Les médias belges se sont imposé un blackout partiel sur les opérations policières à Bruxelles de ce dimanche soir, au moment où les internautes inondaient Twitter de photos de chat. Mais ils réfutent l'idée d'avoir été aux ordres de leur gouvernement.
Publié le 23 novembre 2015 à 16h26
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h02
Et soudain, Bruxelles désertée fut prise d’assaut par des chatons. Dimanche soir, en plein état d’alerte, tandis que la police belge procédait à 19 perquisitions et interpellait 16 personnes dans le cadre d’un vaste coup de filet antiterroriste, les autorités réclamaient de la retenue aux graphomanes férus d’actualité qui peuplent les réseaux sociaux :
Soumise depuis plusieurs jours à un stress de niveau 4 (comme le niveau de la menace terroriste), la twittosphère belge a offert une réponse singulière : sous le hashtag #BrusselsLockdown – Bruxelles confiné – elle a inondé la plateforme de photos de chats. Roux, noirs, angora, anoures, gros, petits, parfois même armés de fusils à lunette. Pas seulement pour rendre le sourire à une population sur les nerfs, mais aussi pour brouiller les pistes, au cas où les individus ciblés par les opérations soient branchés sur Twitter.
Largement relayée dans les médias français, l’initiative a même eu droit à un hommage des forces de l’ordre, sous la forme d’un bol de croquettes numérique. Une fois n’est pas coutume, la blague belge a pourtant révélé un potentiel allergène. En s’interrogeant sur la création « d’un bouton chaton à BFM », Daniel Schneidermann s’interroge dans sa chronique d’Arrêt sur Images sur ce soyeux zèle, et se demande si cette inondation de lolcats est aussi inoffensive qu’elle en a l’air :
Même si plusieurs médias se sont fendus de clins d’oeil appuyés aux internautes, cette opération féline est le produit potache (et finalement assez mature) d’une culture web distribuée. En d’autres termes, même si la parole journalistique et celle des amateurs se confondent parfois sur Twitter, la « chatonnisation » n’est pas encore le stade suprême de la buzzfeedisation de l’info.
Bruxelles : pour ne pas gêner l'action de la police, des chatons envahissent Twitter
Pour Philippe Laloux, directeur de l’information numérique du Soir, « il y a eu une concomitance de temps » entre cette initiative citoyenne et le blackout partiel des sites d’info et des chaînes de télévision. Qui aurait pu pousser les observateurs étrangers à croire que les journalistes belges gardaient le doigt sur la couture de l’uniforme. « Dimanche soir autour de 21h15, le parquet fédéral a invité les médias à faire preuve de retenue, mais ce n’était pas une injonction. Immédiatement, les médias en ligne ont adopté une prise de position commune pour observer un silence radio pudique ». Mais pas question de parler de censure : « C’est une convenance tacite entre le parquet et les médias, ce n’est pas Jaruzelski qui débarque dans nos rédactions. D'ailleurs, dans la loi, rien ne l'autorise ».
Rien à voir avec nos récentes discussions parlementaires donc, où des députés socialistes envisageaient sérieusement de maintenir le contrôle de la presse dans le projet de loi sur l’état d’urgence. Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l’information de la RTBF, renchérit : « Quand les autorités nous ont demandé de ne rien diffuser des opérations en cours, une première en Belgique, j’ai pris quelques minutes de réflexion avec mes équipes. Puis nous avons décidé d’observer de la retenue en ne dévoilant que le nom des communes visées (l’équivalent de nos arrondissements parisiens, NDLR). Mais j’ai répondu que nous animerions une émission et en faisant appel à des envoyés spéciaux. Nous avions cinq équipes déployées dans Bruxelles, et elles intervenaient en plan serré pour ne pas dévoiler le nom des rues. » Pas un chat donc, mais quelques journalistes. Peu après minuit, au terme de trois heures d'interventions policières discrètes, tous les médias se sont d'ailleurs fendus de synthèses factuelles. Au même moment, le parquet fédéral tenait une brève conférence de presse pour tirer un premier bilan de l'opération.
Dans ce contexte sécuritaire, comment trouver l’équilibre – précaire – entre le temps policier et le temps médiatique, entre l’autocensure, la rétention nécessaire et la spéculation dangereuse ? Même s’ils ne disposent d’aucune chaîne d’info en continu au sens français du terme, les médias belge ont été marqués par la couverture médiatique des attaques contre Charlie et l’Hyper Cacher : « On a tous en mémoire la conversation en temps réel entre Coulibaly et BFM », rappelle Philippe Laloux du Soir. Pour autant, faut-il tout verrouiller au nom de la sécurité publique ? « Se taire complètement serait très inquiétant », tient à préciser Jean-Pierre Jacqmin. « Le trop-plein d’information est anxiogène, mais le pas-assez l’est également ».