POLITIQUE - Ce fut l'annonce la plus inattendue de ce Congrès exceptionnel convoqué à la hâte trois jours après les attentats qui ont fait au moins 129 morts vendredi 13 novembre à Paris. Lundi, devant les quelques 900 parlementaires réunis dans l'hémicycle du château de Versailles, François Hollande a annoncé son ambition de réviser rapidement la Constitution de 1958 pour, a-t-il dit, "permettre aux pouvoirs publics d'agir, conformément à l'Etat de droit, contre le terrorisme de guerre".
Problème: rares sont ceux à avoir véritablement compris de quoi il s'agissait et en quoi cette révision constitutionnelle allait bien pouvoir contribuer à garantir la sécurité des Français.
Des régimes d'exception inadaptés à la situation
Qu'a dit François Hollande ce lundi à Versailles? Tout d'abord, que les régimes d'exceptions que prévoit déjà la Loi fondamentale pour faire face à des crises graves "ne sont pas adaptés à la situation que nous rencontrons" aujourd'hui.
L'article 16, l'arme constitutionnelle absolue inspirée de la défaite de 1940, offre les pleins pouvoirs au chef de l'Etat mais à la condition stricte "que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics soit interrompu". L'article 36 instaure quant à lui un état de siège transférant les pouvoirs judiciaires aux autorités militaires, mais uniquement en cas de guerre ou d'insurrection armée.
À en croire François Hollande, aucune de ces dispositions, trop drastiques, ne convient dans la "guerre" qui oppose désormais la France à Daech.
Reste l'état d'urgence hérité d'une loi datant de 1955 et décrété dès vendredi soir. Sauf que ce régime d'exception "light" n'est valable que sur une période courte (12 jours). Or, tout le monde l'aura compris, pour être efficaces, les mesures exceptionnelles d'assignations à résidence et de perquisitions devront être exercées au-delà de ce terme.
C'est pourquoi François Hollande a annoncé qu'une première loi sera examinée (et votée) dès cette semaine de manière à autoriser le prolongement à trois mois de l'état d'urgence tout en modernisant son cadre d'action.
L'état d'urgence, un régime anticonstitutionnel?
Pourquoi ne pas en rester là et ne pas se contenter d'appliquer l'état d'urgence comme l'affirme l'opposition? "Rien à ce stade ne semble justifier [une révision]. Notre Constitution offre tous les outils juridiques pour faire face", a assuré à la tribune du Congrès le chef des députés LR Christian Jacob.
Pour justifier sa décision, François Hollande a mis en avant la nécessité de concilier un régime d'exception allégé (l'état d'urgence) en garantissant sa compatibilité avec l'Etat de droit. "Il s’agit de pouvoir disposer d’un outil approprié pour fonder la prise de mesures exceptionnelles pour une certaine durée, sans recourir à l’état de siège et sans compromettre l’exercice des libertés publiques", a-t-il justifié à la tribune.
Une source gouvernementale a précisé dans la soirée qu'il s'agissait de créer "un régime civil d'état de crise" constitutionnel qui donnerait de larges pouvoirs de police à l'exécutif sans basculer dans les pleins pouvoirs (article 16) ni en transférer aux autorités militaires (état de siège).
Pour le président PS de la Commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, l'objectif est également juridique. "La loi de 1955 qui date d'Edgar Faure n'a jamais été validée par le Conseil constitutionnel. On va injecter du béton du droit pour que la solidité de l'édifice nous permette d'être efficace", a-t-il plaidé sur France3.
Une clarification des règles de restriction des libertés, résument les experts. "Aujourd'hui, l'état d'urgence n'est pas inscrit dans la Constitution. Or les libertés fondamentales relèvent de la Constitution. Si on veut limiter les libertés fondamentales, il faut forcément réviser la Constitution. Il veut donc rendre constitutionnel l'état d'urgence", explique au Figaro le constitutionnaliste Didier Maus.
Vers un état d'urgence renforcé
Le Conseil constitutionnel a pourtant déjà eu l'occasion de s'exprimer sur l'état d'urgence. C'était en 1985 au moment de son instauration en Nouvelle-Calédonie sur décision de François Mitterrand. Saisis par l'opposition de droite qui dénonçaient alors une restriction abusive des libertés constitutionnelles (les temps ont bien changé), les Sages avaient alors donné raison à l'exécutif.
Reste qu'à l'époque, le Conseil constitutionnel s'était contenté de valider l'application de la loi sans véritablement trancher la question de sa compatibilité intrinsèque avec la Constitution. Depuis tout a changé. Il suffirait demain d'une Question prioritaire de constitutionnalité pour que les Sages remettent en cause la légitimité de l'état d'urgence ou une éventuelle loi de prorogation. On risquerait alors de voir des juges constitutionnels tatillons libérer des individus présumés dangereux en raison d'un régime juridiquement faillible.
Un camouflet politique auquel François Hollande n'a pas du tout envie de s'exposer. D'autant qu'en la gravant dans le marbre de la Constitution, le président de la République n'exclut pas de muscler l'actuelle loi de 1955. Par quel moyen? Pour l'heure, François Hollande se contente de reprendre la proposition du comité Balladur. En 2007, ce dernier préconisait de modifier l'article 36 pour associer état de siège et état d'urgence, en laissant le soin au législateur de définir leur périmètre (et surtout leur durée) par une loi organique.
Toute la question est de savoir ce que cette loi de portée constitutionnelle autorisera. Plus de garanties pour les citoyens visés par des mesures policières préventives? Ou bien la création de camps d'internement comme le réclame le député LR Laurent Wauquiez?
Pour le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, la messe est dite: "Cette volonté d'inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, sans aucune implication du peuple, tout en le renouvelant immédiatement pour 3 mois, instaure un état d’urgence permanent contraire aux libertés fondamentales."
Simple rappel: modifier la Constitution requiert un référendum ou la majorité des 3/5e au Congrès. Dans les deux cas, François Hollande aura-t-il une majorité pour mener à bien un projet déjà si peu compris?