Serge Toubiana : “Le don des archives Demy à la Cinémathèque est un geste de confiance et d'amitié”

Le fonds d'archives Jacques Demy va bientôt rejoindre les collections de la Cinémathèque française. Un symbole pour Serge Toubiana qui va quitter la tête de l'institution à la fin de l'année. Mise au point.

Par Propos recueillis par Louis Guichard

Publié le 25 novembre 2015 à 18h06

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h02

Deuxième volet de l'entretien avec Serge Toubiana, le directeur sortant de la Cinémathèque française, au moment où les archives personnelles de Jacques Demy rejoignent définitivement les collections historiques de l'institution.

Que représente ce don, officialisé le 17 novembre dernier, des archives Demy à la Cinémathèque ?

C'est un geste de confiance et d'amitié de la part de la famille Varda-Demy, en pleine cohérence avec le projet que nous avions mené en 2013 : l'exposition consacrée à Jacques Demy à partir de ses archives et les nombreux événements organisés à la Cinémathèque, comme la rétrospective, les activités éducatives et culturelles, les visites scolaires. Ce fut l'un des plus gros succès de notre institution. Un moment de bouillonnement fort autour de toute l'œuvre de Demy, qui illustrait déjà plusieurs manières de valoriser des archives.

A l'heure de la dématérialisation, que sont concrètement ces archives ?

Elles représentent plus de 50 mètres linéaires de documents originaux et sont organisées par film. Elles montrent les nombreuses étapes scénaristiques, manuscrites et tapuscrites, ainsi que des documents de tournage, dessins de costumes, photos, correspondances, plans de travail… Elles sont assorties de costumes, d'objets et, bien sûr, de copies des films. A la Cinémathèque, ces archives seront restaurées s'il le faut, sauvegardées, mises à la disposition des publics, éventuellement mises en ligne. Les étudiants et les chercheurs du monde entier pourront les consulter. 

Pourquoi ce don intervient-il juste avant votre départ  ?

C'est symbolique, dans la mesure où j'ai bien connu Jacques Demy. Je l'ai souvent interviewé pour les Cahiers du Cinéma en compagnie de Serge Daney. Nous avions noué une relation d'amitié, au début des années 1980, à l'époque d'Une chambre en ville. Une période difficile de sa vie, où il  avait beaucoup de mal à monter ses films.

Le don d'archives est-il une pratique courante ?

Il y a plusieurs cas de figure. Le fonds d'archives de François Truffaut a été, non pas donné mais confié à la Cinémathèque. C'est un statut juridique différent : pour l'instant, il s'agit d'un dépôt. Sans doute faudra-t-il statuer avec les ayants droits de Truffaut, Madeleine Morgenstern, son ancienne épouse, et ses trois filles pour stabiliser ce fonds à la Cinémathèque. Le don est un geste qui engage davantage, et à partir duquel nous pouvons mobiliser nos ressources.
Aurore  Chabrol, après la mort de Claude, a fait don à la Cinémathèque de beaucoup de scénarios originaux écrits à la main par son époux. Jacques Rivette a fait lui-même don de ses archives il y a quatre ans. Sylvette Baudrot, grande scripte d'Alain Resnais ou de Roman Polanski en a fait autant : ses documents sont foisonnants et passionnants.
Depuis qu'elle est installée à Bercy, la Cinémathèque a montré qu'elle sait valoriser ce qu'on appelle les archives « non film » : scénarios , notes, correspondances, story-boards, affiches, dessins, photos, costumes. Les gens du métier sont confortés dans leur démarche :  ils savent que leur don sera indexé, préservé, et pourquoi pas, exposé, à l'occasion d'une rétrospective. C'est l'une des vocations de la Cinémathèque.

L'acquisition d'archives payantes est-elle une option ?

On a très peu de moyens pour cela, d'autant que les prix tendent à augmenter. On a pu le faire il y a huit ans pour les archives Marcel Carné, dont nous avions appris qu'elles dormaient dans une bibliothèque à Boston, non consultables ni valorisées. Nous avons noué un lien avec les ayants droits et fait une proposition d'acquisition. Le ministère de la Culture, à travers le CNC, nous a encouragés. Un mécène privé nous a rejoints. ll y en avait, en tout, pour plus de 300 000 euros. Nous avons pu ainsi monter une exposition sur Les Enfants du paradis.
Il y aussi le cas de Chris Marker, qui n'a pas fait de testament. Au cours des dernières années de sa vie, il était logé chez Costa-Gavras, président de la Cinémathèque, et il avait dit qu'il laisserait une lettre précisant ce qu'il voulait faire de ses archives. Mais on n'a rien trouvé de tel. A sa mort, il y a donc eu un inventaire sommaire et une recherche de descendance qui a identifié six personnes au 5e et 6e degrés… Nous leur avons fait une proposition qui a été retenue et nous avons acquis le fonds pour 40 000 euros. Nous nous sommes trouvés face à une sorte de gigantesque foutoir avec des lots énormes de photos, de négatifs, de disques durs, d'ordinateurs, tout le travail qu'il faisait sur Second Life, des centaines de petits objets, de collages, de journaux… Il gardait tout. Mais qu'en faire ? C'est un travail considérable. Nous avons constitué une équipe en interne chargée de poursuivre l'inventaire et de travailler sur le fonds numérique. De plus, un comité scientifique se réunit régulièrement. Comment montrer l'arborescence de cette œuvre hybride? Chris Marker était un média à lui tout seul. Peut-être faudra-t-il associer des ingénieurs à cette réflexion… Il y aura sans doute un événement Marker à la Cinémathèque en 2017 ou 2018.

Les possibilités d'accueil de nouvelles archives sont-elles sans limite ?

Non, nous pourrions avoir à court terme un problème de stockage, étant donné le rythme des enrichissement de nos collections. Le ministère de la Culture et le CNC en sont avertis et semblent favorables à la recherche de nouveaux lieux de stockage… J'ai déjà  demandé à Jean-Paul Rappeneau, Roman Polanski, Arnaud Desplechin, Olivier Assayas et d'autres de veiller à conserver leurs archives et, pourquoi pas, de nous en faire don. Tout le cinéma contemporain nous intéresse. Aujourd'hui grâce à la Cinémathèque, un cinéphile a accès à des matériaux de première main pour approfondir sa connaissance des œuvres et des artistes. Les étudiants qui font leurs recherches nous aident, encadrés par le directeur du patrimoine de la Cinémathèque,  et par le directeur scientifique et historique. On accorde des bourses à certains : plus ces archives sont  travaillées, analysées, consultées, plus elles sont valorisées. C'est un système très vertueux.

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