Publicité
Chronique

Alerte à la bulle éducative aux Etats-Unis !

L'objectif des Etats-Unis visant à étendre le recours aux prêts étudiants - judicieux sur le plan de l'accès aux études supérieures - soulève des risques similaires à ceux des fameux subprimes. Il est encore temps de les éviter.

ECH22064040_1.jpg

Par Mohamed A. El-Erian (économiste, chroniqueur aux « Echos »)

Publié le 12 nov. 2015 à 01:01

Lun des objectifs fondamentaux de tout gouvernement consiste à développer l'importance des biens publics. Mais lorsqu'elle n'est pas menée correctement, cette poursuite d'objectifs sociaux majeurs peut produire des conséquences malheureuses sur le plan économique et financier, voire engendrer des perturbations systémiques potentiellement défavorables au-delà même de ces objectifs.

C'est ce qui s'est produit il y a une dizaine d'années aux Etats-Unis, dans le cadre d'un effort visant à étendre l'accès à la propriété immobilière. Et le scénario pourrait bientôt se reproduire, cette fois dans le cadre d'une démarche destinée à améliorer l'accès au financement des études supérieures.

Dans le premier cas évoqué, le gouvernement américain avait activement soutenu les efforts censés rendre les prêts immobiliers plus accessibles et moins coûteux, y compris via la création de toutes sortes d'instruments de prêt dits « exotiques ». Cette approche a bel et bien fonctionné, et même un peu trop. L'explosion d'une demande permise par l'endettement est venue pousser les prix de l'immobilier à la hausse, la volonté nouvelle des banques de prêter en masse ayant conduit certains à s'offrir une maison qu'ils ne pouvaient se permettre. L'éclatement de la bulle ainsi créée - cause majeure de la crise financière mondiale de 2008 - a failli plonger l'ensemble de l'économie mondiale dans une dépression de plusieurs années.

L'actuelle démarche américaine consistant à étendre l'accès aux prêts étudiants - initiative fondamentalement judicieuse, et censée permettre à davantage de personnes de suivre des études supérieures - soulève un certain nombre de risques similaires. Fort heureusement, il est encore temps d'agir face à ces risques potentiels.

Publicité

Nul ne conteste combien l'investissement dans l'éducation est indispensable. De plus hauts niveaux de réussite dans les études sont synonyme de plus grande prospérité, de bien-être accru, d'une moindre pression liée aux retraites, ainsi que d'une meilleure satisfaction et mobilité sociale. Le taux de chômage des diplômés de l'université aux Etats-Unis, qui atteint 2,5 %, correspond à environ un tiers du taux intéressant les non titulaires de l'équivalent du baccalauréat.

Il incombe cependant aux dirigeants politiques de déterminer la mesure dans laquelle investir pour l'éducation, de manière à maximiser les avantages sans pour autant créer des risques nouveaux. Et c'est ici que l'Amérique pourrait bien faillir.

Au cours des dix dernières années, une situation alliant frais de scolarité plus coûteux, plus grand nombre d'étudiants inscrits, et plus fort recours aux prêts, a conduit à presque tripler le stock de dette étudiante existante. Cette dette représente désormais plus de 1.200 milliards de dollars, contractée pour plus de 60 % par le quartile inférieur des ménages (ceux dont le patrimoine net ne dépasse pas 8.500 dollars).

Aujourd'hui, sur dix étudiants au-delà du secondaire, sept finissent leurs études endettés, pour un volume total supérieur à celui de la dette issue à la fois des cartes de crédit et des prêts automobiles. En outre, les prêts étudiants représentent 45 % des actifs financiers détenus au niveau fédéral.

Aggravant davantage la situation, le retour sur investissement en matière d'éducation est en baisse, en raison d'une économie à la croissance lente et aux changements rapides, ce qui complique la possibilité pour certains diplômés de décrocher un emploi qui exploite pleinement leurs connaissances et compétences. Bien souvent, les universités n'adaptent pas suffisamment rapidement leurs programmes aux besoins de l'économie, tandis que les nouvelles technologies et modèles d'entreprise exacerbent le phénomène du gagnant qui rafle la mise.

Si le retour sur investissement en matière d'éducation continue de décliner, le remboursement des prêts étudiants aura tendance à évincer d'autres dépenses de consommation et d'investissement, d'autant plus que la dette étudiante présente un degré de séniorité considérable dans la structure du capital. Dans cette hypothèse, les risques de défaut de remboursement s'accentueraient, en parallèle d'une insécurité financière et d'une instabilité généralisée, le tout exacerbant le trio des inégalités (revenus, patrimoine et opportunités).

Bonne nouvelle cependant, bien qu'environ 10 % des emprunteurs connaissent d'ores et déjà des difficultés de remboursement, les points de non-retour macroéconomiques et financiers demeurent lointains. Il appartient notamment aux universités - qui ont considérablement tiré parti de l'importante disponibilité des prêts étudiants - de maîtriser leurs coûts tout en proposant une aide financière plus directe. Il est important que s'opère une avancée plus large en direction d'études supérieures financées par d'autres moyens que l'endettement.

Il serait également judicieux d'encourager les ménages à épargner davantage, et plus précocement, en vue de l'éducation. Enfin, il serait possible d'accomplir davantage pour développer des plans de remboursement tenant compte des revenus.

Aucune de ces mesures ne sera facile à entreprendre. Pour autant, si les actes demeurent à la traîne par rapport aux réalités du terrain, les défis futurs s'en trouveront considérablement accentués.

Mohamed A. El Erian, est conseiller économique en chef d'Allianz.

Mohamed A. El Erian

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres
Publicité