Une phrase qui interpelle. Lors du débat jeudi sur la prolongation de l'état d'urgence à l'Assemblée nationale, le député (UDI) Jean-Christophe Lagarde a accusé les autorités d'avoir refait les papiers d'un des terroristes du Bataclan, alors que la justice lui interdisait d'en posséder. "Dès lors que l'on aura retiré à quelqu'un ses papiers d'identité pour lui interdire de quitter le territoire (...), il nous faudrait être rapidement en mesure d'éviter que, si cette personne se rend dans un commissariat pour déclarer la perte de ses papiers d'identité, on ne lui en établisse de nouveaux." "C'est déjà arrivé et, dans un cas, ça s'est terminé au Bataclan", conclut-il.

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Une accusation grave. Contacté par L'Express, le député explique qu'il faisait référence à Samy Amimour, un ancien chauffeur de bus de Drancy, la commune dont Jean-Christophe Lagarde est maire. Le père du terroriste, interrogé par la DGSI assure au Point: "Après que la justice lui a retiré ses papiers d'identité, [mon fils] a fait une déclaration de perte et, grâce à cela, a pu se refaire faire une carte d'identité."

Une version que confirme la mère

Soupçonné d'avoir des velléités de départ avec deux complices vers le Yémen pour y faire le djihad, Samy Amimour avait en effet été mis en examen sous contrôle judiciaire le 19 octobre 2012, indique à L'Express le parquet de Paris. Lui sont alors imposés le pointage régulier au commissariat, l'interdiction de sortie du territoire et la confiscation de son passeport. C'est en septembre 2013, alors qu'il ne respecte pas ses obligations de pointage, que les autorités se rendent compte que Samy Amimour est parti à l'étranger, cette fois en Syrie. Un mandat d'arrêt international est émis contre lui.

"Dès octobre 2013, j'ai reçu la mère de Samy Amimour, confie Jean-Christophe Lagarde. Elle m'avait déjà expliqué que son fils avait déclaré la perte de ses papiers pour s'en faire refaire d'autres. Il serait parti avec à Marseille, puis en Italie, puis en Turquie et enfin, en Syrie." La version des parents se recoupent donc à deux ans d'intervalle. Le député, ulcéré, indique qu'il va formuler une question écrite au gouvernement à ce sujet.

Une faille possible

A-t-il suffi à Samy Amimour, que l'on savait proche des milieux djihadistes, de déclarer la perte de sa pièce d'identité pour en obtenir uen nouvelle et filer à l'étranger? Les propos des parents ne constituent pas une preuve en soi. Et la préfecture de Seine-Saint-Denis, contactée par L'Express, n'avait pas indiqué vendredi soir si une pièce d'identité au nom de Samy Amimour avait été émise entre octobre 2012 et septembre 2013.

Ce lundi, citant une source judiciaire, une journaliste de L'Obs confirme que le terroriste a pu refaire sa carte d'identité en la déclarant volée.

Quoi qu'il en soit, le scénario est tout à fait possible. Lors de l'instruction des demandes de passeport ou des cartes d'identité, l'administration est censée consulter le fichier des personnes recherchées (FPR) pour vérifier qu' "aucune décision judiciaire, ni aucune circonstance particulière ne s'oppose à la délivrance" du titre. Mais l'obligation de remettre son passeport au greffe ou à un service de police ou de gendarmerie ne fait pas partie des décisions judiciaires conduisant à une inscription à ce fichier.

Un amendement rejeté en avril

Une lacune grave pointée du doigt dans le rapport sénatorial d'avril 2015 sur les réseaux djihadistes en France et en Europe. Lors des auditions de la commission d'enquête, le cas d'une personne placée sous contrôle judiciaire dans un dossier concernant une filière syrienne avait été évoqué. Celui-ci avait pu, malgré la confiscation de son passeport par un magistrat, s'en "procurer un nouveau en le déclarant perdu auprès des services instructeurs". De mémoire, Nathalie Goulet, présidente (UDI) de la commission d'enquête, confie se souvenir qu'il s'agissait d'un jeune revenant de Syrie et qui avait demandé des papiers, sur le chemin du retour, au consulat français d'Istanbul. "Une situation qui s'est répétée plusieurs fois."

La commission d'enquête sur les filières djihadistes proposait de "remédier dans les meilleurs délais" à cet "oubli fâcheux" "car il est de nature à priver d'effet la confiscation du passeport ou de la carte d'identité décidée dans le cadre d'un contrôle judiciaire". C'était d'ailleurs l'objet d'un amendement proposé par la droite en avril dernier lors de l'examen du projet de loi renseignement. Il était alors proposé que "les décisions de remise des documents justificatifs de l'identité prises dans le cadre d'un contrôle judiciaire" soient inscrites dans le FPR. A l'époque, l'amendement avait été rejeté, le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, arguant le 16 avril dans l'hémicycle qu'il s'agissait d'un simple "cavalier" législatif. Nathalie Goulet entend désormais redéposer un amendement comparable lors de l'examen à venir au Sénat du budget du ministère de l'Intérieur. "Il va falloir remettre tant de sujets sur le tapis..."

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