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Combien y a-t-il de djihadistes en France et quels sont leurs profils?

Challenges revient sur les différentes données qui circulent à propos du nombre de djihadistes et d'islamistes radicaux en France.
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camp d'entraînement djihadiste à Alep
Camp d'entraînement djihadiste près d'Alep, en Syrie, le 19 juillet 2012.
Bulent Kilic/AFP

Après les attentats terribles perpétrés le 13 novembre et qui ont provoqué la mort de 129 personnes au moins à Paris, le Premier ministre Manuel Valls a désigné comme ennemi de l'intérieur l'islamisme radical. Mais que recouvre exactement ce terme ? Combien de personnes sont concernées en France ? Face à la valse des chiffres cités, aux fantasmes et aux peurs, il importe de prendre une juste mesure de la menace djihadiste en France, comme de la notion d'islam radical. 

Que désigne-t-on par islamisme radical ?

Que l'on parle d'islamistes intégristes, de radicaux ou de fondamentalistes, ces termes renvoient à des notions complexes et parfois floues. En réalité, il existe plusieurs types de radicalisation islamiste. "Le terme de radicalité est devenu un terme fourre-tout", prévient Samir Amghar, spécialiste de l'orthodoxie en islam, chercheur à l'Université Libre de Bruxelles. "Il y a d'un côté une forme de radicalisation politico-religieuse avec des logiques violentes et, de l'autre côté, une radicalisation avant tout religieuse qui en appelle à ce que ses partisans désignent 'le respect du gouverneur en place'", explique le sociologue. "Ce n'est donc pas parce qu'on se radicalise qu'on a des visées politiques", détaille-t-il. En d'autres termes, certains fondamentalistes se concentrent uniquement sur le quotidien des croyants. Ils ne préconisent pas le djihad, même s'ils peuvent avoir des positions très rigoristes sur les interdits et d'autres sujets comme la place des femmes au sein de la communauté.

"Il convient de parler de courants précis", estime Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamiques. "Il y a les takfiristes, le mouvement Tabligh, les Frères musulmans, les salafistes… La mouvance djihadiste est une sorte de sous-forme du salafisme", indique-t-il. "D'ailleurs, les fondamentalistes religieux sont souvent engagés contre le mouvement djihadiste car ils sont, d'une certaine manière, concurrents", ajoute-t-il. "Généralement, les discours rigoristes des fondamentalistes assèchent les visées djihadistes", confirme Samir Amghar. Enfin, comme le montrent les profils des djihadistes qui passent à l'acte (cf. plus bas), le salafisme purement religieux n'apparaît pas nécessairement comme l'antichambre du courant djihadiste.

Au sein du salafisme, qui appartient à la branche sunnite de l'islam, il y a trois grandes mouvances. Les salafistes quiétistes (ou "piétistes") constituent l'écrasante majorité des salafistes de France. Ils se replient sur la pratique de leur foi, sans volonté de modifier leur environnement. Ils considèrent que leur pratique religieuse ne peut pas s'intégrer au mode de vie occidental et rejettent tout encadrement. La salafisme politique, dont les rangs sont beaucoup moins garnis, veut lui modifier les institutions et la législation pour qu'elle s'adapte à leur foi. Les Frères musulmans font partie de cette catégorie. S'ils souhaitent instaurer un islam rigoriste, ils ont renoncé à la violence comme mode d'action. Enfin, il y a le courant salafiste révolutionnaire, très minoritaire, autrement dit les djihadistes, qui eux prônent la violence pour imposer leurs vues à la société. Notez que les salafistes quiétistes ne les considèrent pas comme d'authentiques salafistes.   

Combien compte-t-on d'islamistes radicaux en France ?

"L'islam ultra-orthodoxe en France, cela représente entre 20.000 et 30.000 fidèles", souligne Samir Amghar. On y regroupe tous les mouvements de l'islam radical, notamment le salafisme, de loin le plus important. A toutes fins utiles, il convient bien évidemment de rappeler que ces mouvements sont particulièrement marginaux par rapport au nombre de musulmans en France. Patrick Simon, chercheur à l'Ined, estime qu'il y aurait entre 3,9 et 4,1 millions de musulmans en France, pas tous pratiquants. Si l'on se réfère à une enquête Ifop datant de 2011 pour le journal La Croix, 75% des personnes interrogées issues de familles "d'origine musulmane" affirmaient être croyantes (dont 41% de pratiquants). En extrapolant ces données, les musulmans ultra-orthodoxes, dont font partie les salafistes, représentent donc moins de 1% de la communauté des croyants musulmans. Précisons, encore une fois, que les djihadistes sont encore moins nombreux.

Combien de personnes fichées pour radicalisation ?

Le Premier ministre Manuel Valls a indiqué le 24 novembre dernier dans Le Petit Journal de Canal+ qu'il y avait actuellement 20.000 personnes fichés S, dont 10.500 pour leur "appartenance ou leur lien avec la mouvance islamique". Attention toutefois à ne pas surinterpréter ce chiffre. Les fiches S (pour "sûreté de l'Etat") sont utilisées pour signaler un individu suspect aux services de police et aux agents du renseignement, et leur indiquer la marche à suivre en cas d'interpellation ou de contrôle. Il peut toutefois s'agir d'individus aux profils très variés : hooligans, anarchistes ou néo-nazis par exemple. En tout, il existe 15 sous-catégories de dangerosité pour la fiche S (de S1 à S15). Ensuite, toutes les personnes fichées S ne sont pas nécessairement des activistes confirmés. Parmi les fiches S qui concernent des islamistes radicaux ou des individus pouvant avoir un lien avec la mouvance terroriste, certains individus sont connus et ont été condamnés pour des actes terroristes, notamment ceux de 1995. D'autres sont soupçonnés de pouvoir se radicaliser ou de l'être déjà.

"Si on crée une fiche S, c’est qu’on n'a rien sur un individu et que l’on veut savoir si cela vaut le coup de lever le doute et de mettre des moyens opérationnels très lourds", a ainsi expliqué sur Europe 1 Bernard Squarcini, ancien patron de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI). Il s'alarme d'ailleurs d'une certaine dérive médiatique et d'une instrumentalisation politique de ces fiches S. "Depuis l’affaire Merah, il y a eu une déviation totale de l’utilisation et de la signification d’une fiche S. On est complètement à côté de la plaque", assure-t-il.

Enfin, les médias se concentrent généralement sur les fiches S, alors qu'un autre fichier a été créé par les autorités : le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Ce fichier secret a été créé par le décret n°2015-252 du 4 mars 2015. Le fonctionnement de ce fichier a ensuite été modifié par un décret en date du 30 octobre 2015. Le journal officiel précise que le contenu de ce dernier décret ne peut pas être dévoilé au public. Un rapport du 1er avril 2015 de la Commission d'enquête sénatoriale indique cependant :

"La surcharge de travail pour les services de police et de renseignement résultant de la multiplication des individus impliqués et des signalements à traiter risque d'aboutir à ce que certaines situations ne fassent pas l'objet d'un traitement approprié. Cette affirmation doit cependant être nuancée par la constitution, depuis le 4 mars dernier, d'un fichier permettant à l'UCLAT de centraliser toutes les informations résultant des signalements qui lui parviennent par le biais du CNAPR".

 

L'UCLAT, c'est l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste. Le CNAPR est le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, qui gère le numéro vert ainsi que le site Stop-Djihadisme lancé par le gouvernement.  Au total, 11.400 personnes seraient radicalisées à divers stades et se retrouveraient fichés au FSPRT mais toutes n'auraient pas de fiche S selon Le Figaro. Il y aurait parmi eux 25% de femmes et 16% de mineurs. On ne sait donc que peu de choses sur le FSPRT et rien ne dit que tous les individus fichés soient uniquement en lien avec les filières djihadistes. Quid par exemple des nationalistes corses?

 

Combien y a-t-il de djihadistes en France ?

Il n'existe aucune évaluation officielle du nombre de djihadistes dans l'Hexagone. Mais nous pouvons tenter d'estimer un ordre de grandeur. "Parmi les ultra-orthodoxes, ceux qui sont dans des logiques de violence ne seraient que quelques centaines ou quelques milliers sur le territoire", estime ainsi Samir Amghar. "Le courant djihadiste compte quelques milliers d'adeptes au maximum. On évoque parfois le chiffre de 5.000 personnes. Mais attention, sur cette population, on estime que seulement un sur dix a véritablement la volonté de passer à l'acte", affirme Romain Caillet. "Il faut bien différencier la posture de certains djihadistes de salon et ceux qui rejoignent effectivement la Syrie pour se battre", souligne également Samir Amghar.

Lorsqu'on épluche le discours du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve prononcé le 12 novembre 2015, on retrouve plusieurs informations plus précises sur le nombre de Français impliqués dans le Djihad. Bernard Cazeneuve y indique, à propos des Français impliqués dans les filières irako-syriennes, "cette population d’environ 2.000 individus, dont le nombre va croissant, représente globalement, comme je l’ai dit, un risque sécuritaire majeur". Le ministre estimait ensuite qu'elle "ne constitue pas à proprement parler un phénomène 'de société' et encore moins un courant, même marginal, de l’islam de France". Il précise par ailleurs que, dans le cadre du Fonds interministériel de la délinquance, "6 millions d’euros sont ainsi actuellement consacrés au suivi de 1.213 jeunes radicalisés et à l’accompagnement de 620 autres". Et le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), mis en place il y a un peu plus d'un an et demi, a reçu "3.800 signalements pertinents" de "familles confrontées au phénomène de la radicalisation". Sans qu'il ne soit explicité si plusieurs signalements peuvent correspondre à un même individu et si tous ces signalements ne concernent que des radicalisations en lien avec les mouvances djihadistes. Certains appels ont pu concerner des formes de radicalisation religieuse mais ne prônant pas nécessairement la violence.

 

Combien de Français sont partis en Syrie ?

Fin 2015, près de 1.800 Français étaient impliqués dans les filières djihadistes en Irak et en Syrie. Près de 600 d'entre eux sont encore sur place. Parmi eux, environ 220 femmes auraient rejoint les rangs de Daech, selon un rapport confidentiel des services de renseignement auquel France Inter a eu accès. Le nombre de femmes djihadistes est ainsi trois fois plus important que deux ans auparavant. Enfin, près de 250 Français sont revenus de Syrie et d'Irak.

Reste que les Français partis en Syrie n'y vont pas tous pour combattre (voir ci-dessous le profil des personnes radicalisées).

De son côté, un rapport du ICSR (International Centre for the Study of Radicalisation) du Kings College of London estimait que, début 2015, près de 1.200 Français s'étaient rendus en tout en Irak ou en Syrie pour rejoindre des organisations terroristes depuis le début du conflit en 2011. L'ICSR indique aussi (pour l'ensemble des Européens partis dans ces zones de conflit) que 5 à 10% de ces personnes sont mortes et que 10 à 30% d'entre elles ont quitté les théâtres d'opération, retournant chez elles ou étant bloquées dans des pays de transit.

 

Combien de Français de retour de Syrie ou d'Irak sont en prison ?

Dans une interview donnée à France 2 le 18 novembre Bernard Cazeneuve indique : "Il y a aujourd'hui 138 djihadistes qui sont revenus et qui ont été judiciarisés, mis en examen, incarcérés, mis sous contrôle judiciaire". Soit un peu plus de la moitié des Français partis en Syrie ou en Irak pour rejoindre des organisations terroristes et revenus en France.

 

Quel est le profil sociologique des djihadistes?

Il faut rester prudent sur les motivations des personnes parties en Syrie et en Irak. Elles sont diverses et les informations sur le sujet sont rares. "Il n'y a pas de profil", tranche Samir Amghar. "On retrouve aussi bien des personnes de classes populaires que des classes moyennes. Des anciens du grand banditisme côtoient des ingénieurs", indique-t-il. "C'est un mélange entre des individus qui ont des motivations intégristes et violentes, d'autres qui partent pour des motifs qui se veulent humanitaires, d'autres qui veulent vivre leur foi dans un Etat islamique…", analyse-t-il. Daech axe ainsi une partie de sa propagande sur des images d'enfants ou de civils tués ou blessés dans la guerre menée contre les armées occidentales, les chiites et le président syrien Bachar al-Assad.

"La radicalisation précède l'islamisation", constate de son côté Farhad Khosrokhavar, sociologue, directeur de recherches à l’EHESS et auteur du livre "Radicalisation" (éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2014). "Les djihadistes sont souvent des incultes sur le plan religieux. Ils ont une lecture du Coran très sélective", avance-t-il. "Chacun met ce qu'il veut dans cet islamisme radical, avec souvent une sacralisation de la haine dans les banlieues et dans les prisons. En face, le champ idéologique est vide. Il n'y a plus d'utopie communiste. Le djihadisme joue aussi sur l'anti-américanisme et l'anti-impérialisme", insiste-t-il. Souvent, ils passent de non pratiquant à djihadiste sans passer par la case "religieux radical".

Les profils sont en train d'évoluer. "Avant 2013, il s'agissait surtout de jeunes de banlieues pauvres, ayant développé une haine de la France, en rupture avec la société et ayant connu la petite délinquance", développe Farhad Khosrokhavar. Des individus comme Mohammed Merah, Amedy Coulibaly ou les frères Kouachi entrent plutôt dans cette catégorie. "C'est encore le profil dominant de ceux qui passent à l'acte lors d'attentats terroristes", ajoute-t-il. "Cela pourrait changer à l'avenir car, depuis 2013, les profils des gens radicalisés se sont diversifiés : il y a plus de filles, plus de convertis, davantage de représentants de la classe moyenne". "La moitié de ceux qui partent en Syrie aujourd'hui sont issus de la classe moyenne", juge le chercheur. Cette évolution correspond aussi à un mouvement impulsé par Daech. Dans l'un des derniers numéros de Dabiq, la revue de l'Etat islamique, Daech poste ainsi des offres d'embauche pour des emplois très variés, comme par exemple… des coachs sportifs. Au-delà de l'anecdote, Daech veut s'ériger en véritable Etat. Il cherche donc des ingénieurs, des logisticiens, des communicants tout autant que des combattants. En arrivant en Syrie, il y a une formation religieuse sommaire puis Daech jauge des qualités des arrivants pour les orienter vers telle ou telle branche de l'organisation.

Fin 2014, le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI), un organisme privée créé par Dounia Bouzar, avait publié un rapport sur l'origine sociale des jeunes radicalisés ou en voie de l'être. Cette enquête précieuse a été réalisée à partir des données recueillies auprès de 160 familles qui avaient décidé d'appeler le CPDSI afin de se faire conseiller et accompagner. "80% des familles sont de référence athée, 20% sont de référence bouddhiste, juive, catholique ou musulmane", souligne le rapport. Par ailleurs, toutes ces familles sont de nationalité française et seules 10% d'entre elles ont des grands parents ayant immigré en France depuis les Antilles, l'Allemagne, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc ou encore l'Asie. Autre donnée qui va plutôt à l'encontre de certains clichés : 67% des familles sont issues des classes moyennes, 16% des classes populaires et 17% des classes supérieures. Une grande partie de ces familles viennent des milieux enseignants et éducatifs. Parmi les jeunes attirés par le discours de l'islam radical, seulement 5% ont commis des actes de "petite délinquance" mais près de 40% ont connu "des épisodes de dépression". Cette étude très intéressante n'est cependant pas nécessairement représentative de tous les individus radicalisés ou des candidats au djihad. Notamment du fait de l'âge des jeunes concernés par l'étude: 63% d'entre eux ont entre 15 et 21 ans. Mais également parce que certaines familles détectent plus facilement la radicalisation de leurs enfants et font plus aisément appel à une aide extérieure.

S'agit-il de personnes simplement manipulées ? Les avis divergent. "J'ai du mal à y croire", estime pour sa part Samir Amghar. Le sociologue rappelle que 10 à 30% des Européens qui partent en Syrie et en Irak reviennent ensuite (cf le rapport du ICSR). "Selon moi, une majorité d'entre eux reviennent car ils sont déçus par ce qu'ils ont vu en Syrie", explique Samir Amghar. Ce que semble confirmer un autre rapport du ICSR du Kings College of London sur les "déçus du djihad". Cette enquête, portant sur 58 personnes étant parties en Syrie et ayant ensuite parlé de leur fuite. Dans leurs discours, quatre critiques principales de Daech émergent : la manière dont Daech combat aussi d'autres groupes rebelles sunnites (le régime d'Assad semblant passer au second plan), la brutalité des atrocités commises, la corruption au sein de l'organisation et, enfin, les dures conditions de vie. Ces informations cadrent donc mal avec la vision de jeunes qui ne comprendraient pas les enjeux liés à leur départ en Syrie et qui n'adhéreraient pas au discours global de l'Etat islamique.  

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