Billet de blog 26 novembre 2015

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Déclarons le pétrole patrimoine commun de l'humanité

Lettre ouverte de « Français en état d'urgence » (1) aux participants à la COP21. « Et si le changement climatique devenait l'opportunité (...) survenue pour supplanter les intérêts nationaux, économiques et identitaires, et construire enfin les mécanismes de solidarité, gouvernance et défense planétaire dont l'humanité a besoin pour préserver le milieu dont elle dépend ».

Les invités de Mediapart (avatar)

Les invités de Mediapart

Dans cet espace, retrouvez les tribunes collectives sélectionnées par la rédaction du Club de Mediapart.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lettre ouverte de Français en état d'urgence aux participants à la COP21

Mesdames, Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement,

Ministres, ambassadeurs, délégués,

Représentants des Nations-Unies et de la société civile internationale,

Dans quelques jours, nous allons vous accueillir pour la COP21 dans une ville blessée, dans un pays en état d'urgence, sous le choc des attentats les plus meurtriers de son histoire. Vous allez tout faire pour infléchir les émissions mondiales de gaz à effet de serre et engager une transition énergétique en profondeur. Vous allez pour cela parler fiscalité, technologies et croissance verte, marché du carbone, adaptation, compensation.

Au nom des victimes de Daech et au nom de notre responsabilité commune pour que cessent les massacres et la terreur, nous vous appelons à prendre de la hauteur et parler également de paix; c'est à dire de justice, de solidarité et d'éducation.

Nous vous y appelons non seulement parce que notre actualité dramatique en réaffirme l'urgence, mais parce que le pétrole, à qui nous devons à la fois nos révolutions industrielles et les graves menaces qui pèsent sur la poursuite de l'aventure humaine sur Terre, le pétrole qui est au coeur de vos débats, ce même pétrole qui finance le terrorisme international, est au coeur de la guerre qui nous frappe et que nous devons à tout prix enrayer.

Quel que soit l'usage qui sera fait de la force pour mettre un terme au projet diabolique de l'Etat islamique, nous ne gagnerons pas la paix tant que nous n'agirons pas à la racine où le fanatisme et le terrorisme alimentent leurs entreprises de haine et de radicalisation : la misère, l'ignorance et l'injustice. Le changement climatique en est l'une des sources majeures en puissance.

Causé par les plus riches, il frappe les plus pauvres le plus durement; nourri par des modèles de développement fondés sur le profit et l'accumulation matérielle, il exacerbe les inégalités; source de tensions et de conflits, il pourrait engendrer des flots de victimes et de réfugiés sans précédent. A la misère, nous devons opposer la solidarité; à l'ignorance, l'éducation; à l'injustice, le droit et l'éthique.

Et si le pétrole, ce formidable cadeau de la nature dont il nous faudra plusieurs décennies pour nous désintoxiquer, au lieu d'être le problème, devenait la solution ? Et si le changement climatique devenait l'opportunité la plus forte jamais survenue pour supplanter les intérêts nationaux, économiques et identitaires, et construire enfin les mécanismes de solidarité, gouvernance et défense planétaire dont l'humanité a besoin aussi bien pour préserver le milieu dont elle dépend que pour contenir sa violence et sa barbarie ?

Il suffirait pour cela d'une décision terriblement courageuse, mais d'une immense simplicité et d'une légitimité absolue dans son principe : déclarer patrimoine commun de l'humanité ce qui reste du pétrole et réunir les excédents phénoménaux générés par son exploitation au sein d'un fond mondial pour les générations futures - sur l'exemple de ce qu'a déjà fait, pour ellemême, la Norvège - consacré aux défis du 21eme siècle que sont la décarbonisation de l'économie mondiale, la sécurité, l'éducation, la santé et la justice; c'est à dire les conditions de la paix mondiale.

Une organisation mondiale donc, qui tout en refondant la confiance et l'espoir vis-à-vis des Nations Unies mettrait en quelque sorte notre obligation temporaire de polluer au service du bien commun : d'une part en garantissant à tous les habitants de la Terre un accès équitable à l'énergie avec un quota annuel personnel, dégressif, d'énergie carbonée à bas prix répondant aux besoins fondamentaux; et d'autre part avec une taxation progressive au-delà de ce quota, permettant de financer à grande échelle, et donc d'accélérer, l'avènement d'une véritable solidarité planétaire et la mutation de nos sociétés vers un développement durable en profondeur.

Car enfin, au nom de quoi les revenus d'une ressource aussi précieuse et finie, disséminée au gré de hasards géologiques bien antérieurs aux frontières et aux prétentions humaines, et diffusant les effets pervers de sa combustion dans l'ensemble de l'atmosphère, resteraient-ils éternellement concentrés - quand ils ne bénéficient pas directement au terrorisme international - entre les mains d'une poignée de multinationales et de multimilliardaires prêts à dépenser des sommes astronomiques pour manipuler l'opinion et enrayer les négociations climatiques ? On voit bien, au fond de nous, combien ce statu-quo est injuste, inacceptable et terriblement dangereux.

Total, Gasprom, Chevron, les Etats-Unis, la Russie, la Chine et les pays du Golfe mettant en commun leurs pétrodollars au service du bien public planétaire... Utopie inaccessible ? Au moins autant qu'en leur temps, l'abolition de l'esclavage, le vote des femmes ou la chute du mur de Berlin. Et au moins autant, parce qu'en interdépendance inextricable, que la paix au Moyen-Orient et l'éradication des mouvements fascistes qui gangrènent le monde musulman et frappent aujourd'hui aveuglément.

Mesdames, Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement,

Ministres, ambassadeurs, délégués,

Représentants des Nations-Unies et de la société civile internationale qui vous apprêtez à converger vers Paris dans la compassion et le recueillement,

« Nous savions que la vie était fragile, que l'humain c'était par moments et que la démocratie était menacée par les forces archaïques qui habitent encore le monde. Nous savions que, face à la vacuité de nos modèles économiques fondés sur la consommation compulsive, notre occident peinait à offrir un autre idéal que l'assujettissement aux intégrismes. Nous savions que tout ce qui nous tient à coeur est mortel et que l'obscurité absolue peut, un jour, faire oublier l'espoir de toute lumière... Que cette nuit terrible où nous avons éprouvé la terreur de la pénombre, nous rappelle notre fragilité et notre finitude. Qu'elle renforce ainsi notre détermination à prendre soin de toute vie, de toute pensée libre, de toute ébauche de solidarité, de toute joie possible. » (Philippe Meirieu) 

Et qu'elle vous inspire le courage, l'audace, la force de surmonter les chaînes qui nous entravent dans la construction du bien commun,

Qu'elle vous inspire la liberté, l'égalité et la fraternité entre les peuples du monde.

(1) Jean Cot, Général d’Armée (cr), ancien commandant de la FORPRONU; Claude Lorius, glaciologue, médaille d'or du CNRS, prix Blue Planet; Richard Pétris, fondateur de l'Ecole de la paix; Michèle Rivasi, députée au Parlement européen; Philippe Saugier, créateur de CarboSchools et Jeunes reporters pour l'environnement.

Les auteurs, inspirés par des militaires visionnaires qui à l'occasion du sommet Rio+20 en 2012 affirmaient que la transformation de l'éducation devenait une condition de la paix mondiale, ont contribué au lancement du collectif « Paris Education 2015 » qui oeuvre pour l'intégration de l'éducation aux négociations climatiques. Ce collectif a convaincu l'Elysée et le gouvernement français, en accord avec la Convention-cadre des Nations-Unies pour le changement climatique, de faire du 4 décembre 2015 la première journée thématique consacrée à l'éducation de l'histoire des COPs. Il est auteur d'un Manifeste pour une éducation à la citoyenneté planétaire disponible en français, anglais et espagnol sur paris-education2015.org.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.