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Reportage

Contre «l'impuissance», ces jeunes qui choisissent l'armée

Procès des attentats du 13 Novembre 2015dossier
Depuis les attentats de vendredi, des volontaires affluent pour s'engager dans l'armée. Garçons et filles rêvent de défendre la France, mais aussi de trouver un emploi stable.
par Pierre Alonso
publié le 20 novembre 2015 à 18h09

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Quand ils entrent dans le hall, ils sont souvent hésitants. Ils se rapprochent du comptoir de l'accueil, et expliquent qu'ils souhaitent s'engager dans l'armée. Alexandra est venue en voisine au centre d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa) de Vincennes, dans le Fort-neuf, à l'est de Paris. Elle a 24 ans, habite à Montreuil et étudie la physique à l'université Paris-VI. Nichée sur des talons hauts, elle raconte «l'impuissance» ressentie la semaine dernière, lors des attentats de Paris et Saint-Denis.

«Je ne suis pas médecin, mais je voulais donc faire quelque chose, explique-t-elle en souriant. Je voudrais rassurer les gens, marcher dans la rue.» Et donc rejoindre les quelque 7 000 soldats – bientôt 10 000 – qui sillonnent le territoire français. «Je ne veux plus regarder tout ça depuis ma télévision», abonde Hadrien, 23 ans, cheveux ras, habitant du IXarrondissement et étudiant en école d'infirmiers. Natif du pied des Pyrénées, il aimerait devenir chasseur alpin.

Des situations fragiles

Comme Alexandra et Hadrien, les volontaires sont très nombreux à se diriger vers les centres de recrutement. A Paris, les visites spontanées de candidats ont doublé : d'une quinzaine par jour avant les attentats, ils atteignent aisément la trentaine depuis lundi. Les messages envoyés via le site internet Sengager.fr ont afflué en masse : 200 attendaient le lieutenant-colonel Croüs, chef du Cirfa de Paris, lorsqu'il est arrivé lundi, contre une grosse vingtaine habituellement. «Le phénomène est beaucoup plus fort qu'après les attentats de janvier», indique le gradé, qui s'attend bien sûr à ce que le «soufflé retombe». Sur l'ensemble du territoire, ce sont 1 500 demandes qui arrivent quotidiennement, trois fois plus qu'avant le 13 novembre.

Les profils sont très divers, soutient l'adjudant-chef Alexandre (1), un recruteur du Cirfa qui voit défiler des volontaires : «Il y a des sans-diplôme et des masters 2. La moyenne d'âge est de 25 ans. Un quart sont des femmes.» Tous les candidats n'ont pas une idée très claire de ce qu'ils cherchent dans l'armée. «Certains sont issus de la deuxième génération sans service militaire, il faut bien qu'ils comprennent que ce n'est pas un jeu vidéo. Dans le premier article du code militaire, il y a le sacrifice suprême.» Les candidats en ont-ils conscience ? «La plupart», répond l'adjudant-chef. Plusieurs d'entre eux évoquent, outre une «poussée de patriotisme», comme en témoigne Alexandra, des situations personnelles ou professionnelles fragiles.

«Avec plaisir, je les tuerais»

Ousman, «yellow boots» et sweat-shirt gris à la mode, a commencé ses démarches en août. A 21 ans, il étudie en Angleterre, à l'université du Kent, après une enfance entre la France et les Etats-Unis. Un parcours sans faute. «Les attentats m'ont motivé. Ma sœur était au Stade de France avec ses deux enfants. J'étais très choqué.» Ousman parle très vite de sa religion, l'islam : «Je veux montrer que je suis musulman et français, que je me bats pour mon pays.» Ils dénoncent ceux «qui sont des terroristes, pas des musulmans.» Très calme, il ajoute : «Avec plaisir, je les tuerais, même si je sais que c'est pas bien de dire ça…» L'armée, pour Ousman, est aussi un moyen de prendre ses distances avec sa famille. Son père, installé en Guinée, voudrait qu'il le rejoigne. Lui refuse. C'est aussi pour ça qu'il veut devenir combattant dans l'infanterie.

Après s'être présentée à l'accueil du Cirfa, Joanny remplit une fiche sur l'une des tables mises à disposition. Les murs sont tapissés de posters de l'armée, la pièce sent le café, gratuit pour tous, à condition de nettoyer son verre, précise une feuille A4 placée au-dessus de la cafetière. «Mon rêve, c'était d'être sniper», s'amuse Joanny, consciente de l'anachronisme du rêve d'enfant dans cette pièce très administrative. Elle a 26 ans, et suit une formation, «enfin, en construction de projet».

Devant elle, au fond de la salle, un grand téléviseur diffuse des films sur l'armée. Les images des opérations extérieures, de parachutistes se jetant de nuit dans le vide au-dessus d'une ville, d'unités commandos dans la jungle défilent. Christophe, 18 ans, est assis sur une chaise, au bord d'un rang. Il attend pour passer son premier entretien. L'armée, il la connaît de près. Son père était militaire, son grand-père aussi. Jusqu'ici, il envisageait avec scepticisme une carrière de soldat. «Je n'étais pas sûr de vouloir perdre mon confort. L'armée, c'est beaucoup de contraintes», souffle-t-il en regardant distraitement l'écran télé. «Le déclic a été le 13 novembre. Je veux défendre la France, rassurer la population.» Et aussi trouver un emploi alors que ses recherches d'alternance pour son BTS se sont avérées infructueuses.

Barre de traction

Agante et Sullivan, 19 ans tous les deux, ont aussi de la famille dans l'armée. Une sœur qui a vanté les opérations extérieures pour la première, un père commando parachutiste pour le second. Leur processus de recrutement est plus avancé. Vendredi matin, ils passaient des tests physiques. En reprenant son souffle après une épreuve de course fractionnée, Agante dit qu'elle attend depuis trois ans de s'engager. En juin, elle a obtenu un bac pro gestion administration, «secrétariat, quoi». Elle se voit bien dans des bureaux. Sullivan voudrait quant à lui conduire des poids lourds, après un CAP menuiserie et une année de petits boulots en intérim. En septembre, il a pris attache avec le centre de recrutement de Rouen, où il vit. Il s'est entraîné pendant un mois avant les tests physiques, mais a bien du mal à passer la tête au-dessus de la barre de traction.

Grand et fluet, Yacine en a réussi onze. Il n'aurait jamais cru. Son entraînement a payé, le félicite pudiquement l'examinateur. Les tests physiques concluent ses démarches entamées en avril. Lui qui vit à Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne) aspire à voir d'autres pays, à bouger. «Je pourrais aller habiter dans le Sud, commencer ma vie là-bas», dit-il à 23 ans. Il voudrait poursuivre sa carrière comme technicien réseau, il fait falloir une première expérience professionnelle dans l'armée. La vie en caserne ne le dérange pas, au contraire : «J'ai grandi dans une cité, j'ai l'habitude d'être en groupe.» Il espère de l'action. Hadrien, l'apprenti infirmier, aussi. «J'en ai marre de m'engager à moitié, j'ai besoin d'absolu.» Il espère le trouver dans l'armée.

(1) Les militaires interrogés ne donnent que leur prénom, pour des raisons de sécurité

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