Mega-fusion au pays des «Big Pharma» : Pfizer, le fabricant du Viagra, va avaler comme prévu son concurrent Allergan, qui commercialise le traitement anti-rides Botox. Les deux groupes ont officialisé lundi à Wall Street leur mariage dans le cadre d'une opération estimée à 160 milliards de dollars (150 milliards d'euros). Soit la plus importante fusion-acquisition dans l'histoire du secteur pharmaceutique et le plus gros «deal» de l'année, tous secteurs confondus, devant le mariage à 112 milliards d'euros des brasseurs de bière AB Inbeev et SAB Miller. Cette acquisition d'un montant record permettra à Pfizer de détrôner l'actuel numéro 1, le suisse Novartis (51 milliards). Mais ce n'est pas tant la course à la taille que celle à l'optimisation fiscale qui motive le groupe new-yorkais à l'origine de la mise au point des fameuses pilules bleues destinées à booster les virilités défaillantes.
La fusion approuvée dimanche par les conseils d'administration des deux groupes prévoit en effet que les deux labos seront regroupés sous l'entité juridique d'Allergan, basée à Dublin, en Irlande. Incongru quand on sait que c'est le new-yorkais Pfizer (près de 200 milliards de dollars de capitalisation boursière) qui, dans les faits, rachète Allergan (123 milliards). Avantage immédiat de ce tour de passe-passe juridico-financier connu sous le nom de «tax inversion» : la nouvelle société cotée à Wall Street bénéficiera du très conciliant taux d'imposition irlandais (12,5 %) alors que les bénéfices sont plus lourdement taxés aux Etats-Unis (25% à 35 %). Pfizer, qui a engrangé 9 milliards de dollars de profits en 2014, va donc soustraire, grâce au rachat d'Allergan, une grande partie de cette montagne de billets verts au trésor américain. Car ce dernier prévoyait précisément de prendre de nouvelles mesures visant à rendre plus difficiles ce type de manoeuvre d'évitement fiscal… Que Barack Obama vient de qualifier «d'antipatriotique».
Un palliatif à la débandaison du Viagra
Le PDG de Pfizer, Ian Read, promet de réinvestir l’essentiel de cet argent soustrait au fisc américain dans le développement de nouvelles molécules, le nerf de la guerre de l’industrie pharmaceutique. Mais surtout, l’entreprise devrait en profiter, on s’en doute, pour mieux récompenser encore et toujours ses actionnaires. C’est tout bénef pour Pfizer. Car si le chiffre de 160 milliards de dollars impressionne, il ne s’agit évidemment pas de cash : le rachat d’Allergan, qui sera bouclé au deuxième trimestre 2016, se fera essentiellement par échange d’actions. Quand l’opération sera bouclée, les actionnaires actuels de Pfizer détiendront 56 % du nouveau groupe, et ceux d’Allergan 44 %.
L’autre raison qui pousse Pfizer à absorber Allergan, c’est évidemment le portefeuille de brevets médicamenteux de ce dernier. Le labo qui a mis au point le très lucratif Botox est aussi celui qui commercialise, entre autres traitements, le non moins rentable Restasis, des gouttes contre la sécheresse oculaire vendues en dosette à un prix qui fait pleurer la Sécu. Car, bien que bardé de brevets, Pfizer voit ces derniers tomber un à un dans le domaine des génériques, libres d’être copiés par ses concurrents. C’est notamment le cas du Viagra, dont les prouesses érectiles n’excitent plus autant les actionnaires depuis qu’il est disponible chez tous les labos concurrents sous l’appellation Sildénafil. Et d’autres médocs de Pfizer vont bientôt devenir génériques, comme le Celebrex (anti-inflammatoire) et le Zyvox (antibiotique).
Dans ce monde de la pharmacopée en fusion quasi permanente, la naissance de ce nouveau mastodonte risque en tout cas de reposer la question des alliances chez les concurrents. Plus de dix ans après le rachat d’Aventis, le français Sanofi, entre autres, va peut-être avoir besoin de grossir à nouveau pour rester dans la course. La pharmacie n’est décidément pas un métier de petits joueurs.