Sans le savoir, des millions de consommateurs achètent des téléphones portables ou des ordinateurs fabriqués à partir de minerais dont le commerce finance des groupes armés à l’origine de violations de droits humains à grande échelle. On appelle ces minerais les « minerais des conflits » ou « minerais du sang ».
Étain, tantale, tungstène ou or, ces minerais sont extraits dans des régions marquées par des violences endémiques, où des groupes armés font la loi, asservissent la population locale et sèment la terreur. Leur longévité et leur puissance de feu s’expliquent notamment par leur contrôle des points d’accès à ces ressources naturelles, nécessaires à de nombreuses industries (aéronautique, électronique, joaillerie, défense). Ils vivent de ce commerce, qui finance leurs exactions. En République Démocratique du Congo, plus de 3,5 millions de personnes ont trouvé la mort depuis le début des années 2000 dans les violences perpétrées par ces groupes armés, qui s’enrichissent par centaines de millions de dollar chaque année grâce à la vente de ces minerais.
En 2014, la Commission européenne s’est saisie du dossier et a proposé un texte réglementant ce lien entre exploitation minière, commerce des minerais et financement de groupes armés. Mais le texte de la Direction Commerce s’est révélé inefficace : il se bornait en effet à proposer une réglementation sur la base du volontariat des entreprises, de plus appliquée à une fraction minime de la chaîne de production et de commerce.
Le 20 mai, le Parlement européen a refusé cette proposition et a demandé une réglementation courageuse imposant un « devoir de vigilance » à toutes les entreprises liées à ce commerce, y compris celles qui vendent des produits finis (ordinateurs, tablettes, voitures, téléphones portables, etc.) sur le marché européen. Toute entreprise devrait se doter d’instruments précis inspectant l’origine et le cheminement des minerais qu’elle achète directement, ou qui composent ses produits, et en communiquer le résultat.
Faute d’accord entre Commission et Parlement, les 28 États membres doivent maintenant forger leur position le 11 novembre au sein du Conseil, avant que ne s’engage une négociation entre ces trois institutions européennes.
Sous couvert des difficultés qu’impliquerait une réglementation contraignante imposée de l’amont - les fondeurs et affineurs de minerais - jusqu’à l’aval – les entreprises qui placent des produits finis sur le marché européen -, le gouvernement français semble prêt à capituler et à défendre une réglementation optionnelle.
Ce renoncement s’explique par l’influence des lobbies industriels qui gravitent autour du dossier depuis que la Commission a entamé son travail. Business Europe (dont le Medef est membre), Eurométaux (dont l’Alliance des Minerais, Minéraux et Métaux est membre), Safran Industrie, Airbus, ou encore Digital Europe (dont les groupes français Alcatel Lucent, Technicolor et Cassidian sont membres) ont abreuvé la Commission européenne de courriers, de documents et de demandes de rendez-vous. Ces groupes n’ont cessé de défendre l’approche volontaire et d’invoquer tour à tour les coûts et les difficultés qu’impliquerait une réglementation contraignante.
La démarche proposée est pourtant graduelle et adaptée : elle appelle des efforts « raisonnables » et une amélioration continue, elle tient compte des circonstances propres à chaque entreprise, par exemple la place qu’elle occupe au sein de la chaîne d’approvisionnement ou sa taille. Le Parlement propose en outre des mesures d’accompagnement pour soutenir financièrement et techniquement les PME dans la mise en place de ce système de gestion des risques.
La proposition des lobbies industriels est...d’utiliser l’outil diplomatique. Aux États de régler des problèmes qui ne sont pas du ressort des entreprises. Et la perspective d’une loi pour protéger les victimes apparaît comme une intolérable entrave au commerce.
Mais les violations massives des droits humains, les destructions environnementales et le financement de groupes armés dans lesquels sont impliquées directement ou indirectement nos entreprises peuvent-ils être confondus avec des paramètres de compétitivité parmi d’autres? La vision irresponsable des lobbies industriels peut-elle influencer la prise de décision politique sur les lois régissant le commerce ?
C’est entre ces deux positions que le gouvernement français devra trancher lors de la réunion du Conseil européen du 11 novembre.
En attendant, des organisations de la société civile ont lancé une pétition visant à demander à Matthias Fekl, secrétaire d’État français au commerce extérieur, de soutenir une législation courageuse et efficace.
Emmanuel Umpula Nkumba est directeur exécutif d’African Resource Watch (Afrewatch) ; Lala Hakuma Dadci est coordinatrice d’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (Aitec), engagée dans la campagne européenne « Stop Mad Mining »
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