Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Nicolas Bedos : « Je caricature leur maître, ça rend les "dieudonnistes" dingues »

L’écrivain et humoriste défend sa chronique controversée et provocante sur France 2, dans l'émission de Laurent Ruquier.

Propos recueillis par 

Publié le 18 janvier 2014 à 14h10, modifié le 21 janvier 2014 à 10h28

Temps de Lecture 5 min.

Nicolas Bedos grimé pour la chronique qu'il a consacrée à Dieudonné, dans l'émission

C'est la réponse la plus dérangeante qu'un humoriste ait faite à l'encontre de Dieudonné : samedi 11 janvier sur France 2, dans l'émission « On n'est pas couché » de Laurent Ruquier, l'écrivain et humoriste Nicolas Bedos invente une discussion avec un fan de Dieudonné, qu'il incarne avec un accent de banlieue, affublé d'une barbe et d'une moustache à la Hitler, totalement inculte et voyant des Juifs partout.

L'humoriste n'hésite pas à se déguiser en führer et à s'en prendre directement à Dieudonné, remplaçant la quenelle par une merguez brandie de façon obscène. Depuis, cette chronique controversée a enregistré plus de 2,5 millions de vues sur Internet et valu des menaces au chroniqueur. Nicolas Bedos avait déjà suscité la polémique en 2010 après une chronique télévisée critique à l'égard de la politique israélienne, devant l'écrivain Alain Finkielkraut. Dans un entretien au « Monde », il revendique son recours à l'outrance, et le droit d'utiliser contre Dieudonné les mêmes armes que lui.

Lire  Article réservé à nos abonnés le petit portrait

Pourquoi avoir écrit une chronique si virulente ?

Pour ne pas laisser à Dieudonné le monopole de la subversion ; pour rappeler qu'on peut faire de la provocation sur les sujets les plus sensibles sans être soi-même gangréné par le racisme, la misogynie, l'homophobie, etc. Il est notoire que je ne suis ni antisémite, ni homophobe, et j'encourage les associations paranos à se renseigner sur les convictions profondes des provocateurs avant de les attaquer bêtement. Il est facile de vérifier les intentions d'un satiriste. Dieudonné est une exception : je n'ai pas souvenir d'un humoriste célèbre ayant revendiqué l'humour pour avancer de sombres pions idéologiques.

Cette chronique est en totale adéquation avec ce que je pense depuis toujours : on peut faire de l'humour sur tout, proférer des horreurs sur les Arabes et sur les Juifs sans être raciste ; on peut militer pour la libération du peuple palestinien sans piétiner le devoir de mémoire de la Shoah.

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

Mais vous suscitez des réactions très contrastées…

On ne peut pas plaire à tout le monde. Mais l'époque est beaucoup moins confortable pour les libres-penseurs : jamais mon père, Pierre Desproges ou Coluche n'ont eu à subir les procès aveugles et paranoïaques qui me sont faits. Certes, ils n'étaient pas multi-rediffusés toute la semaine sur Internet, mais cela n'excuse pas les censeurs.

Quand vous l'écrivez, vous ne vous fixez aucune limite ?

Aucune ! Surtout pas ! La forme subversive sert le fond de mon propos. Je tenais à jouer ce texte bien avant que l'affaire Dieudonné explose. Mais j'étais toujours rattrapé par d'autres sujets, alors je repoussais.

Pour vous, de quand date le problème Dieudonné ?

Bien avant que Manuel Valls décide de rentrer dans la danse, il y avait un souci Dieudonné. En 2010, dans une émission de Franz-Olivier Giesbert, j'avais fait, devant Alain Finkielkraut, une chronique très critique à l'égard de la politique israélienne et très moqueuse envers certains films traitant mal de la Shoah ; cela avait fait scandale, du coup j'avais la cote auprès des « dieudonistes ». Cela fait trois ans que des imbéciles me disent : « mais vas-y, pourquoi tu vas pas au bout, défonce les feujs ! » J'étais concerné par cette haine, cette naïveté face aux mensonges de Dieudonné. Il me fallait donc expliquer à quel point il viole leurs consciences en manipulant le conflit israélo-palestinien.

Beaucoup d'humoristes, cela m'a surpris, n'ont pas voulu réagir pour ne pas s'aliéner le large public de Dieudonné. Mais ils craignaient aussi de se retrouver dans ma situation. J'ai dû aller vivre chez un ami suite à des centaines de menaces, parfois de mort. Mais je ne regrette rien !

Pourquoi aller jusqu'à la vulgarité, l'obscénité ?

Parce que je m'adresse aux jeunes. J'ai parlé avec eux pendant des heures dans des bars, des boîtes. Ils considéraient qu'il y avait d'un côté des « bourges relous » et de l'autre Dieudonné, ses outrances, sa « liberté ». Je tenais à leur dire : moi aussi je peux cracher des horreurs du moment qu'on sait que je respecte la tragédie de l'holocauste et que je défends les immigrés. Un texte sage m'aurait mis dans le sac des donneurs de leçon insipides.

« S'AUTORISER L'OUTRANCE »

Si ce sketch suscite autant de colère de la part des dieudonnistes et fait autant de vues sur internet, c'est parce qu'il s'autorise l'outrance. Ce qui ne l'empêche pas d'être très réfléchi. Je caricature, jusqu'à l'absurde, leur maître : c'est ça qui les rend dingues ! Pour la plupart, les pro-Dieudonné sont fragiles, culturellement et intellectuellement, socialement vulnérables et choqués par le sort réservés aux Palestiniens, d'où leur fantasme d'une sorte de complot israélo-judéo-politico-américano-médiatico-financier : Dieudonné ne cesse de nourrir ce délire.

Pourquoi incarner un personnage à l'accent arabe ?

J'ai surtout fait un con, une brute. Je savais très bien en l'écrivant qu'on y verrait une racaille de banlieue. Mais il est stupide avant d'être rebeu. Cessons l'hypocrisie : il suffit d'observer le public des spectacles de Dieudo pour voir une grande majorité de jeunes gens d'origine immigrée, blessés par leur situation, le mépris de la société, l'indifférence à l'égard de la souffrance palestinienne. Je comprends leur colère, mais je déteste Dieudonné et Soral d'en profiter pour des raisons narcissiques et financières.

Cette émission est enregistrée. Rien n'a été coupé par France 2 ?

Rien. Laurent Ruquier et Catherine Barma, la productrice, sont des gens rares à la télévision française. Ruquier est lui-même un auteur, il vient de l'humour noir, il sait trop ce que c'est pour ne pas respecter la liberté de ses chroniqueurs. J'ai demandé à ne pas être payé pour pouvoir exiger une liberté totale. Je dispose du temps que je veux, j'aborde les thèmes de mon choix et Laurent ne lit rien avant. La seule chose que Catherine Barma s'autorise, c'est de m'alerter des limites juridiques. Je ne connais pas d'émission qui laisse autant de liberté.

Les attaques actuelles sont-elle de même ampleur que celles que vous avez connues en 2010 ?

La violence est similaire. J'ai eu les Juifs contre moi, avec des crachats, des plaintes, des insultes, des menaces et maintenant je vis cela avec les pro Dieudonné. Cela me fait presque sourire de voir qu'on peut être tantôt un sale youpin, tantôt un « nazi ». Vivement qu'on sorte de cette stupide binarité !

Ceci dit, les réactions virulentes sont vengées par les remerciements qui pleuvent sur moi. La grande majorité des Français ne sont ni antisémites, ni proisraéliens, ni racistes, ni arabophiles militants. Je sers à détendre l'atmosphère.

Vous désapprouvez la décision du Conseil d'Etat qui a interdit plusieurs spectacles de Dieudonné. Cette jurisprudence peut-elle peser sur le contenu de l'humour ?

C'est à craindre. Et on se battra contre cette tendance à légiférer sur l'artistique. Dieudonné n'est plus un artiste, c'est un prosélyte d'extrême droite. Mais ne l'interdisons pas, c'est le moteur de son audience. Le public de Dieudonné rêve d'avoir le sentiment d'être soudé par le muselage. Ou alors, interdisons Marine Le Pen et le FN.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.