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Angola : après l’euphorie pétrolière, la répression

Pour Didier Péclard, le régime dos Santos n’a pas d’autre réponse à la contestation que la répression, au moment où Luanda s’inquiète de la baisse des prix du baril.

Publié le 11 novembre 2015 à 19h17, modifié le 11 novembre 2015 à 18h09 Temps de Lecture 6 min.

Le président angolais Jose Eduardo dos Santos, 73 ans dont 36 au pouvoir.

L’Angola célèbre ce 11 novembre les 40 ans de son indépendance, acquise au terme d’une longue lutte de libération prolongée dans une guerre civile de près de 25 ans (1975-2002). Or depuis la fin des combats en 2002, le pays a connu une période d’euphorie économique sans précédent, qui a l’a vu se hisser au deuxième rang des producteurs de pétrole d’Afrique subsaharienne à près de 2 millions de barils par jour. C’est devenu la troisième économie du continent. Et pourtant, c’est sous le signe d’un regain des tensions politiques et d’inquiétudes pour son avenir économique qu’ont lieu ces célébrations d’indépendance.

Depuis le début de l’année 2015, le climat politique s’est fortement tendu sur fond de baisse des revenus pour un Etat très dépendant de la rente pétrolière. Alors que certains secteurs de la société civile se mobilisent pour revendiquer une plus grande justice sociale et une meilleure répartition des dividendes de la paix, le gouvernement se montre plus enclin à la répression qu’au dialogue :

  • Condamnation à six mois de prisons avec sursis du journaliste d’investigation Rafael Marques suite à la publication de son travail sur les violations des droits humains dans l’exploitation des mines de diamant dans l’Est du pays,
  • Condamnation à six ans de prison ferme pour un défenseur des droits de l’homme dans l’enclave de Cabinda, où persiste un conflit larvé,
  • Mort d’un jeune militant du dernier-né des partis d’opposition alors qu’ils collait des affiches pour son parti,
  • Plusieurs dizaines, voire centaines de morts dans un massacre qui reste inexpliqué,
  • Arrestation de seize jeunes Angolais réunis en juin 2015 dans un appartement de la capitale pour étudier deux ouvrages traitant de la résistance pacifique à la dictature. Le plus connu d’entre eux est le rappeur et activiste social Luaty Beirão, dont la grève de la faim a récemment fait la une des journaux, a achevé de mettre en lumière la « face B » du succès angolais.

La liste est longue et elle a d’ailleurs valu à l’Angola les critiques du Parlement européen pour la détérioration des droits humains. Pour comprendre ce regain de tensions il est nécessaire de revenir sur les principales étapes de la transition depuis la fin des années 1990.

Une destination prisée des investisseurs

La guerre civile angolaise a pris fin, en avril 2002, par la victoire militaire du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola, au pouvoir depuis 1975) sur l’Union nationale pour la libération totale de l’Angola (Unita) de Jonas Savimbi. La paix fut le résultat d’une stratégie « tout militaire » dont l’objectif, pour le président dos Santos, était triple : éviter toute concession inhérente à une solution négociée, empêcher la société civile de ressortir renforcée de la transition et dicter les termes de la sortie du conflit.

Celle-ci a été marquée par une centralisation accrue du pouvoir autour du président et de son clan, lui qui avait pris soin de suspendre la fonction de premier ministre avant de lancer la grande offensive de 1999, s’imposant ainsi en seul commandant-en-chef. « Architecte de la paix », dos Santos est aussi l’architecte de son propre maintien au pouvoir, grâce notamment à une nouvelle Constitution introduite en 2010. Alors qu’elle consacre pour la première fois certaines libertés fondamentales telles que le droit de manifester, elle confère surtout des pouvoirs discrétionnaires au chef de l’exécutif, tout en renforçant le parti au pouvoir puisque c’est désormais le leader du parti majoritaire aux élections législatives nationales qui est automatiquement nommé chef de l’Etat. Le régime angolais tourne ainsi plus que jamais autour du président et de son parti.

L’après-guerre civile en Angola est également marqué par le boom sans précédent de son économie, dont le taux de croissance moyen a été de 15,5 % entre 2002 et 2008, grâce surtout à l’explosion des cours du pétrole sur les marchés mondiaux. L’entrée de la Chine sur le marché angolais contribue massivement à la reconstruction des infrastructures détruites par la guerre, et l’on estime que les investissements chinois se montent à environ 14 milliards de dollars jusqu’en 2009. Grâce à une politique réussie de stabilisation macroéconomique, l’Angola devient ainsi une destination prisée des investisseurs internationaux qui espèrent participer à la reconstruction du pays.

Celle-ci se fait surtout à coups de très gros projets, selon une stratégie alliant une volonté de modernisation à marche forcée à un contrôle social et politique très étroit. Les forces sociales, qui pourraient représenter un contre-pouvoir au-delà de l’espace restreint du jeu politique à l’intérieur des institutions (parlement, partis politiques), sont soit réprimées soit contrôlées par la cooptation de leurs responsables.

Une hégémonie nerveuse

Mais le succès macroéconomique de l’Angola post-guerre cache une réalité plus complexe, que le regain de tensions de l’année 2015 met crûment en lumière. La croissance des années 2000 a vu le fossé entre riches et pauvres s’élargir de façon dramatique. La vie des nouveaux oligarques angolais, à l’image d’Isabel dos Santos, fille du président et première femme milliardaire d’Afrique, est également devenue le symbole des dérives d’un régime qui a perdu pied avec les réalités du pays et dont le modèle de développement est en décalage complet avec la vie d’une vaste majorité de la population.

C’est dans ce contexte que sont apparus, en mars 2011, dans le sillage des printemps arabes, plusieurs mouvements de jeunes « révolutionnaires » qui ont surpris l’ensemble de la classe politique et les observateurs en appelant à des manifestations pour exiger la démission du président dos Santos et un changement de régime. Même si ces manifestations, qui ont eu lieu à un rythme régulier depuis, n’ont jamais drainé plus de quelques centaines de personnes dans les rues de Luanda et qu’elles ne se sont pas étendues à l’ensemble du pays, elles ont été considérées comme une menace très sérieuse par le régime. Sa réaction s’est opérée sur trois plans : un discours dénonçant les manifestants comme des « fauteurs de guerre » souhaitant faire basculer à nouveau le pays dans le chaos ; une répression policière très forte et sévère ; de multiples tentatives de cooptation et d’« achat » des jeunes manifestants afin d’affaiblir et de diviser leur mouvement.

A ce jour, ces mouvements représentent toutefois une menace de « basse intensité » pour le régime, malgré la détermination de leur noyau dur. Quatre facteurs jouent à son avantage:

  • La difficulté de mobiliser la population dans un pays qui n’a aucune tradition en la matière et dans un contexte de forte répression policière,
  • Le fait que les revendications des jeunes ne sont pas liées à celles d’autres secteurs de la société angolaise, comme les anciens combattants,
  • La faiblesse relative de l’opposition politique institutionnalisée,
  • Le désir d’une grande partie de la population de pouvoir jouir d’une vie « normale » après des décennies de guerre civile.

Cependant, la baisse marquée des cours du pétrole diminue la capacité du régime angolais à redistribuer la rente pétrolière diminuer. Si la manne pétrolière restera sans doute suffisante pour maintenir ses réseaux clientélistes et assurer l’unité du MPLA, la perspective d’une crise économique, se traduisant, par exemple, par des augmentations substantielles des prix, inquiète Luanda et pourrait profiter aux mouvements contestataires comme celui des « jeunes révolutionnaires ». Dans ce contexte, la crainte de mobilisations de masse est exacerbée. La répression violente de toute expression publique de mécontentement apparaît comme la seule réponse qu’est en mesure d’offrir un régime, certes hégémonique mais plus nerveux qu’il n’y paraît de prime abord.

Didier Péclard est maître d’enseignement et de recherches au Global Studies Institute de l’Université de Genève. Co-rédacteur en chef de la revue Politique africaine, il est aussi l’auteur de Les incertitudes de la nation en Angola. Aux racines sociales de l’Unita (Paris, Karthala, 2015).

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