Ségolène Neuville : «Former les personnes handicapées c'est lutter contre le chômage »

Ségolène Neuville : «Former les personnes handicapées c'est lutter contre le chômage »

    SÃ?GOLÃ?NE NEUVILLE, secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion

    En poste depuis 2014, la secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées collabore étroitement avec son homologue, la ministre du Travail, pour atteindre cet objectif. Et pour changer le regard de la société, elle veut que, quel que soit leur handicap, tous les enfants soient scolarisés.

    A 22 %, le taux de chômage des personnes en situation de handicap reste bien plus élevé que la moyenne nationale de 10,3%. Quelle est votre réaction ?

    C'est énorme et inacceptable. Quelques 450 000 personnes sont concernées, soit une part importante des 3 millions de chômeurs que compte la France. C'est aussi un véritable gâchis, sur le plan humain, social et économique. Je pense donc que pour lutter durablement et efficacement contre le chômage, il faut s'attaquer à celui des personnes en situation de handicap.

    Quelles mesures préconisez-vous pour améliorer la situation ?

    C'est un chantier immense car les causes sont très diverses. Chaque année, des dizaines de milliers de personnes se retrouvent du jour au lendemain au chômage pour inaptitude. Et souvent, elles ont plus de 50 ans. Ce n'est pas un licenciement comme un autre. Ce sont en effet souvent des personnes qui avaient un métier assez physique et pour qui la reconversion vers un métier administratif n'est pas évidente. Quelle formation, quel autre métier leur proposer ? Ce levier n'a pas été suffisamment travaillé jusqu'à présent, ni par nous, ni par nos prédécesseurs, et je voudrais m'y attaquer plus spécifiquement.

    A quoi pensez-vous concrètement ?

    Le chômage des personnes handicapées doit aussi être traité au ministère du Travail. De son côté, Myriam el Khomri travaille avec les syndicats, et moi avec les associations. Nous voulons toutes les deux que ces deux mondes se rencontrent. J'ai ainsi proposé à la ministre du Travail que, cette année, la table ronde sur le chômage et le handicap se déroule dans son ministère. Je veux avancer sur les accords d'entreprises en faveur de l'emploi des personnes handicapées. Le Président de la République nous a donné comme objectif de tripler le nombre d'accords de branches, de passer de 10 % à 30 % en trois ans.

    Que contiennent ces accords ?

    Ces accords pourront prévoir un objectif chiffré d'embauches, des mesures pour favoriser le maintien à leur poste des collaborateurs handicapés, des campagnes de sensibilisation, etc. Embaucher une personne en situation de handicap ne doit pas être considéré comme une bonne action, car, comme tout le monde, ces personnes ont toute une série de capacités. Vous allez voir qu'avec Myriam El Kormri nous allons convaincre les syndicats et nous allons signer ces accords !

    Les entreprises de plus de 20 salariés sont tenues d'employer 6 % de personnes handicapées mais peu respectent la loi...

    La situation s'améliore. Dans le public qui se doit d'être exemplaire, les 6 % sont plus ou moins respectés. Preuve que les mentalités évoluent, des grands corps d'Ã?tat comme la Cour des comptes ou le Conseil d'Ã?tat, qui passaient jusqu'à présent à travers les mailles de cette loi ne sont plus exemptés. Dans le privé, nous sommes à environ 4 %. Mais il ne faut pas se focaliser sur ce seul taux car, heureusement, la France a instauré un système compensatoire qui ne fonctionne pas si mal. Les entreprises qui ne respectent pas leurs quotas sont assujetties à des amendes et doivent verser une contribution compensatrice à l'Agefiph ou au Fiphfp. Reste que les prestations proposées par ces deux établissements sont assez limitées car trop tournées sur le seul handicap physique. J'aimerais que des prestations d'accompagnement pour des personnes handicapées psychiques soient aussi mises en oeuvre.

    Où en êtes-vous sur la formation ?

    C'est le plus gros chantier. Trois quart des personnes en situation de handicap n'ont même pas le niveau brevet. Même si le nombre d'enfants handicapés scolarisés a doublé en dix ans, il reste encore beaucoup de choses à faire. Avec la ministre de l'Ã?ducation nationale, Najat Vallaud Belkacem, notre combat est que tous les enfants, dès la maternelle et quel que soit leur handicap, puissent aller à l'école avec les autres enfants. Pour cela, il faut développer les accompagnements nécessaires. Nous avons ainsi multiplié le nombre d'assistantes de vie scolaire (AVS) et progressivement nous transférons des classes d'Instituts médico-éducatifs (IME) au sein de l'Education nationale. C'est par l'école que nous changerons les mentalités et le regard sur le handicap.

    Comme favoriser l'accès aux études supérieures aux jeunes handicapés ?

    Seuls 9 % des jeunes handicapés font des études supérieures contre 28 % pour la moyenne nationale. C'est inacceptable. Aujourd'hui, un jeune en situation de handicap est limité dans le choix de ses études car toutes ne lui sont pas accessibles. Or face aux déficiences motrices, visuelles, auditives et face à un certain nombre de troubles cognitifs, nous savons qu'il existe des solutions. Je crois beaucoup au numérique. Nous avons ainsi signé en septembre dernier avec Axelle Lemaire, secrétaire d'Ã?tat au numérique, et Thierry Mandon, secrétaire d'Ã?tat chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et des Grandes Ecoles, une charte d'accessibilité au numérique dont l'objectif est de diffuser les bonnes pratiques d'accessibilité quels que soient les outils numériques.

    Où en est-on sur le dossier de l'accessibilité des personnes en situation de handicap ? La grande majorité des établissements recevant du public (ERP) ne sont toujours pas en conformité.

    Effectivement la loi Handicap 2005 qui prévoyait la généralisation de l'accessibilité aux personnes handicapées en 2015 n'a pas tenu ses promesses. Nous nous sommes penchés sur le pourquoi d'un tel retard et nous avons constaté qu'elle ne prévoyait pas de suivi de son application, ni de point d'étape et, surtout, que certaines des normes exigées étaient inatteignables. Les rampes amovibles étaient par exemples interdites. Parallèlement à l'ordonnance de septembre 2014, nous avons simplifié un certain nombre de normes et créé le dispositif Ad'Ap (agenda d'accessibilité programmé) qui apporte un cadre juridique sécurisé et s'accompagne d'un calendrier précis et d'un engagement financier. Les gens s'en font encore une montagne alors que ce sont souvent de petits aménagements simples. Dans ma permanence d'élue locale, j'ai ainsi acheté une rampe amovible sur mesure pour 800 euros.

    Quels sont désormais vos objectifs sur ce dossier ?

    Nous souhaitons que d'ici 2018, 80 % des établissements recevant du public soient aux normes. Soit 800 000 sur 1 million, contre 330 000 aujourd'hui. Je suis optimiste car je crois que là aussi, on peut faire changer les mentalités. Les gens doivent comprendre que l'accessibilité n'est pas une charge, c'est au contraire un investissement qui permet de donner une image positive de sa société et de gagner des clients. Il faut dédramatiser cette mise en conformité.

    Comment accompagner les plus petits établissements ?

    J'encourage les associations à recruter des ambassadeurs d'accessibilité en service civique, pour informer et aider les petits établissements à se rendre accessibles. Nous avons aussi beaucoup communiqué et nous avons investi 3 millions d'euros dans différentes campagnes publicitaires dont une « Plus belle la vie ensemble », qui a touché des millions de personnes. Il faut changer les regards.

    Le chiffre

    Ã? RETENIR

    450 000 Français sont à la fois en situation de handicap et en situation de chômage.