Régionales : la droite asphyxiée
Par Le Nouvel Obs
Publié le
François Hollande reçoit Nicolas Sarkozy à l'Elysée après les attentats (C) AFP
Dépossédé de son arsenal sécuritaire par François Hollande et débordé par la surenchère du Front National, Nicolas Sarkozy peine à se faire entendre à moins de deux semaines du scrutin.
La fébrilité gagne les rangs de la droite et l’attitude de Nicolas Sarkozy en est, comme souvent, un indice significatif. Depuis les attentats du 13 novembre, l’ancien Président semble peiner à adopter une stratégie claire, et surtout durable. Décidé à faire le procès de l’incurie d’un gouvernement qui aurait, selon lui, trop tardé à prendre les mesures qui s’imposaient depuis les attentats du mois de janvier, Nicolas Sarkozy a commencé par mettre en cause le tandem exécutif. Fini l’esprit "Charlie", l’heure était au règlement de comptes. Une tactique qui s’est traduite par une après-midi de chahut à l’Assemblée nationale la semaine dernière.
Le souci, c’est que François Hollande a privé la droite d’oxygène en annonçant une batterie de mesures ultra-sécuritaires lors de son discours du Congrès : déchéance de nationalité pour les binationaux suspectés de terrorisme, assignations à résidence, extension de la "légitime défense" pour les policiers ou encore prorogation pour trois mois d’un "état d’urgence" que l’opposition ne pouvait qu’approuver. La droite a beau jeu de s’indigner que le gouvernement n’ait pas pris plus tôt des décisions qu’elles réclamaient en vain. Que peut-elle aujourd’hui lui reprocher sur le fond ? Rien. Sauf à verser dans une dangereuse schizophrénie, la voilà donc condamnée à applaudir le chef de l’Etat et même à approuver demain la révision constitutionnelle qu’il lui concocte.
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Pourquoi Hollande ne doit pas se réjouir trop vite
Nicolas Sarkozy ne veut pas de "l’unité nationale" ? Raison de plus pour François Hollande de se montrer unitaire pour deux, et même pour trois, en piochant sans vergogne des mesures dans la besace de la droite, voire du Front national. Martial et conforté dans sa majesté élyséenne, le Président-Chef de guerre se mue en Père de la Nation. Air connu. François Hollande occupe tout l’espace, de l’hommage national aux victimes à son tour du monde pour bâtir la plus vaste et la plus puissante coalition internationale contre Daech. Nicolas Sarkozy devrait se rassurer en se disant qu’il ne s’agit que d’un mauvais moment à passer.
Hélas, le président du parti Les Républicains a toujours autant de mal à faire preuve de patience, et de sérénité. Abîmant sa présidentialité sans regagner en crédibilité à force d’une expression excessive, et désordonnée, Nicolas Sarkozy semble affolé par la montée en puissance de l’extrême droite. Sans doute les candidats de LR, peu audibles, risquent-ils de perdre des plumes lors des élections régionales dans deux semaines, coincés qu’ils sont entre les partisans de l’unité qui serrent les rangs autour du Président et la démagogie sans limite du Front national.
François Hollande aurait toutefois tort de se réjouir trop vite de ce bon tour joué à son adversaire préféré. La triangulation chère à Alistair Campbell, le "spin doctor" de Tony Blair, cette gymnastique qui consiste à piquer son discours et ses propositions à l’adversaire, est d’abord une tactique à courte vue. D’une redoutable efficacité pour redresser une situation politique périlleuse, reprendre la main ou gagner un scrutin, elle peut devenir dangereuse car artificielle si elle ne s’accompagne pas d’une vraie mutation idéologique à long terme. Car dans ce cas, c’est Antonio Gramsci qui prend sa revanche. A force de se déporter sur le terrain de l’adversaire, on court le risque de céder à son hégémonie culturelle, prélude, selon le penseur marxiste italien, à la victoire politique, et donc à la domination au fond des urnes. Ce triste sort a soldé les comptes électoraux de la "Troisième Voie" blairiste en Grande-Bretagne comme du "Nouveau Centre" de Gerhard Schröder en Allemagne.
Si François Hollande peut se frotter les mains d’avoir asphyxié Nicolas Sarkozy à court terme, il aura grand besoin de changer d’air s’il veut être réélu dans dix-huit mois.
Renaud Dély