Jungle de Calais : l'Etat définitivement condamné à aménager le campement

Le Conseil d'Etat a confirmé lundi 23 novembre la décision du tribunal de Lille : les conditions de vie dans la “jungle” de Calais s'apparentent à des “traitements inhumains et dégradants“ et il revient au gouvernement de protéger les migrants. Henri Labayle, professeur de droit, commente pour nous cette décision.

Par Propos recueillis par Juliette Bénabent

Publié le 24 novembre 2015 à 20h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h02

Selon les associations, entre 5 et 6 000 personnes vivent désormais dans la « jungle » de Calais, ce campement de fortune installé dans une forêt à proximité du port de la ville (c'est d'ailleurs à cause du mot « forêt », en persan « jangal », que le lieu a été surnommé la jungle). Fin octobre, Médecins du monde, le Secours catholique et quatre migrants ont déposé un référé-liberté devant le tribunal administratif de Lille, pour forcer l'Etat à agir en vue d'améliorer les conditions de survie dans ce camp.

Le 2 novembre, le tribunal a condamné l'Etat à recenser les mineurs isolés, à développer points d'eau et toilettes, à assurer le nettoyage des lieux et la collecte des ordures, à aménager un accès pour les véhicules d'urgence. Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, et la ville de Calais ont contesté ce jugement devant le Conseil d'Etat, qui vient donc de rejeter leur appel – même s'il estime qu'il n'y a pas de carences dans le traitement des demandes d'asile.

Tout en notant les « nombreux efforts (des autorités) pour l'hébergement ainsi que pour la prise en charge sociale, médicale et psychologique des personnes les plus vulnérables », le Conseil d'Etat confirme l'ensemble des mesures décidées par le tribunal administratif, car « ces conditions de vie (sont) bien de nature à exposer les migrants vivant sur le site à des traitements inhumains ou dégradants ».

Le message est clair : l'Etat français est bien responsable des conditions dans lesquelles vivent les migrants sur son territoire. Le professeur de droit Henri Labayle enseigne à l'université de Pau et dirige le CDRE (Centre de documentation et de recherches européennes), spécialisé dans les droits fondamentaux, l'immigration et la sécurité intérieure. Il commente la portée de cette décision.

“C'est une décision d'humanité, et de bon sens.”

Vous paraît-il évident, juridiquement, que les libertés fondamentales sont bafouées à Calais ? 

Absolument. L'absence de dispositif minimum pour les douches, les toilettes, les ordures, l'eau potable, l'impossibilité pour les services de secours de pénétrer sur place, tout cela constitue une situation de non-droit tout à fait préoccupante et anormale. Même si l'Etat n'en est pas responsable directement – il n'a pas installé le campement –, en tant que titulaire des pouvoirs de police, il lui revient de protéger ces personnes. Dès lors qu'il s'abstient de le faire, que sa carence est évidente, il est condamné. C'est une décision d'humanité, et de bon sens, qui prend acte de la présence de ces gens, et de la responsabilité publique à leur égard.

N'était-il pas indécent de la part du ministère de l'Intérieur et de la Ville de faire appel du jugement du 2 novembre ? 

Je m'étonne qu'ils l'aient jugé utile. Dans la mesure où ils avaient déjà, avant la décision du Conseil d'Etat, engagé les travaux exigés par la première décision, je crois qu'ils espéraient surtout échapper à la création d'un précédent qui pourrait avoir des conséquences sur d'autres zones. Devant la situation abominable de certains campements, notamment ceux hébergeant des Roms, les pouvoirs publics doivent redouter une sorte d'engrenage. On voit bien l'évolution de notre droit, sous l'influence du droit européen et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il existe désormais des « obligations positives » : l'Etat ne peut pas se contenter, pour garantir le respect des libertés publiques, de ne pas y porter atteinte lui-même. Il doit agir, prendre les mesures empêchant que d'autres, même des personnes privées, puissent les malmener. Il a obligation de protéger les personnes vivant sur son sol, fussent-elles en situation irrégulière. Il est un peu tôt pour savoir si cette décision sera appliquée à d'autres situations ; il appartiendra au Conseil d'Etat d'offrir ou non une postérité à son raisonnement d'aujourd'hui. 

Le climat sécuritaire après les attentats parisiens du 13 novembre risque-t-il d'aggraver encore les tensions à Calais ?

Je constate avec soulagement que la loi sur l'état d'urgence ne conduit pas à une chasse aux étrangers, à des arrestations ou perquisitions massives à leur encontre. Bien sûr, certains réclament leur expulsion, c'est leur fonds de commerce de jeter de l'huile sur le feu, mais je ne crois pas que l'état d'urgence aggrave réellement les choses, même s'il faut rester vigilant. En revanche, la situation de Calais est inextricable. C'est un abcès de fixation depuis 20 ans – avant la jungle, il y avait Sangatte (camp ouvert en 1999 et fermé en 2002, NDLR) – et, en l'état actuel, il n'y a pas de solution. Ces gens pénètrent dans l'espace Schengen dans l'espoir de le quitter pour le Royaume-Uni, qui n'en veut pas. Et nous gardons les frontières. 

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