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Max, speaker du Stade de France : «Je suis heureux d’avoir montré aux spectateurs qu’ils n’avaient pas été abandonnés »

L’ancien animateur culte de Fun Radio est la voix des Bleus dans les enceintes de France et de Navarre. Vendredi soir, vers 22h50, il a dû faire sortir près de 80 000 personnes sans qu’elles ne cèdent à la panique. Voici son récit.
par Mathieu Grégoire
publié le 14 novembre 2015 à 21h51
(mis à jour le 14 novembre 2015 à 23h13)

Avec Difool, son rival de Skyrock, il a bercé des générations d'adolescents pas vraiment pressés de se coucher. Depuis 2010, Max, 46 ans, est le speaker de l'Equipe de France, au Stade de France comme en province, chargé de mettre l'ambiance autour des rencontres et d'égrener les compositions d'équipe. Vendredi soir, sans y avoir été vraiment préparé, il a joué un rôle décisif pour essayer d'apaiser une soirée hors-norme. Il déroule le fil des événements et de ses souvenirs.

Vendredi 13 novembre, 14h30

«J’arrive au Stade de France en scooter. Venir tôt me permet de répéter mes textes, les slides, les animations d’avant-match. Il s’agit de retrouver le rythme, je ne bosse pas tous les quinze jours comme un speaker de club de L1. Cet avant-match est classique, c’est la routine, je ne ressens aucune tension particulière. France-Allemagne, c’est une grosse affiche, presque à guichets fermés, le dernier rendez-vous de 2015 en France pour les Bleus. Il y avait un peu plus d’inquiétudes pour un France-Serbie récent, pour des questions de supporters bouillants, mais là, c’est vraiment calme.»

Vendredi 13 novembre, 18 heures

«Les couloirs du stade bruissent d'une rumeur, qui enfle : le président de la République serait présent ce soir. François Hollande vient de temps en temps, il avait déjà assisté à un France – Allemagne, aux côtés d'Angela Merkel. La présence policière est soudainement plus visible, les bruits sont fondés. Des policiers se déploient, vérifient les issues de secours, les loges, les salons. Rien de très déroutant. Je vais pouvoir bientôt attaquer mes animations d'avant-match.»

Vendredi 13 novembre, 21h20

«Tout s'est bien passé avant la rencontre, pas d'erreur sur les compos d'équipe, le stade est bouillant, je vais me placer sur le bord du terrain, près du quatrième arbitre, pas loin de Frédéric Calenge, qui fait le journaliste bord de terrain pour TF1. Soudain, une explosion. Je comprends tout de suite que ce n'est pas un pétard, ni même une bombe agricole comme pensent certains techniciens tout proche. L'ambiance, paradoxalement, monte d'un cran, les supporters sont excités. Je pense à une fuite de gaz aux abords du stade, pas le moins du monde à un attentat. Puis, trois minutes après, une deuxième explosion. Cette fois, la tension monte vraiment, on se regarde tous. Le regard de Patrice Evra, sur les images, est d'ailleurs assez fou. Il a le ballon, entend la déflagration, et lui qui a connu les ambiances les plus chaudes d'Europe semble se dire : ''ça, c'est un son que je ne connais pas.''»

Vendredi 13 novembre, 22h01

«Le match a repris, pour la seconde période. J’ai la nette impression que les joueurs de l’Equipe de France n’ont pas été mis au courant. Il paraît qu’il y a eu une troisième détonation à la mi-temps, mais j’étais dans mes animations, je n’ai rien entendu. Je ne sais toujours pas ce qu’il se passe dehors, mais j’ai commencé à recevoir des textos d’amis à l’extérieur, qui me disent que ça pète de partout autour du Stade de France. Les techniciens, Fred Calenge, les mecs de TF1, tout le monde s’interroge. A la 60e minute, je vais demander à mon 'topeur', celui qui me donne le tempo, d’aller aux nouvelles, de savoir si le stade va être évacué ou pas. On ne sait toujours pas.»

Vendredi 13 novembre, 22h26

«On a dépassé la 70e minute de jeu, et j’apprends la gravité des incidents. Le circuit est précis : les dirigeants de la Fédération française de football et le PC sécurité vont me transmettre un texte pour une annonce finale, via la régie. Je ne suis jamais en contact direct avec les grands décideurs. On va me livrer un texte précis, qui évoque des incidents extérieurs, des parkings ouverts et d’autres fermés, et les sorties par lesquelles il faudra évacuer. On me donne la feuille, je dois la lire à la virgule près, au mot près, elle a été validée par les plus hautes instances. Il faut absolument évacuer le stade sans qu’un mouvement de foule ne se crée.»

Vendredi 13 novembre, 22h48

«Le coup de sifflet final a retenti, les joueurs vont s’agglutiner près des écrans télé dans les couloirs et prendre conscience du drame. Je lis mon annonce, et c’est assez dingue : le silence est religieux, un blanc traverse le stade. Je n’ai jamais été préparé à ce type de situation, on fait bien sonner les alarmes avant les rencontres, mais ce sont des exercices de pure forme. J’ai bien compris l’importance du message, et du ton, qui n’est pas celui très grave des hommages aux disparus lors des avant-matches. Il ne faut pas affoler les spectateurs, être sobre, audible, bien choisir son vocabulaire, ne pas faire le rigolo. Les gens ont bien compris que le mal était fait, mais il faut leur faire comprendre que, justement, tout est sous contrôle, sécurisé. Les spectateurs, à ce moment-là, et je m’inclus dedans, sont dans une situation paradoxale : dans le stade, on rêve d’être dehors, libre de nos mouvements, et même de courir loin ; mais dehors, on se dit qu’en fait, on était peut-être plus en sécurité à l’intérieur.»

Vendredi 13 novembre, 22h55

«Je suis toujours sur le bord de la pelouse, et je vois une marée humaine la submerger, plein de gens revenir vers nous. Certaines personnes sont en panique, disent avoir entendu de nouvelles détonations, ils veulent se rapprocher du couloir des joueurs. La sécurité essaie de contenter tout le monde, je répète mon appel au calme, à plusieurs reprises, je réexplique, et c’est important, que les transports en commun (RER, métro) fonctionnent avec un trafic fluide. L’écoulement n’est pas simple, il prend bien plus d’une heure, de nombreux accès, dans un premier temps ouverts, ont été fermés. J’aide comme je peux, des familles avec des enfants en bas âge, on rassure les petits, on va chercher de l’eau avec les pompiers pour ravitailler les gens.»

Samedi 14 novembre, 15 heures

«Je suis retourné au Stade de France, pour récupérer mon scooter, je n'avais pu repartir avec dans la nuit. Je tombe sur un père de famille, avec son fils, et il me dit : ''Merci beaucoup, avec votre voix, vous avez rassuré mon fils.'' Je suis juste heureux de ça, d'avoir transmis mon calme, d'avoir montré aux spectateurs qu'ils n'avaient pas été abandonnés, qu'il y avait du positif dans ce moment d'horreur. Je serai là en mars pour France-Russie, et à l'Euro 2016, si ma candidature est retenue par les organisateurs.»

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