La France « en guerre » invoque la clause de défense mutuelle de l’UE

François Hollande a déclaré que la France allait "détruire" l'État islamique. [Delaville]

François Hollande va invoquer pour la première fois la clause de défense mutuelle de l’Union européenne pour combattre les auteurs des attaques à Paris, pariant ainsi sur le soutien de l’UE plutôt que sur celui de l’OTAN.

S’adressant aux députés et sénateurs réunis à Versailles le 16 novembre, François Hollande a déclaré que la France était « en guerre » et que les djihadistes n’étaient « pas seulement l’ennemi de la France, mais l’ennemi de l’Europe ».

Suite au massacre du vendredi 13 novembre qui a fait 129 victimes, le Président français a affirmé que la France s’engageait à « détruire » l’État islamique.

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À la surprise générale, il a annoncé devant le Congrès que la France invoquerait le point 7 de l’article 42 du traité européen lors d’une réunion des ministres européens de la Défense le 17 novembre. L’article « prévoit que lorsqu’un État est agressé, tous les États membres doivent lui apporter leur soutien pour faire face à l’agression », a rappelé François Hollande.

Suite à ce discours, Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, a déclaré aux journalistes que l’activation de cette clause était « possible, mais pas encore décidée ».

« Nous allons examiner cela de près pour pouvoir répondre à cette demande », a-t-elle expliqué, ajoutant que les discussions avec les autorités françaises auraient lieu avant le Conseil des ministres de la Défense.

Selon Federica Mogherini, les Français n’auraient pas signalé leur intention d’invoquer la clause lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères le 16 novembre. Elle a toutefois affirmé avoir déjà été prévenue par un représentant du gouvernement français.

Solution intergouvernementale

Le Président français a pris soin d’invoquer l’article 42.7 et non pas l’article 222 du traité européen, aussi appelé « clause de solidarité ». Alors que ce dernier ouvre la voie à davantage d’implication de la part des institutions, l’article invoqué est une solution intergouvernementale qui permet à Paris de jouer un rôle plus important.

Par ailleurs, étant donné la stricte formulation de l’article 222, un représentant de l’UE a déclaré qu’il était « peu probable » que la France demande d’appliquer cette disposition légale.

La « clause de solidarité » du traité de Lisbonne stipule que l’État membre victime d’un acte terroriste ait utilisé tous les « moyens et outils » à sa disposition tant au niveau national qu’européen, et « considère que la situation dépasse ses capacités de réponse ».

Il est surprenant que la France se soit tournée vers le traité européen plutôt que vers l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. La priorité donnée à l’UE plutôt qu’à l’OTAN montre le soutien de longue date de la France pour une politique européenne de défense autonome, sans Washington. Cette situation permettra de montrer comment l’UE et l’OTAN se coordonnent dans le cas d’une menace sur le sol européen.

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L’article 42.7 stipule que « les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ».

Pas d’article 5 en vue

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, sera présent lors de la réunion des ministres de la Défense le 17 novembre. Même si François Hollande a émis la possibilité de demander le soutien de l’OTAN lors de son discours, des experts et des sources militaires consultés par EURACTIV doutent de l’activation de l’article 5. Cette clause n’a été déclenchée qu’une fois : au lendemain des attentats du 11 septembre.

La France aurait déjà demandé l’activation de l’article, a déclaré un responsable de l’armée sous couvert d’anonymat. Presque tous les alliés sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans la lutte contre EI en Syrie et en Irak, a-t-il souligné. Il a également rappelé que les attaques à Paris et aux États-Unis n’avaient pas la même échelle. « 3 000 morts, ce n’est pas la même chose que 130 », a-t-il commenté.

Une autre source proche de l’armée a indiqué que malgré la brutalité des événements survenus à Paris vendredi soir, la situation est différente de ce qu’elle était en 2001. Selon lui, la France peut compter sur davantage de soutien bilatéral de ses alliés de l’OTAN pour accroître sa campagne contre les djihadistes.

Sven Biscop, directeur du programme « Europe dans le monde » à l’institut Egmond, a déclaré que l’article 5 de l’OTAN et l’article 222 de l’UE auraient surtout une « valeur symbolique » puisque les opérations militaires contre l’EI sont déjà en cours. Ils serviraient seulement à légitimer les bombardements français en Syrie en leur donnant une base juridique.

Cette décision n’augmentera pas la présence militaire européenne. « Au contraire, il est nécessaire d’accélérer les discussions avec la Russie, l’Iran, l’Irak, la Turquie, l’Arabie saoudite, et de décréter un cessez-le-feu sur tous les fronts pour se concentrer sur les opérations contre l’EI, grâce à des troupes au sol nationales et des troupes aériennes de l’extérieur », a estimé Sven Biscop.

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Les États-Unis appellent quant à eux à l’activation de l’article 5 du traité de l’OTAN. Le sénateur républicain et candidat à la présidentielle Marco Rubio a déclaré dans une interview ce week-end que les attaques à Paris étaient « clairement un acte de guerre et une attaque sur l’un de nos alliés de l’OTAN. Nous devrions invoquer l’article 5 et s’unir pour former une coalition et faire face à ce défi ».

Le président français a affirmé qu’il rencontrerait Vladimir Poutine et Barack Obama dans les prochains jours pour travailler sur la formation d’une « grande coalition » contre Daech.

Une nouvelle que les partenaires de l’est de l’UE risquent d’avoir du mal à avaler, puisque Vladimir Poutine est au centre de leurs préoccupations.

François Hollande a déclaré que la France chercherait sans relâche une solution politique en Syrie, suggérant ainsi un changement d’attitude envers le régime de Bachar Al-Assad, soutenu par Moscou. « Bachar Al-Assad n’est pas la solution, mais notre ennemi en Syrie est Daech », a-t-il affirmé.

Le Conseil de l’Atlantique Nord, qui représente tous les alliés de l’OTAN, a déclaré dans un communiqué le 16 novembre : « nous sommes tous déterminés à répondre et mettre un terme à la menace terroriste et extrémiste ». Certains membres de l’OTAN coopèrent déjà avec la France dans les opérations en cours et dans les enquêtes sur les attentats de Paris.

Plus tard dans la journée, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a pris la parole lors de la conférence annuelle de l’Agence européenne de défense (AED). « La lutte contre le terrorisme est un autre exemple soulignant le caractère naturel de l’alliance entre l’Union européenne et l’OTAN. Nous avons le même voisinage, les mêmes menaces sécuritaires complexes. Nous avons 22 membres en commun. Plus de neuf citoyens européens sur dix vivent dans un pays membre de l’OTAN », a-t-il rappelé. « La réaction de la communauté internationale doit être aussi diverse que la menace elle-même. Pour soigner les symptômes, mais aussi les causes originelles, nous devons adopter une approche complète. […] Une armée forte est un composant clé de cette approche », a-t-il ajouté.

La « clause de défense mutuelle » (article 42.7 des traités européens) invoquée par Paris prévoit ce qui suit : « Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. »

L'article 222 de la clause de solidarité du traité sur le fonctionnement de l'UE est formulé de manière similaire, puisqu’il stipule que « L'Union et ses États membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité si un État membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine. L'Union mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les États membres. »

Ce n’est pas un hasard que le président français ait préféré invoquer l’article 42.7. Celui-ci donne en effet plus de pouvoir aux États, alors que l’article 222 du traité de fonctionnement prévoit que les institutions européennes jouent un rôle essentiel, puisque la Commission et la Haute Représentante identifieront les outils adéquats et fourniront les rapports d'évaluation de la situation. Par ailleurs, le centre de réaction d'urgence de la Commission, ou tout autre organe désigné par l'exécutif européen, gérera la coordination de la réponse opérationnelle et produira des rapports communs d'évaluation de la situation.

S'il revient à la France de demander l'aide de l'UE dans ce cas-ci, l'OTAN peut être engagée par n'importe quel autre représentant de l'Alliance.

Lors des attentats du 11 septembre 2011, les membres de l'Alliance ont approuvé l'appel du secrétaire général de à invoquer l'article 5, 24 heures seulement après les attentats. David Wright, ambassadeur du Canada auprès de l'OTAN, fut le premier à proposer d'utiliser cet article.

Malgré la réticence de la France à demander l'implication de l'OTAN, les États-Unis et d'autres pays non-européens, comme le Canada et la Turquie, se sont déjà lancé dans une campagne de frappes aériennes orchestrée par Washington. Cette opération, « Operation Inherent Resolve », a pour objectif de bombarder les territoires sous le contrôle de l'État islamique en Iraq et en Syrie. Cette coalition inclut également des États de l'UE, comme la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France. 

  • 17 novembre : Réunion des ministres de la défense de l'UE.
  • 20 novembre : Réunion extraordinaire des ministres de la Justice et de l'Intérieur de l'UE. 

Commission européenne

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