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Billet de blog 24 novembre 2015

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"C’est pas moi, c’est nous...", le jeu idiot des éditorialistes.

Ce lundi 23 novembre, le quotidien français Le Monde publiait un éditorial intitulé "La Belgique, une nation sans Etat ?". Le paternalisme et l'arrogance du texte ont suscité de nombreuses réactions sur internet. La Libre Belgique y répond sans élever le débat. Tentative de critique d'une bisbille médiatique.

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Dès la première phrase de leur édito du lundi 23 novembre, les journalistes du Monde choisissent, non sans grandiloquence, de se substituer au « peuple français ». Il s’agit d’une caresse dans le dos avant la claque au visage : les belges sont « leurs amis », « leurs frères » même. Ils apprécient l’humour belge comme outil de relativisme en cette période d’alerte terroriste maximale. Cependant, et puisque le journaliste du Monde est un bon jacobin, il s’étonne de la complexité du système politique belge, qu’il s’imagine profondément pro-européen. Le journaliste du Monde est bien renseigné sur les dynamiques sociales et politiques de la Belgique, la preuve, il maîtrise les tenants et aboutissants de l’affaire Dutroux, qu’il remet sur le tapis en créant un parallèle insidieux. De la même manière qu’il a fallu retrouver Julie, Melissa, An et Eefje sous terre pour que l’Etat belge consente à réformer un système policier et judiciaire obsolète, il aura fallu 130 morts dans des attentats à Paris pour que l’État belge se décide à prendre au sérieux la menace djihadiste. Le Belge est « sympathique » oui, mais un peu long à se rendre à l’évidence. Voilà pour le pouvoir de la comparaison, voilà pour la cruauté d’une insinuation qui ne doit pas être prise à la légère lorsqu’elle est formulée par des professionnels qui se doivent d’envisager la force des propos qu’ils tiennent.

Faut-il être éditorialiste au Monde ou exténué par une semaine de tension et de choc profond à Paris pour penser que l’évidence de la responsabilité se démontre par le séjour ou la résidence de certains terroristes en Belgique ? C’est mal comprendre l’Etat islamique qui, contrairement aux auteurs de cet édito, se défient des frontières et travaillent ensemble au sein d’un réseau complexe et inédit pour lequel les journalistes se doivent de développer de nouveaux outils d’analyse et des clefs de lecture satisfaisantes. Je ne me fourvoierai pas au sein de cette missive à tenter de souligner quel terroriste vivait en France, lequel vivait en Belgique, quel terroriste a déjoué les services de renseignement belges et quels autres ont échappé aux français. Pendant que les journalistes du Monde s’attachent au concept d’Etat-nation, l’Etat islamique développe un réseau transnational contre lequel les Etats visés par la menace ne pourront faire face qu’ensemble, en mettant sur pied un nouveau système de communication, de renseignement et de défense.

Le problème n’est pas tant le fait que le plus grand quotidien de France se permette de critiquer l’Etat belge. Grand bien lui en fasse. Le problème est que le plus grand quotidien de France est dans l’incapacité la plus complète de formuler ses critiques de manière intelligente en identifiant les sources d’une impuissance notoire. Le problème est que le plus grand quotidien de France démontre en 562 mots ses piètres capacités d’analyse et sa facilité à sombrer dans une arrogance nocive et contre-productive.

Chers éditorialiste du Monde, je suis contente que vous évoquiez le laxisme des autorités et le rôle de l’Arabie Saoudite. D'ailleurs, l'analyse de la responsabilité du Centre Islamique et Culturel de Belgique dans l’expansion de la mouvance salafiste, terreau du radicalisme en Belgique, aurait été un choix d'article pertinent. Mais vous préférez, dans votre éditorial, cultiver la maladie dont souffre le journalisme, celle qui consiste à discuter exhaustivement des conséquences sans jamais tenter de comprendre les causes. Il y a longtemps déjà, Stig Dagerman, critiquait cette profession en la décrivant comme l’art d’arriver trop tard aussi tôt que possible. Ne serait-ce pas le moment d'apprendre à maitriser l’art d’arriver à temps ?

La Libre Belgique n'est pas en reste. Dans sa triste réponse, Francis Van de Woestyne n'a pas d'autre réflexe critique que celui de balayer les accusations sous le prétexte fallacieux qu'elles ne viennent pas d'un État infaillible. Monsieur Van de Woestyne, elles ne proviennent pas d'un État tout court, vous faites le jeu des éditorialistes qui se substituaient à la France en les substituant à l'État. Vous sautez dans le piège à deux pieds et plongez des deux mains votre journal dans un malaise dont vous n'avez pas su déceler les causes. Puisque l'autre a jeté la première pierre, lapidons joyeusement. L'apothéose de cet "exercice un peu minable", selon vos propres termes, constitue l'évocation d'Outreau en réponse à Dutroux, comme si ces faits divers sordides étaient les seuls à la hauteur de vos talents d'écriture. 

Loin d’isoler le Monde et la Libre, je préfère, par cette missive, les aider à se protéger. Mais ces journaux doivent se ressaisir. L’épreuve du terrorisme doit les conduire à augmenter la qualité de leurs articles et de leurs éditoriaux et à s’interroger, comme tous les autres journaux, sur leurs défaillances en matière d’information et d’analyse.

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