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ChroniqueNoël Mamère

Les écologistes ne peuvent se satisfaire de l’Union sacrée

Les terribles attentats de vendredi 13 novembre ne tombent pas du ciel. Mais d’une histoire politique et de causes écologiques et énergétiques qu’il faut comprendre. Répondre seulement par les armes ne peut être la solution, explique Noël Mamère.

Noël Mamère

Noël Mamère est député écologiste


Les écologistes, hormis la compassion, peuvent-ils avoir une réflexion spécifique sur l’acte de guerre qui vient de se produire dans notre pays, eux qui n’ont pas la culture de la guerre ? Leur philosophie reposant sur la non-violence, ils se posent rarement les questions essentielles de la géopolitique mondiale et ils ont tort. Car tout est lié.

Le chaos géopolitique du monde est directement lié à la crise écologique et climatique et aux activités de l’homme. Dans moins de 15 jours devrait commencer la COP 21, où il s’agit, paraît-il, de « sauver le climat pour sauver l’humanité ». Or le climat est déjà à l’origine d’une partie de la crise actuelle. Ainsi du conflit syrien qui est déjà une guerre du climat. Nombre d’experts considèrent que la sécheresse accentuée, résultat du réchauffement climatique, a entrainé les mauvaises récoltes et que la crise alimentaire, comme en 1789 en France, a participé au déclenchement de la révolution.

Les réfugiés qui arrivent à Lesbos, à Lampedusa ou dans les Balkans, sont en partie des réfugiés climatiques, victimes des sécheresses et des crises alimentaires. Au Soudan, par exemple, la guerre entre nomades et cultivateurs est directement le produit du dérèglement du climat.

Daech n’est pas le fruit du hasard

Tout est lié dans le monde de la barbarie productiviste. Daech n’est pas le fruit du hasard mais d’une bataille menée sur une longue durée pour le contrôle de l’économie carbonée. La colonisation et l’impérialisme ont donné un caractère mondial à la Révolution industrielle, dans le but de se partager les matières premières et, notamment, le pétrole puis le gaz. Ce fut l’objet des accords Sykes-Picot et du partage des frontières entre les mandataires Français et Anglais, en mars 1916.

Avec la décolonisation, ces accords débouchèrent sur la formation d’Etats nations, comme la Syrie et l’Irak, avec des partis directement issus des idéologies totalitaires européennes, notamment du national-socialisme. Le Baas surgit dans ces deux Etats pour dominer sans partage des populations morcelées ethniquement. Pour protéger les pays sunnites de la révolution chiite iranienne, Saddam Hussein a été encouragé à la guerre contre l’Iran par les occidentaux et particulièrement les Etats-Unis. Il l’a perdu. Ruiné, il a voulu se refaire financièrement en occupant le Koweit. Les Américains l’ont lâché et ont libéré un des coffres-forts pétroliers de la région.

Après dix ans d’un embargo qui a causé 100 000 morts, l’Etat bassiste a été démantelé par une coalition occidentale fondée sur le mensonge des armes de destruction massive.

Résultat : les militaires et les hommes de ses services de renseignement, désœuvrés mais experts en terrorisme, ont fusionné leur savoir-faire avec le fanatisme des militants d’Al Qaida dans les prisons américaines d’Irak ; ils ont créé l’Etat Islamique, qui profite de la révolution arabe pour exporter sa machine de guerre en Syrie et mettre fin aux frontières Sykes-Picot.

La guerre s’est internationalisée sans que les grandes puissances arment les forces démocratiques. Elle débouche aujourd’hui sur cette guerre des monstres où Bachar, soutenu à bout de bras par la Russie de Poutine, l’Iran et ses alliés, affrontent Daech dans un combat sans perspective politique autre qu’un accord des grandes puissances aux intérêts contradictoires.

Cette guerre se double d’un conflit régional entre chiites et sunnites, alimenté notamment part la France qui arme à coup de Rafales ses alliés égyptiens, saoudiens et Qataris. Quelle triste ironie quand on sait que l’Arabie-Saoudite est le principal exportateur de l’idéologie wahhabite et salafiste dans le monde !

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le roi Abdullah d’Arabie saoudite, en 2014

Cette guerre n’est donc pas près de s’arrêter, mais elle concerne aujourd’hui directement les classes moyennes européennes, dont le mode de vie est touché en plein cœur et qui commencent à subir le boomerang des politiques folles menées par l’Occident depuis des lustres.

Pour la première fois, une attaque de masse, menée par un groupe fasciste religieux, nous fait ressentir dans notre chair, ici et maintenant, ce que subissent les millions de réfugiés qui ne fuient pas un massacre à Damas mais des milliers de bombardements d’explosifs largués par les avions de Bachar sur les civils des banlieues de Damas, d’Alep ou d’Oms, des centaines de voitures piégées lancées par Daech, des explosions kamikazes, des exécutions massives de part et d’autre... Quand un réfugié arrive chez nous, il a déjà subi une fois, dix fois, cent fois, ce que nous venons de subir à Paris et à Saint Denis.

L’écologie politique ne peut donc pas se satisfaire, même à court terme, de l’Union sacrée. Notre compassion va aux victimes pas à ceux, assassins, commanditaires ou acteurs indirects et intéressés des grandes puissances et des grandes compagnies, des Etats de la région, qui alimentent la guerre pour la guerre.

Oui, la société doit compatir et se défendre, mais la résistance passe toujours par la compréhension et la désignation du mal, non par l’émotion. Du local au global, disons-nous depuis toujours. Nous y sommes.

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