Emmanuel Macron, l’homme providentiel (des chaînes d'info)

“Star”, “champion”, “homme libre”, “iconoclaste”, “populaire”… BFMTV et iTélé rivalisent d’éloges pour Emmanuel Macron, qu’elles voient déjà en président de la République 3.0.

Par Samuel Gontier

Publié le 13 novembre 2015 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h00

«Cest la star du jour : Emmanuel Macron », clame Nathalie Levy mercredi soir sur BFMTV. S’adressant à son invitée, Anne Roumanoff : « Je suis sûr qu’il peut se retrouver dans votre spectacle. » « Mais il y est déjà », révèle l’humoriste. « C’est la star du jour », répète la présentatrice. « Il passe très très bien sur scène, développe Anne Roumanoff. Quand on parle d’Emmanuel Macron, les gens rigolent. » « Les femmes encore plus ? », s’enquiert Nathalie Levy. « Tout le monde. Il est très populaire et ça se voit. »

« Alors, Emmanuel Macron sur les Champs-Elysées, carton plein ! », enchaîne la journaliste pour introduire l’éditorial de Laurent Neumann, « On se dit tout », dont le titre s’affiche : « MACRON STAR DES CHAMPS ». « Il y avait deux séquences, il ne faut pas mélanger les deux, avertit l’analyste. La première, très “communication” comme on dit. Un verre entre Emmanuel Macron, Manuel Valls, Najat Vallaud-Belkacem et Le Guen. Ils étaient tous les quatre dans un café. Pourquoi ? » Pour boire un verre ? Non, trop compliqué : « C’est assez simple à comprendre : pour montrer qu’entre Manuel Valls et Emmanuel Macron, il n’y a aucun problème. Vous savez que les commentateurs essaient de les opposer. » Non ? Quels commentateurs ? Je veux savoir ! Des noms ! « Il y aurait une sorte de compétition pour savoir lequel des deux deux serait le plus réformateur, le plus moderne. » Et le plus à gauche, aussi.

« Et puis il y a eu cette deuxième séquence, poursuit l’éditorialiste, plus étonnante, plus inattendue, où Emmanuel Macron remonte les Champs-Elysées… Et alors là, il est arrêté, tout le monde veut le prendre en photo. » « Les femmes, surtout », précise Nathalie Levy, qui m’a tout l’air d’être une groupie à rendre jalouse Anna Cabana. Laurent Neumann raconte : « Une dame l’arrête pour lui dire : “J’ai été de droite. Grâce à vous, je suis de gauche.” Un jeune homme lui dit : “Je voulais voter Front national, je vais voter à gauche grâce à vous.” Un truc incroyable ! » Emmanuel Macron est adulé par tout le spectre politique, de l’extrême droite à l’extrême centre-gauche !

Cet unanimisme éveille chez l’éditorialiste un doute aussi sain qu’opportun. « On se demandait presque si c’était pas un peu organisé… Mais pas du tout ! Il y avait de la sincérité. » La sincérité d’une promenade improvisée ne peut être scénarisée. « En réalité, ces images-là correspondent assez bien aux sondages. » Les sondages destinés à évaluer la popularité d’Emmanuel Macron que commandent les chaînes d'info célébrant la popularité d’Emmanuel Macron. « Il est très populaire dans les sondages, insiste Laurent Neumann. Et autant chez les sympathisants de droite que chez ceux de gauche. » En résumé, son parcours triomphal sur Champs-Elysées a définitivement éclipsé celui du général de Gaulle le 26 août 1944.

« Alors, ça s’explique, assure l’éditorialiste. Il est un ministre un peu particulier. » « Ouais », approuve Nathalie Levy. « Pas seulement parce qu’il est jeune, qu’il a un parcours un peu atypique » Et qu’il est très beau. « Mais surtout parce que ce n'est pas un élu. Ce n’est pas un professionnel de la politique. Du coup, il a une forme de liberté de parole et ça plaît à une époque où les politiques ne sont pas en odeur de sainteté. » Un homme libre, en politique ? C’est vrai que ça fait rêver.

Cette remarquable singularité présente toutefois un « revers ». Laurent Neumann est sans pitié « Emmanuel Macron, on ne l’entend que sur la politique économique et sur les questions sociales, regrette-t-il. Mais on ne l’entend pas sur la Syrie, sur les grands enjeux du monde, sur l’immigration, sur l’éducation, sur des questions de société. » Tiens, c’est vrai, est-ce qu’il accepterait de recourir à la procréation pour autrui ? Si oui, je connais une volontaire pour se faire inséminer, Nathalie Levy.

« Et puis, Emmanuel Macron n’est pas un élu donc il a le cuir moins tanné que les autres », déplore encore l’éditorialiste, ajoutant un dernier « petit problème : il est ministre de l’Economie et pour l’instant il n’a pas obtenu de résultats ». « Y’a pas de résultat ?!, s’insurge Nathalie Levy. Y’a une toute reprise, il nous le dit, Emmanuel Macron ! » Et s’il le dit… « Oui, y’a des bons chiffres du chômage », convient Laurent Neumann. « Oui, exactement », triomphe la présentatrice. « Et effectivement, un début de reprise. » « Un début, voilà, un début de reprise pour Emmanuel Macron ! exulte Nathalie Levy. C’est vrai, c’est iconoclaste ce ministre. » Un homme libre, à la fois iconoclaste et populaire… Le portrait s’affine.

« Commémoration du 11-Novembre ce matin sur les Champs-Elysées », annonce Jean-Baptise Boursier en ouverture du journal de 22 heures tandis qu’un bandeau proclame : « MACRON, STAR DU JOUR. » « Et à l’applaudimètre, la star s’appelle… Emmanuel Macron. » Il a largement devancé le soldat inconnu. Développant ses titres, le présentateur répète : « A l’applaudimètre, le champion du gouvernement se nomme Emmanuel Macron. Regardez. » Suit une scène édifiante :

« Vous êtes le seul intelligent de tout ce gouvernement. Continuez comme vous faites, ne changez rien. On est très content des lois que vous nous faites. Tout est parfait. Les autres, on ne veut pas en entendre parler »… Fin de la séquence. C’était le résumé de la commémoration du 11-Novembre par BFMTV.

Le lendemain, je choisis iTélé pour obtenir un point de vue équilibré. « Place à l’invitée politique, Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, annonce Olivier Galzi. On va parler de votre bataille, la bataille du numérique. Elle se joue aussi à Bercy entre vous et Emmanuel Macron… » Tiens, revoilà la « star ». Sans doute un hasard. « Vous faites votre loi, il annonce la sienne, détaille le présentateur, tout le monde veut faire sa loi sur le numérique… Ça se passe comment ? » L’invitée explique l’organisation du travail législatif entre son secrétariat d’Etat et le ministère de l’Economie.

« Bon, vous dites que vous êtes complémentaires, feint d’admettre Olivier Galzi. Mais il y a un livre qui va sortir dans quelques jours sur les petits nouveaux en politique et qui parle de vos relations exécrables avec lui, vous le saviez ? » Non. Comment peut-on avoir des relations exécrables avec l’homme le plus beau, pardon, l’homme le plus populaire de France ? « Voilà ce que vous auriez dit à Emmanuel Macron », balance le présentateur, et un énorme panneau apparaît :

Olivier Galzi s’applique à le déclamer : « “Tu vas me parler sur un autre ton, je suis plus âgée que toi, j’ai deux enfants et je suis élue, moi, monsieur !” Vous lui avez dit ça ? » « Ça me fatigue… », commence Axelle Lemaire. « Nan mais c’est vrai ou c’est pas vrai ? », insiste l’intervieweur, dont l’intransigeance fut louée dans Le petit journal de Yann Barthès.

« Ce sont des rumeurs », prétend Axelle Lemaire. « Nan mais c’est vrai ou c’est pas vrai ? Vous lui avez dit ça ? », persiste Olivier Galzi, inflexible. « Ce sont des rumeurs, répète la secrétaire d’Etat. Vous croyez vraiment que ça intéresse les gens ? » « Si, c’est intéressant, réplique son interlocuteur en pointant sous son nez un index accusateur : “Je suis élue, moi, monsieur !”, je vous assure que ça a une dimension politique, cette réponse, et on va en parler. Mais d’abord je veux savoir si vous lui avez dite. » De toute façon, que vous l’ayez dite ou pas, on en parlera.

« Savoir si on s’est dit bonjour ce matin, se défend Axelle Lemaire, franchement… » « C’est pas ça !, s’insurge Olivier Galzi, implacable. “Moi, je suis élue, monsieur !” Ça veut dire quoi ? Qu’il n’est pas légitime parce qu’il n’est pas élu ? » La sous-ministre dénonce un « faux buzz médiatique ». L’intraitable intervieweur ne se laisse pas abuser : « Mais c’est faux ? Vous avez jamais dit ça ? C’est un mensonge ? Mais pourquoi vous répondez pas à cette question ? C’est faux ou c’est vrai ? Comme ça, on sait de quoi on parle. » « Parce qu’on s’en fiche ! », se fâche presque l’invitée. « Moi, ça m’intéresse de savoir si vous lui avez dit : “Je suis suis élue, moi, monsieur !” », réplique courageusement le présentateur en pointant à nouveau son index accusateur vers la citation affichée en 4 par 3 dans le studio, citation qu’Emmanuel Macron désigne aussi depuis l’écran géant où il discourt.

« Détachons-nous de cette phrase, propose Olivier Galzi en reformulant habilement son interrogation. Je vous pose une question et ce n’est pas s’abaisser que de la poser et ce ne sera pas s’abaisser que d’y répondre : Considérez-vous qu’on est moins légitime quand on n’est pas élu ? » « C’est incroyable, s’étonne Axelle Lemaire. Cette question est à peu près la seule qu’on me pose. » Parce que c’est la seule qui vaille, tout simplement, Olivier Galzi ne s’y est pas trompé. « Vous allez comprendre où je veux en venir. Quand on parle de la révolution numérique, on parle d’ubérisation de la société. On peut aussi penser que la politique peut ne pas échapper à cette ubérisation et qu’il y a peut-être des hommes politiques comme Emmanuel Macron qui vont ubériser la politique, vont se passer des partis, des mandats, vont faire leur appli pour lever des fonds et mener campagne. » Et devenir président de la République en obtenant le plus grand nombre de followers.

« Alors, répondez à la question : est-ce qu’il est moins légitime parce qu’il n'est pas élu ? » L’invitée débite un blabla banal en faveur de la démocratie représentative. « Donc il manque de légitimité, Emmanuel Macron ?, en déduit Olivier Galzi, fidèle à l’angle de son interview. Comme le temps passe vite, je retourne à la question sur cette ubérisation de la politique. Est-ce qu’un Emmanuel Macron peut ubériser la politique, est-ce qu’il peut passer par-dessus les partis, faire son appli et financer par une participation sur Internet sa propre campagne. Est-ce que vous imaginez ça possible, la politique 3.0 ? » Emmanuel Macron, président de la République 3.0 ?

L’élue vante son projet de loi, qu’elle prétend très participatif. « Ça, c’est un projet, la recadre élégamment Olivier Galzi. Je parle d’un candidat. » « Moi, ce qui m’intéresse… », tente Axelle Lemaire. « Qu’est-ce que vous en pensez ?, l’interrompt le journaliste avec tact. Ce serait bien ou ce serait pas bien ? » « … c’est l’action… », poursuit-elle. Vainement, car son interlocuteur ne la laisse pas l’embobiner : « Parce que si c’est bien pour la société mais que c’est pas bien pour la politique, ça va poser un problème, quand même ! » « Alors l’ubérisation, qu’est-ce… », re-tente l’invitée. « Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous le savez très bien, ce que sa veut dire, la reprend Olivier Galzi avec délicatesse. Ça veut dire qu’on a un lien direct, qu’on n’a plus de corps intermédiaires… » Plus de syndicalistes arracheurs de chemises, seulement un « lien direct » via les chaînes d'infos et leurs sondages.

La musique du générique arrive, Olivier Galzi se hâte de poser une dernière question, illustrée par l’apparition plein cadre de deux images d’Emmanuel Macron en couverture de magazines. « Celle du Parisien magazine est un petit peu extatique : Sa Sainteté 3.0, détaille le présentateur. Et pour Marianne, c’est plutôt la grosse tête : “Moi, Président”. Vous préférez laquelle ? » « Vous êtes un homme têtu, l’insulte presque Axelle Lemaire. Parlons du fond, un peu… Soyez sérieux ! » Délirant ! Elle se permet de donner des leçons ! Elle, une vulgaire sous-ministre que personne n’a jamais acclamé sur les Champs-Elysées ! « On a parlé de fond, rappelle Olivier Galzi, on a parlé de politique. » Et du prochain président de la République, élu à l’unanimité des journalistes de chaînes d'info.

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