La patrie (économique) est-elle en danger? C'est ce que semble croire Eric Woerth qui déclarait ce lundi que "Le prix de notre sécurité ne peut pas être l'augmentation du chômage par celle des déficits!". Et le député de l'Oise, ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy, peut compter sans surprise sur le soutien du patron du Medef, Pierre Gattaz, qui appelle, ce mardi, à "ne pas laisser partir à vau-l'eau les dépenses publiques".

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En cause, les déclarations, la veille, du président de la République François Hollande face au Congrès. Sur un ton solennel si ce n'est martial, le chef de l'Etat a détaillé les mesures envisagées au lendemain des terribles attaques qui ont frappé les 10e et 11e arrondissements de la capitale. Parmi elles, la création de 5000 nouveaux postes dans la police et la gendarmerie, pour un coût estimé à un milliard d'euros par an. Des dépenses qui ne seront pas compensées par de nouvelles recettes dans le Budget 2016, quoi qu'en pense Bruxelles. Autrement dit, la promesse de laisser, si besoin, filer les déficits car "la sécurité des Français n'a pas de prix".

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Sécurité, chômage, déficit... Quel rapport?

Si le lien entre la sécurité et le déficit est assez simple à établir (de nouveaux postes de fonctionnaires sont des dépenses supplémentaires pour le budget de l'Etat), l'analogie faite par Eric Woerth entre la courbe du chômage et celle du déficit est nettement moins claire pour le profane. L'ancien ministre, féru d'économie, s'appuie en fait sur le concept d'équivalence ricardienne (du nom du théoricien libéral David Ricardo). Pour simplifier, "une théorie selon laquelle une hausse des dépenses, ou une baisse des recettes, aboutit inévitablement à une baisse de l'activité et in fine à la hausse du chômage", résume pour L'Express l'économiste Eric Heyer. "Pour Ricardo, les agents économiques sont très malins: ils savent qu'une hausse de la dépense publique contraint à terme l'Etat à reprendre d'une main ce qu'il avait donné de l'autre, mais pour un montant aggravé des intérêts. Il anticipe donc ces mauvaises nouvelles à venir en faisant chuter l'activité, plutôt qu'en consommant davantage, ruinant ainsi toute tentative de relance keynésienne."

Or, problème, cette théorie n'a jamais été mise en évidence dans les faits. "Tous les libéraux qui on tenté de la démontrer empiriquement s'y sont cassé les dents, sauf à tordre les chiffres", assure Eric Heyer. Et de conclure, "on est ici face à une pure absurdité idéologique".

Un effet marginal sur le budget de l'Etat

Les montants évoqués ne devraient d'ailleurs avoir qu'un impact marginal sur les comptes publics. "Un milliard d'euros par an, cela représente 0,05 point de PIB", fait remarquer Heyer. Et, étant données les prévisions de croissances prudentes retenues par le gouvernement pour construire les budgets 2015 et 2016 (respectivement 1% et 1,4% alors que le consensus économique est légèrement supérieur), rien ne dit que cette mesure précise aura le moindre impact sur les comptes de l'Etat à l'heure de l'addition. "Cette année, on s'attend plutôt à 1,1 ou 1,2% de croissance", avance le directeur du département d'analyse de l'OFCE.

Mais surtout, estime ce keynésien, les dépenses nouvelles pourraient même avoir un effet positif, non pas directement sur l'emploi (5000 postes sur trois ans sont peu de chose face à 5 millions de chômeurs), mais sur la croissance qui le conditionne, en encourageant la consommation.

Si le discours de Valls, sur la contrainte budgétaire européenne qui ne serait plus d'actualité, a pu faire naître un doute ce mardi, les déclarations de François Hollande la veille ne semblent en outre pas remettre en cause le pacte de responsabilité voulu par l'exécutif en 2012, ni les engagement français concédés à la Commission européenne pour réduire ses déficits. Eric Heyer concède qu'il s'agit là plutôt d'une bonne nouvelle: "A court terme, envoyer paître la règle des 3% pourrait avoir un effet positif sur l'économie, mais ce serait désastreux vis-à-vis de nos partenaires européens et nous finirions par en payer les conséquences", tempère l'économiste. En attendant, pour Eric Woerth, l'unité nationale n'est manifestement pas plus facile à tenir en économie qu'en politique.

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