La littérature est une malle aux trésors. Elle peut aussi être une trousse de secours. Non qu'il suffise de prescrire une lecture pour faire disparaître tel ou tel mal, ce serait réducteur et naïf. Mais bien parce que l'on trouve, dans les mots, le réconfort et la force qui permettent d'avancer, de s'élever, de vivre.

François Cheng sait la force des mots. Ses poèmes portent la trace de ce que le grand écrivain islandais Jon Kalman Stefansson écrit dans un petit livre récemment réédité (Entre ciel et terre, Folio) et dont je recommande ici la lecture: "Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains mots sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le coeur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires."

Vivre aux aguets

Revenons aux poèmes de François Cheng. Plus qu'un simple recueil, voici un manifeste pour la vie. En quelques pages incisives et précises, il nous invite à débusquer l'intensité dans l'instant et non dans un hypothétique ailleurs. Ici. Maintenant. Chercher de l'ardeur dans le présent n'est pas un luxe de poète paresseux mais la manifestation d'un art de vivre qui se perd.

François Cheng plaide pour l'écoute, rappelle ce qu'il y a à gagner à vivre aux aguets, ce que nous perdons à vivre au rythme pressé de nos fausses attentes et de nos vaines espérances. Il célèbre le jardin et sa clôture, l'humus et les étoiles, la pierre qui nous apprend la patience, le regard lorsqu'il est droit et, par-dessus tout, cet instant que submergent trop souvent la mélancolie ou le zapping - ces ennemis de la joie. L'enjeu de ces poèmes tient en cette question: "Quand la beauté t'habite/Comment l'assumes-tu?"

François Cheng ne se veut pas maître de vie, il interroge ce qui vient après l'action, le désir de vie qui gît au plus profond de nous. La vraie vie n'est pas ailleurs, comme le clament en choeur les héritiers de Rimbaud; elle est ici, là, tout de suite. Il ne tient qu'à nous de la vivre, enfin.