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Régionales : Face au FN, trois scénarios de second tour

Si le PS arrive en troisième position le 6 décembre, quelle stratégie adopter pour faire barrage au FN ? Les trois stratégies au révélateur.
par Laure Equy, Lilian Alemagna et Laure Bretton
publié le 12 novembre 2015 à 19h26

Les socialistes pensaient en avoir fini. Voilà trois semaines qu’ils se débattent pour repousser cette question au soir du 6 décembre : faudra-t-il se retirer, et appeler à voter pour la droite, là où la liste de gauche arrive en troisième position au premier tour des régionales et que le Front national est en position de l’emporter le 13 décembre ? Trois régions pourraient être concernées par ce cas de figure : Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

L'orage médiatique s'était estompé… jusqu'à ce que Manuel Valls l'alimente à son tour en posant sur la table le scénario d'une «fusion» avec la droite (lire page 4) pour empêcher les Le Pen de gagner. «Je n'ai pas l'habitude de mettre mon pantalon avant mon caleçon, a tenté d'ironiser le patron du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, jeudi matin sur RFI. J'appelle l'ensemble des socialistes à se concentrer sur le premier tour. […] Trop de confidences nuit à la cohérence.» Mais la «cohérence» aurait aussi pu être d'anticiper cette question du «front» ou «désistement» républicain en étant beaucoup plus clair sur la stratégie à mener.

Déjà, lors des municipales du printemps 2014, certaines listes PS (à Fréjus, Béziers ou encore Marseille…) avaient dû se débrouiller seules dans l'entre-deux-tours. «Si on attend la veille au soir pour traiter ce sujet, c'est mort», justifie-t-on aujourd'hui à Matignon. Au risque de fracturer son camp en posant la question maintenant.

La technique du retrait : une position traditionnelle

POUR C'est la règle officielle des socialistes depuis de nombreuses années : si, à l'issue du premier tour, le FN peut l'emporter dans une élection et que le candidat - ou la liste - de gauche n'a aucune chance de gagner dans cette triangulaire, il se désiste et appelle à «faire barrage à l'extrême droite». Même position chez les écologistes : «Dans l'hypothèse où il y aurait une triangulaire, avec un risque trop important que Marine Le Pen gagne, il faut se retirer, […] c'est aussi simple que ça», a répété Cécile Duflot jeudi matin sur RTL. Ce «désistement républicain», la gauche l'a déjà pratiqué aux législatives, municipales ou départementales. Le cas ne s'est encore jamais posé pour les régionales. Les tenants de cette solution revendiquent de tenir une digue «morale» : la gauche fera toujours ce qu'il faut pour empêcher le FN d'arriver au pouvoir. Et en cas de victoire de l'extrême droite, on ne pourra les accuser d'en être responsables. Si la direction du PS se refuse aujourd'hui à porter ce scénario pour ne pas «démotiver» les militants sur le terrain, plusieurs responsables expliquent en coulisses que, s'il le fallait, décision serait votée en bureau national, au soir du premier tour, de retirer les listes purement et simplement. «Il suffira d'un coup de fil de Hollande aux têtes de liste pour qu'il se retirent», rapporte un cadre PS.

CONTRE La fronde guette. Depuis plusieurs élections déjà, la base militante ne veut plus se désister pour des candidats de droite qui tiennent le même discours que l'extrême droite : en 2012, dans le Vaucluse, la candidate PS, Catherine Arkilovitch, s'était maintenue en triangulaire face à Marion Maréchal-Le Pen ; idem à Béziers en 2014 où la liste PS s'était maintenue face à Robert Ménard. Premier argument pour les régionales : la gauche ne peut laisser la droite et l'extrême droite, seules, dans un conseil régional. «Est-ce qu'on doit payer le prix d'une éradication totale des socialistes d'un exécutif régional ? interroge le député Laurent Baumel. S'autoéliminer pour six ans est une décision énorme.»

Là où l'affaire se complique, c'est qu'une fois la liste socialiste retirée, une proportion non négligeable d'électeurs de gauche pourrait être tentée de voter FN plutôt que LR. «Dans le Nord, certains socialistes pensent que cette proportion peut monter à 40 % de notre électorat», confie un dirigeant socialiste. Ce qui aurait un effet totalement contreproductif.

La fusion avec la droite :  une révolution

POUR Le débat a donc été lancé par le Premier ministre. Dans «l'hypothèse» où, explique-t-on à Matignon, «un FN est tellement haut qu'un simple retrait d'une ou l'autre des listes ne suffirait pas», les socialistes ne devraient plus s'interdire de fusionner leur liste avec celle de droite. «Tout stratège sérieux ne peut pas exclure ce scénario», poursuit-on dans l'entourage de Valls. A gauche, ils sont une infime minorité à parler de «fusion», même «technique» - sans accord de majorité - ou de «coalition» avec la droite pour faire barrage à l'extrême droite. Depuis plusieurs semaines, les animateurs du petit courant des réformateurs, classé à l'aile droite du PS et tenant d'alliances au centre portent cette idée pour faire rapprocher leur gauche du centre. «Valls pose le débat sur lequel tout le monde s'interroge sans oser le dire. Imaginez Marine Le Pen élue avec une stratégie de désistement qui ne marche pas…» pointe le député PS Philippe Doucet, proche du Premier ministre. Poser cette question avant l'élection, c'est aussi tenter de porter ce débat dans le camp adverse : «Si le bloc de gauche dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie est supérieur à la liste de droite, que fait Xavier Bertrand ?» interroge-t-on à Matignon. C'est aussi un moyen de sauver des dizaines de conseillers régionaux socialistes pour une formation politique qui a besoin de ces élus. Lesquels sauront s'en souvenir.

CONTRE Pour la grande majorité des responsables de gauche, cette hypothèse, non seulement démobilise son électorat, mais relève de la science-fiction. Et signerait surtout la victoire de l'«UMPS» scandé par Marine Le Pen et les siens depuis des années. La présidente du FN ne s'y est pas trompée en déplacement jeudi dans le Nord : «C'est l'UMPS décomplexé. Les électeurs de droite et de gauche vont s'apercevoir que leur bataille n'était qu'une vaste comédie.» Pour le président de l'Assemblée nationale et tête de liste en Ile-de-France, Claude Bartolone, un tel scénario, parce que la droite et la gauche ont deux projets différents, constitue un danger : «En aucun cas, je ne fusionnerai avec la Manif pour tous», a-t-il lancé jeudi devant quelques journalistes.

A droite, on hurle déjà à la «confusion». «Cela fait le jeu du FN, qui ne se nourrit pas de sa propre force mais de la faiblesse des autres, peste le député LR, Eric Woerth. Manuel Valls cède à la panique.» Dans l'entourage du Premier ministre, on explique qu'au contraire, cela permettrait d'en finir avec ce piège de «l'UMPS» pour construire de nouvelles alliances : «Lâchons à Le Pen ce «nonosse» UMPS et travaillons sérieusement à une autre politique», avec le centre droit.

Le maintien en triangulaire : un «ni-ni» de gauche

POUR Ce serait, à gauche, un changement de paradigme. Une sorte de «ni-ni» appliqué par les socialistes : ni droite ni Front national. Plus les responsables du parti de Nicolas Sarkozy tiennent des propos qui se rapprochent de ceux de l'extrême droite («race blanche» pour Nadine Morano, «cinquième colonne» pour Christian Estrosi, sur les réfugiés à Calais pour Xavier Bertrand…), moins les socialistes estiment légitime de s'effacer pour faire gagner une droite de moins en moins républicaine. Et même le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, devant l'accumulation de sorties extrêmes venues de droite, a effleuré un temps l'idée d'en finir avec la règle du désistement : «Les déclarations extrémistes de Christian Estrosi et de Xavier Bertrand sur les réfugiés empêchent désormais le front républicain», a-t-il lancé mi-septembre dans Libération.

Candidat sur les listes de Claude Bartolone en Ile-de-France, l'ex-ministre Benoît Hamon a ensuite sonné la charge du «maintien» «Si on ne se bat pas, on disparaît. Et on disparaît très, très vite. La gauche ne doit pas disparaître, ni des assemblées régionales ni des urnes», a-t-il lancé, relayant la position de plus en plus de socialistes et notamment des têtes de liste en Paca (Christophe Castaner) et en Nord-Pas-de-Calais-Picardie (Pierre de Saintignon), qui renvoient désormais dos-à-dos la «droite extrême» et l'«extrême droite».

CONTRE Pour eux, c'est une question d'honneur. Plusieurs cadres socialistes expliquent ainsi que se maintenir et participer à la victoire du Front national dans une région, c'est porter à jamais la responsabilité de l'élection de Marine Le Pen dans le Nord ou de Marion Maréchal-Le Pen dans le Sud. Certains rappellent ainsi 1995 et l'élection municipale de Toulon. A l'époque, le maintien de la liste de gauche en triangulaire, sous prétexte d'une droite varoise engluée dans les affaires de corruption, avait conduit à la victoire de la liste FN menée par Jean-Marie Le Chevallier. La gauche a-t-elle bénéficié de ce choix ? Elle a certes siégé au conseil municipal durant six ans mais on la tient - encore aujourd'hui - pour responsable des années FN à Toulon. Résultat : depuis, pour ne pas connaître à nouveau un tel scénario, une partie des électeurs de gauche préfère voter à droite dès le premier tour. Par ailleurs, choisir de se maintenir malgré le risque d'une victoire de l'extrême droite, ce serait donner raison au «ni-ni» de Sarkozy. Ce serait faire exploser toutes les digues que le PS a tenté de tenir ces dernières années.

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