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La marchandisation du deuil

Coques de téléphone et hoodies #PrayForParis : bienvenue dans l'appropriation mercantile de la mort.

En leur temps, les attentats du 11 septembre avaient révélé la faculté hors pair de nos sociétés capitalistes à exploiter l'émotion collective en commercialisant des objets commémoratifs, tels que jeux de fléchettes magnétiques pour tirer sur Ben Laden ou des tapis à l'effigie des Twin Towers. Mais depuis 2001, un nouveau cap a été franchi grâce au succès grandissant des sites de vente de particulier à particulier et aux progrès de l'impression sur demande qui ont raccourci les délais d'impression à quelques heures. Ces deux facteurs ont permis à quiconque doté d'un ordinateur, d'une vague idée et de quelques centaines d'euros de s'improviser entrepreneur – ce qui a favorisé toutes sortes de dérives.

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Déjà en janvier dernier, suite aux attentats contre le journal Charlie Hebdo , le slogan « Je suis Charlie » créé par Joachim Roncin a été repris partout dans le monde – y compris sur des hoodies. Face aux tentatives d'appropriation mercantile de son slogan, Roncin s'est déclaré « horrifié ». L'Institut National de la Propriété industrielle a ensuite précisé qu'il rejetterait toutes demandes de marques « Je suis Charlie ».

Peu après les attentats du 13 novembre, les produits dérivés sont également apparus un peu partout en l'espace de quelques heures. Le soir des attaques, l'illustrateur français Jean Jullien postait un dessin représentant la Tour Eiffel dans le symbole ☮, avant d'expliquer à WIRED que le dessin avait vocation à véhiculer un message de paix et de solidarité et qu'il ne cherchait pas en bénéficier de quelque manière que ce soit. Plusieurs sites comme Zazzle – qui permet à la fois de produire et de vendre ses créations – propose déjà des coques de téléphone, des T-shirts et des badges sur lesquels figurent son dessin ou la mention « Pray For Paris » omniprésente sur les réseaux sociaux. Même chose sur Etsy, où il est possible d'acquérir pendentif et boucles d'oreilles assorties. De nombreux vendeurs affirment qu'une part (et parfois la totalité) des bénéfices sera reversée à des associations de victimes ou bien des organismes tels que la Croix Rouge, sans que cela ne soit facilement vérifiable.

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Lorsque nous avons demandé au service presse de Zazzle s'ils comptaient supprimer les annonces visant à tirer profit des attentats, nous avons obtenu la réponse suivante : « Beaucoup de designers Zazzle créent des œuvres qui montrent le soutien aux Français pendant cette période difficile. Tant que les dessins suivent nos lignes directrices, Zazzle continuera de permettre la vente des produits créés sur nos sites web. » En d'autres termes, le site s'en remet à son règlement habituel et aucun objet lié aux attaques du 13 novembre ne sera retiré. Dans un article portant sur les T-shirts « Je suis Charlie » commercialisés en janvier, CNN Money a demandé à plusieurs vendeurs s'ils ne trouvaient pas leur démarche un brin « insensible », ce à quoi leurs interlocuteurs avaient répondu qu'il était important de faire passer ce message, et que si personne ne vendait ces objets, quelqu'un d'autre s'en chargerait à leur place (sic). [Mise à jour 18 novembre : Zazzle a finalement décidé de retirer tous les produits comportant des motifs ou des textes liés aux attentats – une opération qui peut prendre jusqu'à 48 heures.]

Parallèlement, des annonces pour des objets aussi anodins que des bannières festives estampillées « Peace » ont été rebaptisées pour que figure la mention « Pray for Paris » dans les mots-clés, avec toute la froideur qui incombe aux plus aguerris des experts SEO. D'autres articles jouant sur la colère – tels que ce T-shirt sur lequel on peut lire « Toutes les vies comptent. Sauf celles des mecs de l'EI. On les emmerde. » – ont également été bradés le temps d'un week-end (–20% avec le code SOLIDARITY), même s'il est important de préciser que Nine Line Apparel reverse une partie de ses bénéfices à des vétérans américains et leur famille. Il est à noter que la boutique de vêtements Pray For Paris est aussi un cas particulier puisqu'elle porte ce nom depuis son ouverture en 2011. Au vu des circonstances, les responsables du site ont choisi de faire cesser les ventes le 14 novembre en raison des événements – désormais, 20 % des bénéfices seront reversés à la Croix Rouge.

Dans un communiqué de presse publié lundi 16 novembre, le site eBay a annoncé qu'il reverserait aux victimes et à leurs proches « 5 % de leur chiffre d'affaire qui sera réalisé sur ses places de marché en Europe les 14 et 15 novembre », peut-être pour se dédouaner des bénéfices engendrés par l'appropriation mercantile de certains vendeurs. La porte-parole d'eBay a ajouté que des mesures avaient été prises pour « s'assurer de l'absence d'annonces inappropriées ou illégales cherchant à glorifier ou à tirer profit de cette tragédie. »

De son côté, le site Amazon.fr « veille depuis la matinée du samedi 14 novembre à empêcher toute exploitation des évènements tragiques survenus à Paris via la vente d'objets dérivés sur sa Marketplace. Le cas échéant, Amazon retire tous les produits proposés par des marchands tiers et identifiés comme tels », comme nous l'a expliqué son service de communication. Au soir du lundi 16 novembre, aucune annonce de ce type n'avait été détectée par leurs services.