Mes très chers représentants,
Je suis un citoyen alarmé par l'actualité. L'attentat qui a touché la France le vendredi 13 novembre 2015 a été source d'une grande souffrance. La France toute entière l'a ressentie. Nous avons pleuré ces morts, frémis devant ces crimes.
Mais nous sommes encore là, debouts et fiers. Votre peuple est fort, et fait preuve d'une résilience admirable.
La classe politique, à de rares exceptions prêts, semble en revanche paniquer. Vous courez dans tous les sens, vous vous époumonez à qui mieux mieux. L'image que cela donne n'est pas digne de la réaction de votre peuple. Agissez-vous ainsi par visée électorale, chacun faisant ses petits calculs pour couper l'herbe sous le pied des adversaires (penchant ainsi franchement à droite, vers le tout sécuritaire) ? Ou bien êtes-vous vraiment incapable de hauteur, de dignité et de la réflexion que nécessite pourtant votre haute fonction ?
Ce n'est pas la première fois que la France est touchée par des attentats. Rappelez-vous des attentats de 1986 et 1995, par exemple. Le gouvernement avait-il instauré l'état d'urgence ? Non. Il est resté digne, fort. Il a donné les moyens aux services compétents de faire leur travail, et s'est appliqué à rassurer la population.
Vos gesticulations et discours guerriers ne nous rassurent pas. Le Premier Ministre disait vendredi devant le Sénat que ses propos ne sont pas source de peur. Vraiment, M. Valls ? Considérez-vous que vos discours ne sont pas anxiogènes ? Pensez-vous nous rassurer en instaurant l'état d'urgence et en parlant de modifier la Constitution, dans l'urgence et l'émotion ? Il serait plus rassurant de nous dire que vous avez les moyens de combattre la menace, que vous allez lancer de manière transparente une enquête sur ce qu'il s'est passé afin de découvrir s'il y a eu des erreurs, s'il existe des failles, pour les corriger.
Mais non, vous, nos représentants élus, agissez sans prendre le temps de la réflexion.
Une fois de plus, vous profitez de la vage d'émotion pour agir. Vous agissez pour agir, par peur sans doute que l'on vous reproche de ne rien faire. Alors vous discourez, vous prenez un ton martial et vous avancez à tout prix. Et qu'importe si les mesures prises se révèlent injustifiées, dangereuses ou même inconstitutionnelles. Peu importe que ce que vous proposiez n'ait aucune chance d'être appliqué, ou que ça n'ait aucun sens : ce qui vous importe est d'occuper la scène médiatique, n'est-ce pas ? Faire parler de vous, montrer que vous êtes là, et chercher à être réélu à tout prix.
Vous empilez une fois de plus les lois sans prendre le temps de la réflexion. Comme en janvier, où vous avez profité de l'émotion pour passer la loi renseignement, alors que les décrets de la précédente loi venaient tout juste d'être publiés, un mois avant. Affirmez-vous avoir eu le recul nécessaire pour juger qu'une nouvelle loi était nécessaire ? Un mois après les décrets, est-ce suffisant pour vous ? Comme vous devez être visionnaire.
Vous agissez sans jamais vous remettre en question.
Au lendemain de l'attaque, on nous assurait qu'il n'y avait eu aucune faille dans les Renseignements. S'il n'y a pas eu de faille, cela signifie donc que tout était sous contrôle, n'est-ce pas ? 130 morts. Un nombre important de blessés. Pas de faille, vraiment ? Comment oser nous asséner une telle affirmation ? La Loi Renseignement n'était-elle pas faite pour nous protéger de tels attentats ? N'avez-vous pas déjà empiété sur nos libertés pour plus de sécurité ? Beau bilan. Non vraiment, vous avez raison de ne pas vous remettre en question.
Lorsque l'on écoute les discours, que ce soit à l'Assemblée Nationale ou au Sénat, il y a de quoi être sidéré. Voir pointé du doigt, une fois de plus, Internet : en sommes-nous encore là ? Et M. Caseneuve parle de la nécessité de lutter contre le chiffrement. Savons-nous si les terroristes qui nous ont frappé utilisaient-ils des communications chiffrés ? Même pas. Le téléphone portable retrouvé près du Bataclan n'était pas chiffré. Le SMS retrouvé non plus. Mais il est plus simple de taper sur Internet, je vous comprends, cela évite de se remettre en question et de réfléchir aux causes réelles.
Il est également confortable de dire que la France est frappée pour ce qu'elle est : nos libertés (que le gouvernement s'empresse de restreindre, pour notre bien évidemment), notre démocratie, etc. Confortable, car cela fédère l'opinion contre l'ennemi, et surtout car cela évite de se poser des questions sur notre politique internationale. Ne peut-on réfléchir à la possibilité que notre politique internationale, notamment au Proche-Orient, pourrait avoir un quelconque impact sur le fait que la France soit la cible de terroristes ?
Vous légiférez à tout va, et qu'importe la démocratie.
Notre démocratie repose sur la Constitution. Lorsque M. Valls dit devant le Sénat qu'il a peur d'une saisie du Conseil Constitutionnel, pourquoi cela ne fait-il bondir personne ? Comment est-ce possible de voter en connaissance de cause une loi que vous savez être inconstitutionnelle (ou en tout cas, qu'il y a un risque important qu'elle le soit) ? Comment vous, détenteur du pouvoir législatif encadré par la Constitution, pouvez ainsi trahir votre fonction ?
Une fois le plus, le gouvernement semble vous prendre en otage. 'Si vous ne votez pas en faveur de ce qui vous est présenté, vous serez complice du prochain attentat.' Vous devez réaliser à quel point cette réthorique est dangereuse. L'exécutif ne peut pas prendre ainsi en otage le législatif.
Un autre fondement de notre démocratie est la séparation des pouvoirs. Puisque le législatif ne semble pas pouvoir (ou vouloir) tenir son rôle, il nous reste donc le judiciaire pour amener un peu de raison face à l'exécutif en roue libre. Or, voilà l'état d'urgence, qui écarte le judiciaire pour rendre l'autorité administrative toute puissante. Et aussitôt, les perquisitions et les assignations à résidence s'enchaînent, avec des chiffres impressionnants. Vraiment, voilà de quoi justifier l'état d'urgence ! De quoi, à l'avance, préparer les esprits à sa prorogation, et pourquoi pas une modification de la Constitution. Et qu'importe si les perquisitions n'ont pas de rapport avec les attentats qui ont causé l'état d'urgence. Qu'importe si les assignations à résidence ne sont pas toutes justifiées. Et puis, pourquoi ne pas en profiter pour interdire les manifestations prévues pour la COP21, s'enlevant au passage une belle épine dans le pied (cela aurait fait désordre) ? Qu'importe si cela musèle un peuple qui a besoin, plus que jamais, de s'exprimer.
Les débats sur le projet de loi état d'urgence ont été hallucinants : regarder nos élus proposer un contrôle de la presse, militer pour la présomption de légitime défense des forces de l'ordre (vraiment, cela rassure...), l'incarcération arbitraire... Réalisez-vous que ce sont là les caractéristiques d'un État policier ? Et vous osez prétendre défendre nos droits, notre démocratie ?
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En montrant une telle fébrilité, vous donnez une victoire morale à Daesh. Car ses attentats ont réussi : vous voilà prêts à diminuer nos libertés, à attenter aux fondements mêmes de notre démocratie, celle-là même que vous dites visée par Daesh.
En faisant comme si notre pays était en grand péril, vous donnez à Daesh une force qu'il n'a pas, une publicité dont il rêve. Vous crédibilisez le fait que Daesh est capable de frapper au coeur une démocratie : la faire vaciller ou disparaître en un État policier.
En tenant un discours anxiogène, vous propagez la terreur que vous dites combattre. Vous encouragez une stigmatisation de l'islam et des musulmans, une méfiance envers l'autre, l'étranger, le réfugié. Vous créez et agravez des clivages au sein de votre peuple, et qu'importe si cela nourrit les rangs de Daesh.
Mes chers représentants, en ces temps difficiles, vous faites preuve d'un manque alarmant de résilience.
Ne cédez pas nos libertés à la tentation d'un État autoritaire.
Ne cédez pas à la peur.
Je vous en prie : reprenez-vous.
Billet de blog 21 novembre 2015
Lettre ouverte - Mes très chers représentants,
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