L’intrigue d’Ixcanul se déroule au sein d’une communauté cakchiquel – une ethnie héritière des Mayas qui vit dans les montagnes de l’ouest du Guatemala. María, 17 ans, vit avec ses parents dans une plantation de café sur les flancs du volcan Ixcanul. Elle voudrait forcer le destin et échapper au mariage arrangé qui l’attend. Elle paiera pour cela le prix fort.

Né au Guatemala en 1977, Jayro Bustamante a fait des études de publicité avant de partir à Paris pour se spécialiser dans le métier de réalisateur, puis à Rome pour parfaire ses compétences de scénariste. Mais c’est au Guatemala qu’il a tourné son premier long-métrage, Ixcanul. Nous l’avons interviewé alors qu’il était de passage à Paris pour la promotion de son film.

De quoi parle votre film?
Le film évoque la condition des femmes au Guatemala aujourd’hui. Je voulais, en partant de la trajectoire d’un personnage féminin, montrer comment toutes les problématiques qui affleurent sont aussi celles d’une famille et, au-delà, d’une société. J’avais très envie de faire un film dont le tempo soit toujours crescendo : au début ma caméra est naturaliste et observatrice, puis le rythme s’accélère petit à petit, jusqu’à nous faire basculer dans une sorte de thriller.
Je sais que la vision que je propose n’est pas très optimiste, et c’est pour ça que je voulais que le film soit centré sur un personnage fort. J’aimerais que le spectateur qui sort d’une séance de projection ait envie de conseiller à ses amis d’aller voir le film. La maternité et la perte étaient deux lignes sur lesquelles je voulais jouer.

Il y a dans votre film une tension entre, d’un côté, la beauté des images et des traditions, de l’autre un cadre photographique émouvant et une histoire difficile. Que vouliez-vous transmettre ?
Plusieurs choses. Quand vous faites un film pour dénoncer quelque chose, il est important de ne pas faire de pamphlet. L’idée était de tisser des liens avec le spectateur à travers une histoire qui serve aussi de divertissement. Pour raconter cette cruauté bien réelle, je voulais m’éloigner du cadre de la misère ou de la pauvreté. Pour cela, l’histoire, la photographie, le rythme étaient très importants. Je ne voulais pas parler d’une tribu maya du Guatemala mais plutôt d’une réalité humaine, faisant appel à des sentiments universels.

Qu’est-ce qui vous a inspiré ? D’ou viennent les acteurs ?
J’ai connu une femme qui a vécu ce que raconte Ixcanul. Ayant déjà la fin, je savais ce que je voulais construire. Quand je suis arrivé au Guatemala à la recherche d’acteurs, j’ai d’abord organisé des ateliers dans la communauté de Panajachel [dans le sud du pays] pour faire parler les gens de leurs problématiques. Je voulais faire venir les femmes avec moi pour filmer sur les pentes du volcan qui sert de décor à l’intrigue, à deux heures et demie de voiture. Mais elles ne pouvaient pas : il y avait toujours un père, un frère, un époux, un oncle ou un fils pour s’y opposer. C’était dur. Puis j’ai rencontré María Telón [qui joue le rôle de la mère dans le film]. Elle est veuve, donc libre, et elle m’a emmené dans sa communauté, un endroit plus prospère où les habitants ont donc le temps de faire d’autres choses. J’ai décidé d’organiser le casting dans sa communauté.

Vos acteurs ne sont pas professionnels ?
Il n’y a pas d’acteurs professionnels au Guatemala, dans la mesure où il n’existe pas non plus d’industrie cinématographique digne de ce nom. Cela fait seulement dix ans que nous avons commencé à faire des films – la seule exception est un film tourné il y a un quart de siècle. Durant trente ans, notre pays a été le théâtre d’une guerre civile [opposant différentes guérillas marxistes et les forces gouvernementales] et d’un génocide ; la paix a été signée en 1996. Nous sommes alors tombés dans tous les problèmes liés au trafic de drogue et aux gangs. Il y a très peu d’espace pour la culture, et les aides n’existent pas. La production et le tournage ont été financés grâce à un prêt personnel. Le montage a été pour partie mené chez moi, à la maison, avant qu’un coproducteur français nous permette de le finir dans de meilleures conditions techniques. Sans tout cela, nous n’aurions pas pu faire ce film.