"Les combattantes kurdes sont le premier rempart contre Daech"

La représentante du Mouvement des femmes kurdes, en première ligne face aux terroristes en Irak et en Syrie, témoigne sa solidarité avec la France.

Propos recueillis par

Des combattantes peshmergas du Kurdistan irakien (illustration).
Des combattantes peshmergas du Kurdistan irakien (illustration). © AFP

Temps de lecture : 5 min

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Nursel Kilic © Jérémy André "Le Point"
Nursel Kilic au centre culturel kurde, à Paris.   © Jérémy André "Le Point"

Le Point : Quelle a été la réaction des Kurdes aux attentats de Paris ?

Nursel Kilic : Avec tous les représentants associatifs de la communauté kurde de France, nous étions présents les trois jours qui ont suivi les attentats à Oberkampf pour commémorer ce terrible massacre perpétré en plein cœur de Paris. Les Kurdes ont été profondément touchés et attristés par cette attaque. Car les combattants et combattantes kurdes sont le premier rempart contre Daech au Moyen-Orient. Les Kurdes sont frappés régulièrement par de tels massacres. C'est pourquoi nous sommes les mieux placés pour comprendre et partager de tout cœur la souffrance et la colère des Français.

On croyait le Moyen-Orient machiste. Comment se fait-il que des femmes kurdes aient pu s'organiser et prendre les armes contre Daech ?

Elles ne sont pas sorties de nulle part ! Elles s'imprègnent du long héritage de résistance des femmes kurdes, de figures emblématiques : des femmes artistes comme les chanteuses Meryem Xan et Aysha Shan au XXe siècle, des combattantes comme Leyla Qasim, et les premières militantes politiques venues de Turquie, comme Sakine Cansiz, une des fondatrices du PKK. Le mouvement s'est structuré en Europe dès 1987 avec l'Association des femmes kurdes. Cette organisation a permis aux femmes de s'organiser indépendamment et de s'interroger sur le rôle de la femme dans la famille, sur la laïcité, sur l'émancipation. Les ateliers, le porte-à-porte de quartier en quartier, tous ces petits efforts ont payé. Pour que les femmes se rendent compte qu'elles ne sont pas des esclaves, qu'elles ne doivent pas se soumettre au système patriarcal, aux règles du mari, du père ou du frère. Les femmes sur le front ne sont que l'avant-garde de ce vaste mouvement international.

Que défendent-elles ?

Un système démocratique autonome : le confédéralisme démocratique. Il est déjà en place dans le Rojava, le Kurdistan syrien. Les trois cantons, Afrin, Cizîrê et Kobané, sont autogérés selon un mode de consensus collectif et suivant des valeurs fortes, le multiculturalisme, l'économie alternative et surtout l'égalité femmes-hommes, la parité absolue, avec un système de coprésidence de chaque gouvernement cantonal.

C'est donc plus que de la communication ?

Comment peut-on penser cela ? Certes, les YPJ, les unités de protection des femmes du Rojava, savent jouer de leur image. Mais elles sont prêtes à mourir pour leurs idées. En se battant contre Daech et en France aussi ! En janvier 2013, trois militantes kurdes, dont Sakine Cansiz, ont été assassinées en plein Paris, tous les éléments montrent l'implication des services turcs. Parce qu'elles défendaient cette idéologie émancipatrice. La menace existe. Il faut en être conscient.

On parle beaucoup plus de Daech que de la Turquie...

Et pourtant, le régime d'Erdogan tue lui aussi. Deux mille personnes ont été arrêtées en Turquie depuis les élections de juin, quatre cents ont été assassinées par l'armée ou la police. Le corps d'une combattante du PKK, Kevser Eltürk (elle portait le nom de guerre d'Ekin Van), a été dénudé, traîné et exposé par les soldats turcs dans le village de Varto. Mais ils ne s'en prennent pas qu'aux militantes. Ils tuent aussi des étudiantes, des petites filles qui allaient à l'école, des femmes parfois enceintes… À Istanbul, une jeune femme de 25 ans, Dilek Dogan, a été abattue d'une balle dans le cœur dans une manifestation. L'État turc refuse parfois de donner accès à la morgue aux Kurdes, obligeant leurs familles à conserver ces filles assassinées dans leurs congélateurs durant des semaines.

Est-ce que les femmes sont visées spécifiquement ?

Oui, et c'est ce que j'appelle le féminicide, une sorte de génocide au féminin. C'est la violence suprême du système patriarcal, qui va des mariages forcés, des excisions, de la violence conjugale, à la violence étatique, à la torture sexuelle en prison, à la vente des femmes dans les bazars de l'esclavagisme sexuel de l'État islamique. C'est le sort que subissent les femmes dans les pays en guerre, au Mali, au Niger, comme au Kurdistan. Ce concept permet de réinterpréter les massacres de femmes dans l'histoire. 31 000 femmes ont été déportées à Auschwitz parce qu'elles étaient des femmes libres.

La victoire de l'AKP, le parti islamiste turc, s'est faite dans ce contexte de violence. Pourquoi les Kurdes ne reprennent-ils pas dès lors les armes contre Erdogan ?

Nous essayons d'avoir un regard positif. Le parti d'opposition HDP, pro-kurde, obtenait 13 % en juin, il réunit aujourd'hui 10,7 % des voix, ce qui lui permet d'être le troisième parti à l'Assemblée et d'y envoyer 59 députés. Malgré les 2 000 personnes arrêtées, malgré les assassinats, malgré les sièges du HDP brûlés… Malgré tout, le peuple a voté et a tout fait pour que le HDP passe le barrage. Le processus de paix engagé va continuer.

L'indulgence de l'Occident démocratique envers Erdogan vous révolte-t-elle ?

C'est ce qui est vraiment intolérable. Manuel Valls et Angela Merkel continuent de parler de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Mais comment un pays qui ignore complètement les droits humains pourrait adhérer à l'UE ? Sans parler du fait que la Turquie est en complicité intégrale avec l'État islamique. Contrairement à ce qu'elle affirme, il n'y a aucune offensive turque contre Daech, Erdogan continue de laisser les terroristes circuler sur son territoire, se ravitailler et vendre leur pétrole. La France doit arrêter de mener une politique sourde et muette face à cette réalité. Elle a le devoir de protéger ses valeurs.

L'horreur de Daech était déjà connue avant les attentats. Pourtant, depuis un an, les seuls à manifester à Paris contre l'État islamique sont les Kurdes. Pourquoi tout le monde ne se rallie pas sous leur bannière ?

Une partie de l'opinion publique approuve nos manifestations. Les mouvements sociaux et alternatifs, les féministes et les partis politiques de gauche, notamment le Parti communiste, défilent à nos côtés. Mais le ralliement sous la bannière des Kurdes ne sera possible que lorsque notre lutte sera reconnue comme légitime, et donc quand le PKK, le Parti des travailleurs kurdes, sera retiré de la liste des organisations terroristes de l'Union européenne et des États-Unis.

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Commentaires (15)

  • heracles2

    Ces Femmes forcent mon admiration. Elles ne perdent pas leur temps à pleurnicher sur leur sort, mais sont dans l'action avec une volonté peu commune chez nous en Europe.

  • trets

    Les Kurdes ont 2 ennemis : daech et la Turquie d'Erdogan.
    la Turquie doit choisir son camp, et doit se retirer de l'Otan s'ils soutiennent les islamistes de Syrie et d'Irak.

  • Bartman

    La femme est l'avenir de l'homme.
    Autant dire que certains pays sont mal partis.