autant.

De loin, certaines parties de la ville sont même plutôt pittoresques. Mais cette beauté disparaît rapidement, dès que l'on observe d'un peu plus près. En regardant bien, on se rend compte que ce paysage urbain est souvent branlant et brut.

Des chantiers abandonnés jonchent la ville, laissant Pyongyang remplie d'échafaudages et de bâtiments à moitié construits.

Le projet de construction non achevé le plus célèbre est sans doute l'hôtel Ryugyong, le plus grand bâtiment de Corée du Nord. La construction a commencé en 1987 et le bâtiment n'a toujours pas pu ouvrir à ce jour.

Une petite anecdote: l'élite nord-coréenne adore les restaurants panoramiques. C'est un critère indispensable pour les hôtels de luxe. Les deux meilleurs hôtels de Pyongyang - l'hôtel Koryo et l'hôtel Yanggakdo - en ont un. Ainsi, pour assurer sa suprématie dans le monde de l'hospitalité, l'hôtel Ryugyong a été conçu pour accueillir pas un, ni deux, mais cinq restaurants panoramiques! Ils sont dans le cône cylindrique en haut de la tour sur les photos ci-dessous:

La zone démilitarisée

Dans un pays officiellement en guerre avec son voisin du sud, la menace de conflit est réelle. Le risque de guerre est surtout palpable dans la zone démilitarisée entre la Corée du Sud et la Corée du Nord.

Il faut trois heures pour aller de Pyongyang à Panmunjom, la ville frontière de la zone démilitarisée. Pyongyang est ainsi deux fois plus loin de l'éventuelle bataille à la frontière que Séoul, qui est à moins de 90 minutes.

La route jusqu'à Panmunjom était très intéressante. On a pris une autoroute à six voies mais on y a vu aucune voiture pendant les trois heures de trajet. Nous avons juste vu quelques cyclistes et des piétons sur le bord de la route. Les seuls autres véhicules étaient des jeeps militaires et un ou deux bus.

À l'approche de la zone démilitarisée, les postes militaires de contrôle devenaient de plus en plus fréquents et les soldats avaient l'air de plus en plus stricts. A chaque fois que nous en approchions un, nos chaperons nous rappelaient de ne pas prendre de photos.

Autre anecdote fascinante: l'armée-nord coréenne a érigé des immenses tours de bétons sur le bord de la route, tous les deux kilomètres. Certaines sont habilement déguisées en monuments. Mais ces tours ont un intérêt tout autre. Si les Sud-coréens franchissent la frontière et avancent vers le nord, les Nord-Coréens feront sauter la base de ces tours, ce qui les fera tomber sur la route et bloquera l'avancée des tanks sud-coréens.

Quand nous sommes arrivées dans la zone démilitarisée, l'ambiance était pesante. Le terme «démilitarisé» est inapproprié. C'est l'un des endroits les plus militarisés que j'ai pu voir. La sécurité est hautement renforcée dans l'enceinte. Nous étions escortés par des soldats en file indienne.

Meilleurs moments

Au cours de mes trois semaines passées en Corée du Nord, trois moments m'ont particulièrement marqué. Dans chacun des trois, j'ai eu la chance d'entrer en contact avec des locaux. Je n'aurai jamais pensé faire de telles rencontres et c'est pourquoi ces expériences sont si spéciales.

Chantons dans le parc

Le premier moment s'est passé un après-midi où nous faisions une randonnée dans le parc Moran Hill à Pyongyang. Le parc est situé au centre de la ville et est très large - un quart de Central Park, peut-être? Il est très boisé et vallonné. Il y a des pelouses un peu partout. Les habitants s'y retrouvent pour pique-niquer.

Nous y sommes allées un dimanche, qui est un jour de repos pour la plupart des Nord-Coréens. Il y avait donc beaucoup de monde dans le parc. Au début, j'étais un peu déçu de gâcher un après-midi à traîner dans un jardin public .

Nous avons essayé de sourire et de dire bonjour aux locaux que l'on a croisé: la plupart nous ont ignoré. Certains enfants ont ri entre eux et sont partis en courant.

Au bout de quinze minutes de randonnée, j'ai vu un groupe de Nord-Coréens rassemblé dans une clairière à environ 300 mètres. Ils n'étaient pas vraiment sur notre chemin, mais leur chant a attiré mon attention. Les hommes (qui avaient l'air un peu ivres) avaient enlevé leurs uniformes de soldats et dansaient en camisole.

Amusé, j'ai dansé en les regardant. Ils m'ont vu, et plutôt que de m'ignorer, ils ont ri et ont continué de danser vers moi.

Mesdames et messieurs, c'est parti pour une chorégraphie nord-coréenne!

Au bout de quelques minutes, ils m'ont fait signe de les rejoindre. C'était génial! J'ai jeté un coup d'œil à notre chaperon qui a approuvé l'idée. Wahou!

Notre groupe a dévalé la pente en évitant quelques arbres pour rejoindre les Nord-Coréens dans la clairière. Pendant les 15 minutes qui ont suivi, nous avons chanté et dansé avec nos nouveaux amis. Certains locaux avaient l'air mal à l'aise et se sont mis à l'écart. Mais les soldats étaient dedans. Nous avons chanté des chansons coréennes, notamment un hymne populaire appelé Arirang. Enfin, les Coréens ont chanté et nous avons fait de notre mieux pour les suivre.

Ensuite, les Coréens nous ont demandé de chanter quelque chose. J'ai réfléchi rapidement et j'ai commencé à chanté la première chanson qui m'est passée par la tête: «C'est la fête», de La Belle et la Bête. Quoi de mieux qu'un petit Disney pour rapprocher deux nations ennemies?

Sans comprendre un traître mot de ce que je chantais, les Coréens ont dansé en rythme:

C'était un moment très amusant et très beau. Bien sûr, cette expérience avait peut-être été montée de toute pièce. En Corée du Nord, on est jamais sûrs. Mais je n'en avais pas l'impression, étant donné qu'il y avait des milliers de personnes dans le parc ce jour-là. C'était improbable que parmi tous ces gens, j'aurais choisi pile le bon groupe pour danser.

C'était sans aucun doute l'un des meilleurs moments de mon voyage.

Le flash mob

Mon deuxième moment préféré a eu lieu lors du jour férié national du pays, le 9 septembre 2015. Des flash mobs étaient organisés dans tout le pays. Pour l'occasion, des centaines, voire des milliers de Coréens se mettent sur leur 31 et se rassemblent dans des lieux publics pour faire une chorégraphie synchronisée.

Cet après-midi-là, nous sommes allés voir le plus grand flash mob de Pyongyang. Il y avait plus de 1 000 habitants qui participaient. C'était impressionnant. Un flot infini de hanboks multicolores transformaient la place publique en un arc-en-ciel fleuri et mouvant.

Comme souvent en Corée du Nord, l'événement avait été beaucoup répété. Entre les chansons, les Coréens se mettant en rang comme des soldats. Ils se tenaient immobiles, silencieux, regardant droit devant, attendant que la chanson suivante démarre. C'était un peu perturbant, pour être honnête.

Je n'ai vu personne sourire, même pendant la danse. J'avais l'impression que certains dansaient plus par obligation.

Quoi qu'il en soit, le flash mob était une expérience unique. C'est devenu encore plus amusant quand on nous a dit que l'on pouvait les rejoindre si on en avait envie. La plupart des touristes ont refusé, mais notre groupe a accepté avec joie.

J'ai demandé à l'une des danseuses qui avaient l'air sympathique si je pouvais danser avec elle et elle a accepté timidement. Les pas étaient assez simples et j'ai fait de mon mieux pour les intégrer sans marcher sur les pieds de ma partenaire.

Je me suis retrouvé immergé dans un tourbillon de gens et de tissu.

C'était génial d'être aussi facilement accepté au sein de cet événement haut en couleur, et c'était d'autant plus fascinant (et inattendu) que je me retrouve à danser avec une inconnue nord-coréenne. Je n'aurais jamais imaginé une telle chose quand je préparais mon voyage.

La marche de la liberté

Mon dernier moment préféré a eu lieu le même jour, le 9 septembre. Comme je l'ai dit auparavant, nous n'avions pas le droit de nous promener seuls dans les rues. Je suppose que c'est pour éviter les contacts illégaux avec les locaux.

Cependant, après deux jours de bonne entente avec nos chaperons, ils nous ont donné la permission de faire une petite promenade à Pyongyang. Nous devions rester en groupe et nous n'avions le droit de rester que dans 10 pâtés de maison. Mais je vais vous dire: pendant ce moment, l'air était léger et le soleil brillait plus que pendant tout le reste du séjour.

Pendant deux jours, nous étions restés prisonniers dans notre hôtel et notre navette. Et là, pendant 15 minutes, nous avions le droit de nous promener dans les rues comme des gens normaux (ou presque). Ce jour-là, j'ai appris que:

On apprécie vraiment la liberté que lorsqu'on l'a perdue.

Pendant notre balade, j'ai pu regarder par les fenêtres, observer les étales et partager le quotidien des Nord-Coréens.

Espoir

Neuf personnes sur dix rencontrées en Corée du Nord nous ont évité. Cependant, avoir la chance d'entrer en contact avec les 10% restants était incroyable. Parfois, on nous souriait ou, si on avait de la chance, on nous saluait. La plupart du temps, ces échanges provenaient d'enfants ou d'étudiants.

Je suppose que ce n'est pas surprenant que les enfants et les adolescents étaient plus amicaux et plus curieux que les adultes. Ils n'ont peut-être pas encore été complètement endoctrinés. Ils ne sentent peut-être pas encore les épreuves de la vie peser sur leurs épaules.

Quoi qu'il en soit, voir cette nouvelle génération de Nord-Coréens m'a redonné espoir - qu'un jour, le changement viendra pour les Nord-Coréens. Quand ce jour viendra, leur pays, ainsi que le monde entier, se portera mieux.

Cet article est un extrait de mon essai sur Medium. Si vous voulez en savoir plus, aller lire ce billet.

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