Le nouveau visage de la radicalisation islamiste
+ VIDEO Près des deux-tiers des djihadistes français présents en Syrie et en Irak ont entre 15 et 21 ans, note une étude de l'Unité de Coordination de la Lutte Anti-Terroriste. Ils ne sont pas tous d’origine maghrébine et proviennent de toutes les classes sociales.
Les attentats qui l'ont frappé sur son sol en janvier puis en novembre 2015 en sont la preuve, la France doit aujourd’hui faire face à un problème de taille : l’engagement radical violent, le plus souvent en lien avec les filières terroristes syriennes, de plusieurs centaines de personnes. Difficulté supplémentaire : par rapport aux années 1980-1990, la donne a changé et il n'est plus possible de dresser "un" portrait-robot du candidat français au djihad.
Plus jeune, plus féminin, moins maghrébin, son portrait a changé. "Les djihadistes présents en Syrie ou en Irak sont issus d’une nouvelle génération jeune et hétérogène sans être forcément d’origine maghrébine. Les services de l’Etat dénombrent une part importante de convertis avec une implication notable de femmes (200 environ) et de mineurs", a noté l'Unité de Coordination de la Lutte Anti-Terroriste (UCLAT) dans une étude de mars 2015.
Ces jeunes sont souvent contraints à participer à des opérations criminelles. S’ils refusent, ils sont séquestrés et maltraités. Lorsqu’ils découvrent la réalité derrière la propagande et qu’ils souhaitent rentrer en France, ils sont empêchés ou exécutés. D’autres en viennent à participer à des actions terroristes avec les conséquences humaines, pénales et psychologiques que cette barbarie implique.
Majoritairement issus des classes moyennes
Qui sont ces jeunes ? Ils sont issus de toutes les classes sociales, de tous les milieux, urbains comme ruraux, centre-ville comme des banlieues, parfois convertis à l'islam à l'instar de Fabien Clain_ considéré comme le commanditaire de la tentative avortée d'attentat par Sid Ahmed Ghlam dans une église de Villejuif _ qui, dans un message audio, a revendiqué les attentats du 13 novembre.
Parmi ces jeunes candidats au djihad, les classes moyennes sont majoritaires (67%,) les milieux populaires (16%) sont à égalité avec les catégories socioprofessionnelles supérieures (17%), note l'Uclat sur la base des personnes signalées entre avril 2014 et mai 2015 qui a permis de dresser la carte de France de la radicalisation (voir la carte ci-dessus).
La tranche la plus touchée est celle des 15-21 ans : 63% des candidats au djihad recensés dans ces familles. Et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, parmi eux, seuls 5% ont commis des actes de petite délinquance. En revanche, 40% d'entre eux ont connu la dépression, ce qui conduit les auteurs du rapport à formuler l'hypothèse que l'endoctrinement "fonctionne plus facilement sur des jeunes hypersensibles".
Du Nord à Nice en passant par l'Aquitaine
Sur le plan géographique, c'est dans les régions peuplées du Nord Pas-de-Calais, de la région parisienne, de Rhône-Alpes et dans le croissant Sud-est (de Montpellier à Nice) que le taux de signalements de départ pour djihad en Syrie et en Irak est le plus élevé (plus de 50 cas en un an par département). Plus surprenant peut-être, le constat que les bassins de Toulouse et de Perpignan mais aussi la Champagne, l'Alsace et l'Aquitaine, affichent le même taux.
Selon Statista (voir le tweet ci-dessous), les Français ont fourni en 2014 le plus gros contingent de djihadistes étrangers engagés en Syrie, juste derrière les Russes.
You will find more statistics at StatistaSite internet et cellule de désembrigadement
Quelles réponses peuvent trouver les familles et les proches qui s'inquiètent ou constatent un processus de radicalisation chez un fils, un ami, un proche ? Il en existe principalement deux. Après les attentats contre "Charlie Hebdo", le gouvernement a mis en ligne fin janvier un site spécialisé, stop-djihadisme.gouv.fr pour lutter contre la propagande djihadiste. A travers ses différentes rubriques (Comprendre la menace terroriste, Décrypter la propagande djihadiste, Agir - L'action de l'Etat » et Se mobiliser - Ensemble), ce site propose des explications et des pistes de déradicalisation.
Mais la prise de conscience et les réponses ne datent pas de 2015. A la suite du grand nombre d’appels de familles qui avaient reconnu leur enfant dans le processus de radicalisation décrit par Dounia Bouzar (dans son ouvrage "Désamorcer l’islam Radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam" paru en janvier 2014), le Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam ( CPDSI, voir le site ici) a vu le jour en avril 2014.
Après avoir travaillé avec 160 familles sur les indicateurs de prévention, Dounia Bouzar, qui dirige aujourd'hui le CPDSI, est revenue sur le processus d’embrigadement dans son rapport " La Métamorphose du jeune opérée par les nouveaux discours terroristes". Un travail qui a valu au CPDSI d'être mandaté par le ministère de l'Intérieur comme Cellule mobile de désembrigadement sur le territoire national. "Le chiffre de 4.000 cas qui circule correspond aux signalements des familles. Ce n'est donc que le haut de l'iceberg", confie-t-elle mercredi aux Echos (voir la vidéo)
Ces cellules, qui ont vocation à intervenir auprès des jeunes en voie de radicalisation ou radicalisés ainsi qu’auprès des familles concernées en vue de leur accompagnement, vont se généraliser dans les mois qui viennent.
Le 15 octobre dernier, Dounia Bouzar a publié un nouveau livre au titre prémonitoire, "La Vie après Daesh".
Jean-Michel Gradt