Vendredi 20 novembre, Xavier Bertrand invitait « l’imam Google » et les géants du Web à « se sentir mobilisés » dans la lutte contre la propagande djihadiste en ligne. « Un certain nombre de jeunes aujourd’hui, avant même d’aller dans les mosquées, c’est sur Internet qu’ils trouvent le moyen de se radicaliser », a estimé le candidat aux régionales en Nord – Pas-de-Calais – Picardie.
Le Monde a souhaité mettre à l’épreuve les propos de Xavier Bertrand : en tapant par exemple « se convertir à l’islam » sur Google, sur quel genre de site tombe-t-on ?
Des portails neutres... officiellement
Ils s’appellent IslamdeFrance.fr, IslamReligion.com, GuideMusulman.com, Sajidine.com ou encore IslamHouse.com. Ce sont, hors vidéos, les cinq sites les mieux référencés sur Google.
Premier constat, leur nom est générique, donne une vision a priori ouverte et neutre de l’islam, ce que souligne Sadijine.com, qui sur la page « Qui sommes-nous ? » revendique :
« Nous tenons à rappeler que le site Sajidine ne se prétend d’aucune tendance et n’entend favoriser aucune d’entre elles. Il appelle et se réclame d’un Islam simple, clair et net. Sans étiquette ni accessoire dans notre statut de musulman. »
Guidemusulman.com se présente d’ailleurs comme un annuaire d’adresses pratiques pour les musulmans, des restaurants halal aux mosquées, mais aussi un code promo pour Conforama. « Nous ne donnons pas de “fatwas” [avis juridiques] ni d’avis religieux d’une quelconque manière que ce soit », prévient-il en dépit de sa page de conseil de conversion.
Tout juste se présente-t-il comme un site tenu par « des musulmans sunnites » – soit la branche majoritaire de l’islam. Il renvoie cependant, en matière de conseils religieux, vers un autre site très conservateur.
Une approche ultraorthodoxe de l’islam
A l’exception d’IslamdeFrance.com, ces différents portails renvoient en effet à une approche dogmatique et ultra-orthodoxe de l’islam. Celle du salafisme, un courant rigoriste fondé sur une interprétation littérale du Coran, en pleine expansion en France depuis quinze ans, notamment chez la seconde génération de fils d’immigrés et les convertis.
Sur Sajidine.com, prétendument neutre, la rubrique des questions-réponses révèle ainsi une lecture ultrarigoriste de l’islam : il y est déconseillé de se marier avec une chrétienne, ni avec une musulmane s’écartant d’une approche littéraliste du Coran (« des hérésies »), ne portant pas le hijab, ou même exerçant une profession.
Sur IslamReligion.com, un service de conversation en ligne permet d’échanger avec un « conseiller du site ». Interrogé par Le Monde sur la branche de l’islam de laquelle se revendique le site, notre interlocuteur botte en touche.
Sur un ton prophétique et menaçant, il évoque d’abord « 73 [groupes religieux] dont 72 iront en enfer et un seul au paradis. Ce groupe rassemblera les fidèles à la sunna [le dogme et les pratiques édictées par le prophète Mahomet] ». Puis devant notre insistance : « Nous sommes des sunnites, simplement. »
Ce n’est qu’au bout de trente minutes d’échanges que le conseiller admettra son obédience salafiste, et précisera que les autres courants « ne sont pas faux ».
Un réseau tissé depuis l’Arabie saoudite
Si certains noms de domaine ont été déposés à Roubaix, siège du géant du Net français OVH, un coup d’œil aux mentions légales en bas de page permet toutefois d’apprendre que derrière son nom passe-partout, IslamReligion.com appartient par exemple au réseau du bureau du prêche de Riyad, en Arabie saoudite.
Le royaume abrite deux des lieux cultes de l’islam, Médine et La Mecque, et est surtout le berceau du wahhabisme, une vision puritaine de l’interprétation du Coran. La monarchie en soutient la diffusion, à travers la formation d’imams et le financement de campagnes de prosélytisme en ligne, dont elle tient un décompte annuel.
IslamHouse est le plus clair sur ses origines : l’article « Comment se convertir à l’Islam » est explicitement présenté comme ayant été « publié par le bureau de prêche de Ryad ». Il s’agit de l’un des rares sites à assumer sa filiation avec l’Etat saoudien.
Opposition à l’idéologie djihadiste
En revanche, ces sites vantant un islam rigoriste condamnent fermement sa déviance djihadiste. « L’islam, qui est une religion de miséricorde, ne permet pas le terrorisme », corrobore Islam-guide. « Tuer des gens, faire s’exploser, tuer des femmes et des enfants, et dire que l’on est salafi ? Non, c’est un assassin, c’est un criminel. […] Cela n’a rien à voir avec le djihad, ce sont des ignorants et des malades », explique Sadjidine.com.
Le salafiste est en effet majoritairement quiétiste et opposé à l’idéologie djihadiste, le takfirisme.
Par ailleurs, le site apparaissant en premier dans les résultats de recherche de Google, islamdefrance.fr, est de loin le plus libéral.
Aux personnes envisageant une conversion, il conseille avant tout la réflexion et la pondération : « C’est une partie de notre vie tout entière que l’on risque de changer en adhérant à l’islam. Toute précipitation dans la conversion est donc à proscrire. »
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