C’est une nouvelle alerte sur le front du climat. Elle nous vient du Grand Nord. L’un des trois principaux glaciers du nord-est du Groenland, le Zachariæ Isstrøm (dont le nom est parfois francisé en Zacharie), est entré « en phase de retrait accéléré depuis 2012 ». On pourrait n’y voir qu’un signal supplémentaire du réchauffement en cours, si la débâcle de ce titan n’était susceptible de faire monter le niveau des mers de « plus de 45 centimètres ».
C’est ce que fait apparaître une étude américaine, conduite par Jérémie Mouginot (université de Californie à Irvine) et publiée jeudi 12 novembre dans la revue Science. En utilisant quarante années de données accumulées sur ce glacier, dont les observations satellitaires de six agences spatiales, les scientifiques ont mis en évidence que « la forme et la dynamique du Zachariæ Isstrøm ont considérablement changé au cours des toutes dernières années ».
Pour bien comprendre le processus, décrit Gaël Durand, du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (CNRS-Université Joseph-Fourier de Grenoble), qui n’a pas participé à ce travail, il faut se représenter que les calottes polaires se forment par l’accumulation de neige et s’écoulent depuis un dôme central vers la périphérie, via des glaciers émissaires drainant la glace. En l’occurrence, le Zacharie est l’un des exutoires de la partie nord-orientale de l’inlandsis (calotte) groenlandais vers l’océan glacial Arctique.
Ecroulement de blocs de glace
Les chercheurs ont calculé que, de 2012 à 2014, la vitesse d’écoulement de ce géant glacé vers la côte a augmenté d’environ 50 %. Et surtout, que la superficie de sa langue terminale flottant sur la mer, ou plateforme flottante, a été réduite de 95 %. C’est ici qu’intervient la montée des eaux. « En se rétractant, la langue flottante perd sa capacité à retenir la partie amont du glacier, qui va donc s’écouler plus vite vers l’océan et précipiter le vêlage d’icebergs, c’est-à-dire la rupture et l’écroulement de blocs de glace », explique Gaël Durand.
« Le glacier est en train de se briser en morceaux et de vêler de gros volumes d’icebergs dans l’océan, constate Jérémie Mouginot. Cela va se traduire par une hausse du niveau de la mer dans les décennies à venir. » Quelle en sera l’amplitude ? Les chercheurs ont calculé que le Zacharie renferme suffisamment d’eau congelée pour faire monter le niveau moyen des mers du globe, s’il s’effondre entièrement, de près d’un demi-mètre.
La faute au réchauffement, et même à un double réchauffement. « Le Zachariæ Isstrøm est touché par le dessus et par le dessous, indique Eric Rignot, professeur de sciences de la Terre à l’université de Californie et cosignataire de l’étude. Le sommet du glacier fond en raison de décennies d’augmentation continue des températures de l’air, tandis que sa base est sapée par des courants charriant une eau océanique plus chaude. » Au total, le Zacharie perd désormais cinq milliards de tonnes de glace par an.
Les chercheurs se sont aussi penchés au chevet d’un glacier voisin, le Nioghalvfjerdsfjorden (dont il n’existe pas de nom francisé), de masse équivalente. Il apparaît qu’il fond lui aussi « rapidement », mais « à un rythme plus lent » que le premier. Peut-être parce que sa langue est encaissée dans un fjord qui le protège. Toutefois, préviennent les auteurs, « sa plateforme flottante est susceptible de se briser dans un futur proche si elle continue de mincir ».
« Changements stupéfiants »
Or, à eux deux, ces glaciers drainent 12 % de la calotte groenlandaise. Leur effondrement complet entraînerait une hausse globale du niveau des mers d’environ 1 mètre. Un chiffre qui obligerait à réviser à la hausse les projections du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui prévoit, en fonction des scénarios de réchauffement, une élévation du niveau marin de 26 cm à 98 cm à la fin du siècle. Les experts du climat, dont les premiers rapports négligeaient l’impact de la fonte des calottes polaires, l’ont pourtant intégré à leurs dernières conclusions, en 2014, mais l’ampleur de ce phénomène reste difficile à évaluer.
« Il y a peu encore, nous nous interrogions sur l’effet, sur les niveaux marins, d’un retrait des grands glaciers terrestres, commente Eric Rignot. Nous n’avons pas à nous interroger plus longtemps : nous pouvons observer directement les conséquences du réchauffement climatique sur les glaciers polaires. Les changements sont stupéfiants et affectent maintenant tout le Groenland. »
« Des modélisations physiques permettraient de mieux décrire le comportement futur des glaciers polaires et d’estimer à quelle vitesse ils vont relarguer de la glace vers l’océan, estime Gaël Durand. Mais cette étude est importante, car, jusqu’à ces dernières années, on pensait que la partie nord-est du Groenland restait plutôt stable. On voit aujourd’hui qu’elle est en train, elle aussi, de réagir au changement climatique. »
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