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Analyse

Coalition : le double jeu du Kremlin

L’alliance contre Daech entre les Occidentaux et Moscou se heurte à l’inflexibilité de Poutine. Mais une coordination informelle en Syrie reste à l’ordre du jour.
par Veronika Dorman, Correspondante à Moscou
publié le 25 novembre 2015 à 19h36

Pour sceller la nouvelle alliance antiterroriste, les soldats russes en Syrie ont inscrit sur des bombes «Pour Paris» et «Pour les nôtres» (en référence au crash de l'avion russe dans le Sinaï et aux attentats du 13 novembre) avant de les larguer sur des positions de l'Etat islamique (EI). Du moins c'est la version officielle relayée par les médias, mais il est plus probable qu'elles aient visé, comme le plus souvent, des positions des rebelles anti-Al-Assad.

L'heure n'en est pas moins à la célébration de l'amitié franco-russe et François Hollande arrive ce jeudi à Moscou pour s'entretenir avec Vladimir Poutine dans le cadre d'un marathon diplomatique pour réaffirmer la nécessité d'une «coalition unique» pour combattre l'EI. «Une large coalition antiterroriste», c'est ce que le président russe avait appelé de ses vœux devant l'Assemblée générale de l'ONU, fin septembre. L'alliance de 65 pays menée par les Occidentaux était réticente à cette idée, c'est pourquoi les déclarations de François Hollande, le 16 novembre devant le Parlement français réuni en Congrès, ont été perçues par Moscou comme un revirement positif et accueillies avec satisfaction. Dès le lendemain, Poutine a sommé ses forces armées d'«établir un contact direct avec les Français et de collaborer avec eux comme avec des alliés, sur mer comme dans les airs». Washington et Londres se sont montrés plus prudents, mais l'idée d'une coopération avec Moscou n'a pas été rejetée, à condition que la Russie modifie sa stratégie en Syrie et place en objectif premier et absolu la lutte contre l'EI et non pas le soutien du régime Al-Assad. En gage de sa bonne foi, la Russie a, de son côté, commencé à prévenir la coalition occidentale de ses prochaines frappes.

«Concessions». Selon le quotidien russe Vedomosti, jusqu'à présent, «les points forts de la position russe au Proche-Orient occupaient le devant de la scène» : de plus en plus reconnue dans la région, la Russie s'est montrée capable de jouer un rôle décisif car prête à s'investir massivement pour défendre son allié syrien. Mais la destruction, mardi par l'armée turque, d'un avion de chasse russe qui, selon Ankara, aurait pénétré dans son espace aérien, a mis en lumière la précarité de l'entente russo-occidentale qui s'esquissait. Poutine a qualifié l'incident de «coup de poignard dans le dos porté par les complices de terroristes», formule qui pouvait laisser craindre des représailles, jusqu'à ce que le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, assure que la Russie n'avait pas l'intention de riposter. Même son de cloche du côté du ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui a affirmé mercredi que la Russie ne comptait pas «faire la guerre à la Turquie», même si elle était convaincue qu'il s'agit d'une «provocation planifiée». Les relations entre Moscou etAnkara sont tendues et une escalade n'est pas à exclure, s'inquiètent les experts russes. «A moins que Vladimir Poutine n'en profite pour exiger des Occidentaux de prendre des mesures contre leur allié turc au sein de l'Otan tout en cherchant à obtenir des concessions supplémentaires pour son engagement dans la lutte antiterroriste globale», suggère encore Vedomosti.

Quoi qu’il en soit, la position russe paraît indécise, voire contradictoire. D’un côté, des déclarations du bout des lèvres pour se défendre de vouloir à tout prix sauver Bachar al-Assad et admettre la nécessité d’une transition politique en Syrie. De l’autre, et simultanément, le refus déclaré de lâcher le président syrien - comme en témoignent les propos de Poutine lors de sa visite à Téhéran, lundi. Moscou semble espérer que les Occidentaux finiront bien par renoncer au départ forcé d’Al-Assad, et cet espoir a pu être conforté par la priorité absolue énoncée par la France : combattre l’EI.

Agacement. Malgré ses dénégations, la Russie continue donc de viser principalement des groupes qui menacent les positions loyalistes syriennes - des modérés aux islamistes -, mais pas l'EI. Au grand agacement de Washington : «Si leur priorité est d'attaquer l'opposition modérée qui pourrait faire partie d'un futur gouvernement syrien, la Russie n'aura pas le soutien de notre coalition», a expliqué mardi Barack Obama à l'issue de son entretien avec François Hollande. En rappelant au passage que les Etats-Unis avaient rassemblé 65 pays, alors que la Russie n'avait que l'Iran comme allié.

Avant même la rencontre entre les chefs d'Etat russe et français, une alliance renforcée entre les deux coalitions semblait donc compromise. Du reste, à Moscou, on ne se fait pas trop d'illusions. «Il n'y aura pas de coalition unique dans un avenir proche, les Etats-Unis sont clairement contre», a déclaré Alexeï Pouchkov, le président de la commission des Affaires étrangères à la Douma (Chambre basse russe) dans une interview. Mais le parlementaire table sur une coopération accrue entre la France et la Russie sur le terrain, une sorte de «coalition informelle», du fait de l'intense activité militaire des deux pays dans la région.

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