Attentats du 13 novembre : comment l'AFP a travaillé pour redonner un visage aux victimes

Comme de nombreux organes de presse, l'AFP a tenu à récolter et publier des éléments biographiques sur chacune des victimes des attentats du 13 novembre. L'un des journalistes mobilisés dans la cellule chargée de ce travail raconte.

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 20 novembre 2015 à 19h07

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h02

Derrière les chiffres, des hommes et des femmes, jeunes pour la plupart. Depuis le début de la semaine, 24 ou 48h après les attentats de Paris qui ont fait à ce jour fait 130 victimes et d’innombrables blessés, nombreux sont les médias qui ont entrepris de donner des visages à tous les disparus du Bataclan, de la Casa Nostra, du Carillon et du Petit Cambodge, de la Belle Equipe et du Stade de France. Sous forme de portfolios ou de « dataviz », Libération, FranceTV  Info, Le ParisienLe Monde, l’AFP, les journaux régionaux et même des médias étrangers, ont cherché à rappeler qui ils étaient, pourquoi ils étaient là. Comme l’exprime très justement sur son blog André Gunthert, enseignant-chercheur en histoire visuelle à l’EHESS, « individualiser les victimes met de l’humanité dans l’atrocité du crime de masse. » Pour lui, « une liste de biographies est un substitut narratif à l’incompréhension ». Paul Aubriat, journaliste à l’AFP, a travaillé toute la semaine au sein de la cellule mise en place par l’agence de presse pour réunir ces éléments biographiques. Il raconte.

Quand et comment avez-vous décidé de récolter des éléments biographiques sur les victimes ?

Dimanche, la rédaction en chef de l’AFP nous a demandé de répertorier les victimes des attentats. On a donc mis en place une cellule, vers midi. On ne savait pas très bien où on allait, on avait quelques infos pour les quelques victimes connues, donc on se disait qu’on allait faire des portraits. Et puis très vite, l’exhaustivité s’est imposée comme une évidence, validée par la rédaction en chef. De quatre journalistes le dimanche (représentant tous les services), nous sommes passés à six lundi, puis revenus à deux mardi et mercredi. Parallèlement, une équipe de développeurs a commencé à travailler sur une dataviz, mise en ligne dès lundi soir. Notre première dépêche est tombée dimanche à 17h, et très vite les retours de nos clients ont été positifs, ce qui nous a conforté dans notre travail.

Quel était le but, derrière tout ça ?

On s’est dit en premier lieu que cela relevait tout simplement de notre travail, que malgré le nombre important de victimes (130), c’était faisable. On a tout de suite considéré qu’il y avait une dimension pratique, compte tenu du nombre important de gens qui n’avait pas de nouvelles. On s’est dit aussi que pour les gens qui n’étaient pas forcément des proches, mais des amis, des collègues, c’était important pour eux de savoir s’ils connaissaient ou non des personnes parmi les victimes. Et enfin, que nous avions toute légitimité à le faire en tant qu’agence de presse. Bref, ça a été une réponse journalistique exceptionnelle à un évènement exceptionnel. Par ailleurs, il y a eu une deuxième impulsion au moment où le retour client positif s’amplifiait, quand nous avons ouvert une adresse email pour collecter des informations. On a commencé à recevoir des flots d’emails anonymes, de proches et de moins proches des victimes. Très vite, on s’est aperçu, en recoupant les infos, que tout ce qu’ils nous disaient était vrai.

De la part de vos clients, y a-t-il eu des commandes particulières ?

A ma connaissance, non aucune. L’idée pour avoir une forme homogène dans les biographie des victimes était de dire pourquoi ils étaient au Bataclan, de raconter cette histoire pour chacun. Comme celle de cette fille venant de St Tropez, qui rêvait du concert depuis six mois, parce qu’elle allait voir son groupe préféré, en passant par ceux qui faisaient partie du monde de la musique, qui allaient au Bataclan toutes les semaines… Mais à aucun moment nous n’avons reçu de consignes particulières.

Concrètement, comment s’est organisé le travail de collecte des informations biographiques ?

Cela a commencé par les réseaux sociaux, Twitter notamment, Facebook aussi, pour récolter les premiers éléments. On a aussi été bien aidé par les journaux de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) qui publiaient des articles sur les victimes de leur région. Globalement, nous n’avons pris aucun risque : même avec 25 tweets sur quelqu’un, on considérait que ça ne suffisait pas, qu’il fallait aller plus loin dans la vérification. Cela nous a conduit, par exemple, à annoncer la mort de certaines personnes un jour après d’autres médias, mais nous n’étions pas dans une course à la primauté. Nous ne voulions commettre aucune erreur. De ce point de vue, on s’est imposé une rigueur professionnelle normale, mais encore plus importante vu le contexte.

Personnellement, qu’avez-vous ressenti tout au long de ces jours d’enquête, de recherche ?

Dimanche, dans le feu de l’action alors que nous avions déjà bossé tout le week-end tête baissée, qu’on était tous crevés, la mise en place de cette cellule était comme un pas de côté, une manière de ralentir le tempo et de prendre la mesure de la situation, avec l’envie de faire un beau truc. Rapidement, on a compris que la tâche s’annonçait titanesque. Et puis lundi, la tristesse nous a tous assaillis quand on a commencé à apprendre que certains des disparus étaient morts. Car au bout de deux jours à travailler sur ces listes, inconsciemment, les visages, les noms, nous étaient familiers. Une forme de proximité était née entre eux et nous, comme si nous les connaissions, tous ces jeunes, beaux et heureux de vivre. Comme si la réalité nous avait rattrapée, et là c’était très dur, très triste. En appelant les employeurs, les mairies, des amis, les histoires se dessinaient… Dans certains cas, il a fallu joindre des familles, pour confirmer certains éléments. Aucune n’était choquée par nos appels, mais au sein de l’équipe, certains ont vite plié sous l’émotion, en disant : “Là, je ne peux plus”.

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