Rechercher
Rechercher

À La Une - Eclairage

Mal-être et moral en berne dans les forces nucléaires américaines

"Ce n'est pas une question de discipline ou de supervision, c'est presque une question existentielle", affirme un expert.

Une militaire de l'US Air Force ferme l'une des deux portes du centre de contrôle de lancement des missiles nucléaires, le 18 août 2006 à Minot, dans le Dakota. Archives/AFP

Moral en berne et manque de perspectives: l'armée de l'Air américaine a identifié les causes de l'accumulation d'incidents frappant ses unités de missiles nucléaires, mais pas la solution pour des officiers qui s'interrogent sur l'utilité même de leur mission.

Entre cas de tricherie, négligences ou possession de drogues, les incidents se sont multipliés ces derniers mois sur les trois bases de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) de l'US Air Force.

"Les gens qui ont la charge des armes nucléaires doivent démontrer le plus grand professionnalisme. Mais nous n'avons cessé de voir que ce n'était pas le cas", déplore Jim Lewis, du Centre pour le contrôle des armes et la non-prolifération.

Trente-quatre officiers ont été suspendus la semaine passée pour avoir triché à un contrôle de routine de leurs compétences. Deux d'entre eux sont par ailleurs accusés de possession de drogues.

En octobre, quatre autres officiers avaient été suspendus pour s'être endormis à leur console en laissant ouverte la porte blindée de leur poste de lancement.

Les manquements ont touché même la haute hiérarchie avec le renvoi en juillet du général commandant les unités de missiles ICBM pour des beuveries lors d'un voyage à Moscou.

Le pouvoir de destruction de ces missiles, dont les États-Unis maintiennent 450 exemplaires en activité, a depuis 1945 été la meilleure garantie contre leur utilisation. La fin de la Guerre froide a rendu leur probabilité d'utilisation encore plus minime.

Mais sur les bases de Malmstrom (Montana), Minot (Dakota du Nord) et Warren (Wyoming), plus de 500 lieutenants et capitaines de l'Air Force enchaînent toujours les gardes de 24 heures terrés dans leur bunker souterrain "à attendre d'appuyer sur un bouton qu'ils savent qu'ils ne presseront jamais", résume Joseph Cirincione, président du Ploughshares Fund, un cercle de réflexion spécialisé dans les questions nucléaires.

Le pire ennemi, l'ennui
"Ce n'est pas une question de discipline ou de supervision, c'est presque une question existentielle" pour ces jeunes hommes et femmes, explique-t-il à l'AFP.

Dans une tribune publiée en 2011 dans le magazine Wired, un de ces officiers en convenait. "Votre pire ennemi c'est l'ennui. Pas d'héroïsme sur le champ de bataille, pas de médaille à gagner, le devoir aujourd'hui est perçu comme un anachronisme sans intérêt", regrettait-il.

Le problème n'est pas nouveau et avait conduit en juin 2008 le secrétaire à la Défense de l'époque, Robert Gates, à renvoyer les patrons civil et militaire de l'Air Force après une série d'incidents dans les forces nucléaires.

Un groupe de travail mis en place par la suite avait conclu au "déclin sans ambiguïté, dramatique et inacceptable de l'engagement de l'Air Force à conduire sa mission nucléaire". Ce déclin a été "graduel" à la suite de changements dans l'organisation, le personnel et des procédures au sein de ses unités.

"La plupart de ces changements étaient quelconque, mais l'impact d'ensemble sur la mission nucléaire a été plus prononcé que prévu et est trop important pour être acceptable", affirmait le groupe de travail.

La dernière série d'incidents pose donc la "question de savoir si les défauts et problèmes systémiques identifiés en 2008 ont été corrigés", s'est interrogé Robert Gates cette semaine sur CNN.

Depuis 2008, des mesures ont été prises pour y remédier, assure le chef d'état-major de l'Air Force, le général Mark Welsh. Mais la notion d'"importance vitale" de la mission n'est peut-être pas assez ancrée dans les effectifs, admet-il, tout en assurant du professionnalisme des forces nucléaires.

De fait, le coeur du métier reste le même, la fonction n'est pas plus enviée dans l'Air Force qu'auparavant et les perspectives d'évolution de carrière restent minces.

Les manquements constatés posent également la question de la nécessité de maintenir en activité les missiles ICBM --auxquels le chef du Pentagone Chuck Hagel a réaffirmé son attachement-- au côté des sous-marins nucléaires et des bombes larguées par avion.

"On ne voit pas ce genre de problèmes dans la flotte de bombardiers ou de sous-marins", rappelle Joseph Cirincione. "Parce qu'ils ont d'autres missions. La seule mission pour les ICBM est d'immoler des millions de civils innocents".

 

Moral en berne et manque de perspectives: l'armée de l'Air américaine a identifié les causes de l'accumulation d'incidents frappant ses unités de missiles nucléaires, mais pas la solution pour des officiers qui s'interrogent sur l'utilité même de leur mission.
Entre cas de tricherie, négligences ou possession de drogues, les incidents se sont multipliés ces derniers mois sur les trois...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut